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Jours tranquilles à Paris
13 février 2018

Sortie en salle sous haute tension pour « L’Insoumis », de Gilles Perret

Par Clarisse Fabre - Le Monde

Le documentaire, qui relate la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, a été déprogrammé d’un cinéma à Marseille.

L’Insoumis, le documentaire de Gilles Perret sur la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, sortira le 21 février. Mais dans combien de salles, et dans quel climat ? La distribution du film est en soi un feuilleton. Dernier épisode en date, le 8 février, le distributeur Etienne Ollagnier (Jour2Fête) apprenait que L’Insoumis était déprogrammé au cinéma Les Variétés, à Marseille. Un lieu symbolique, puisque la salle se situe dans la circonscription du député de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon (4e circonscription des Bouches-du-Rhône) : le documentaire devait être projeté « en exclusivité » aux Variétés, selon un accord signé avec les programmateurs le 24 octobre 2017.

Le directeur du cinéma, Jean Mizrahi, a décidé de retirer le film après avoir visionné la bande-annonce, qualifiée de « propagande ». Il n’avait donc pas encore vu L’Insoumis, mais c’est chose faite, dit-il. Lundi 12 février, dans un communiqué, Jean Mizrahi confirme que Les Variétés « ne le programmeront pas », car ce film n’est « en aucun cas un film de cinéma mais plutôt un document télévisuel, qui ne prend aucune distance vis-à-vis de son sujet ». Par ailleurs, « le rôle des Variétés n’est pas de promouvoir, ou à l’inverse de dénigrer, tel ou tel personnage public jouant un rôle local (…) Il n’est pas question que le cinéma les Variétés devienne une tribune au bénéfice de qui que ce soit. »

« IL Y A UNE TELLE CRISTALLISATION CONTRE MÉLENCHON QUE CERTAINS EN VIENNENT À SE COMPORTER COMME DES CENSEURS »

GILLES PERRET, RÉALISATEUR

Le distributeur a trouvé un plan B : à Marseille, L’Insoumis va sortir au Pathé Madeleine le 21 février, et une avant-première y sera organisée vendredi 16 janvier. Pour le réalisateur, Gilles Perret, « il y a une telle cristallisation contre Mélenchon que certains en viennent à se comporter comme des censeurs ». Son film montre un Mélenchon plutôt calme et posé, loin de l’image colérique véhiculée dans les médias. On voit le candidat de La France insoumise défendre continuellement ses idées, même face caméra, avec le réalisateur. Ce dernier ne cache pas sa proximité avec l’homme politique, mais son film n’est pas un tract.

Gilles Perret, âgé de 49 ans, est très identifié dans le réseau « art et essai » pour avoir signé des documentaires sur le monde ouvrier, la Sécurité sociale – Les Jours heureux (2013), La Sociale (2016). Il pensait pouvoir compter sur ces exploitants fidèles pour la sortie de son dernier film. Mais certains n’ont pas suivi.

Refus de principe

Le distributeur du film, Etienne Ollagnier, a l’habitude de travailler sur des films engagés. En février 2016, il a sorti Merci patron !, de François Ruffin, un documentaire dénonçant la mondialisation qui a réalisé 520 000 entrées et obtenu le César du meilleur documentaire. En juin 2017, le fondateur de la revue Fakir a été élu député dans la Somme (1re circonscription). Mais, pour L’Insoumis, dit-il, la situation est plus périlleuse. « Avant même d’avoir vu le film, des exploitants ont eu des réactions totalement binaires. Certains nous ont dit : “Formidable, Gilles Perret et Mélenchon, on prend !” D’autres ont refusé par principe », raconte le distributeur.

Paradoxalement, à Paris, c’est le puissant UGC Ciné Cité-Les Halles qui sortira L’Insoumis, et non le MK2-Beaubourg. Le directeur général du MK2, Nathanaël Karmitz, s’explique : « Il n’y a aucune volonté de censure de notre part. On a nos habitudes avec Jour2Fête, alors on s’était dit pourquoi pas L’Insoumis. On avait programmé Merci patron ! et La Sociale au MK2, avec de nombreux débats. Nous avons donc visionné L’Insoumis. Ce documentaire rejoue la campagne, et on n’a pas à rejouer la campagne en salle », estime-t-il.

Mélenchon, on l’aime ou pas. Chez les exploitants art et essai, qui votent plutôt à gauche, c’est pareil. L’Insoumis ravive les cicatrices encore fraîches de la présidentielle de 2017 : la gauche n’a pas réussi à s’unir, puis communistes et mélenchonistes ont réglé leurs comptes aux législatives… Certes, il y a les exploitants qui ont visionné le film et ne l’ont pas aimé. Mais il y a aussi ceux qui redoutent de le programmer, de peur de déplaire à l’élu local : c’est le cas dans cette ville du Pas-de-Calais où le responsable cinéma hésite encore, tant le maire socialiste est un ennemi juré de Mélenchon. A Dunkerque, dans le Nord, une exploitante a préféré réunir le conseil d’administration du cinéma, où siègent des élus, pour valider la programmation du film. « Je m’attendais à une sortie classique, avec les soutiens traditionnels. Mais peu d’exploitants se sont manifestés pour prendre le film », confirme David Broutin, qui organise les projections pour une trentaine de salles de proximité du Nord et du Pas-de-Calais, au sein de son association, De la suite dans les images.

Dans certaines villes, la situation se débloque. Pendant des semaines, il n’y avait pas une salle preneuse à Toulouse, où Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle (29,17 % des voix). Finalement, l’American Cosmograph (ex-Utopia) s’est porté candidat. En tout, le distributeur Etienne Ollagnier vise une sortie « dans une quarantaine de salles : à Lille, Lyon, Nantes, Rennes, Strasbourg, Grenoble, Montreuil, Nîmes, Perpignan, Hérouville-Saint-Clair… » et se réjouit quand même car, « au fil des avant-premières, le profil des spectateurs s’élargit, au-delà du cercle des partisans de Mélenchon ». Le réalisateur Gilles Perret, lui, souffle : « Il nous reste dix jours avant la sortie… », et traîne de ville en ville sa valise à roulettes, remplie de DVD de ses anciens films. Comme une carte de visite.

Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/linsoumis et www.facebook.com/filmlinsoumis

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