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Jours tranquilles à Paris
16 février 2018

Xavier Legrand, un tragédien derrière la caméra

Par Laurent Carpentier - Le Monde

Le réalisateur de « Jusqu’à la garde », âgé de 38 ans, s’est formé sur les scènes de théâtre.

A la Mostra de Venise, quand Benoît Jacquot lui a remis, en septembre 2017, le Prix du meilleur premier film, sa lèvre a tremblé. Mais quand, ensuite, ­Annette Bening lui a tendu le Lion d’argent du meilleur réalisateur et qu’il a vu son jeune acteur, ­Thomas Gioria, 14 ans, pleurer dans la salle, les larmes de Xavier Legrand ont débordé. Prix du ­public à San Sebastian, à Angers… Son long-métrage, Jusqu’à la garde, est en train de suivre le même parcours incroyable que son unique essai précédent, un court-métrage de vingt-deux minutes, Avant que de tout perdre, qui, en 2014, avait raflé les prix, dont le César du court-métrage, jusqu’à être nommé aux Oscars…

Xavier Legrand. Yeux marron, barbe bien taillée, petit blouson, 38 ans. Comédien de théâtre. « J’ai toujours été passionné par les tragédies, raconte-t-il. Entre deux spectacles dans les villes où je tournais, quand tu te retrouves le soir seul dans des chambres d’hôtel… J’ai eu envie d’écrire pour le théâtre. Les Atrides, Médée, les liens du sang, les drames de famille… l’équivalent contemporain de la tragédie, aujourd’hui, c’est la violence conjugale. Ce faisant, j’ai réalisé que mon écriture était liée à l’image. D’où l’idée d’un film. Aujourd’hui, cela fait dix ans que j’ai commencé à travailler dessus. C’était en 2008. »

« Etre un miroir, un vecteur »

Le long-métrage est la suite du court : thriller sobre et terrifiant sur les violences faites aux femmes, qui résonne avec l’actualité. Et, au milieu de tout ça, un gamin pris en otage. « Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint en France », dit le cinéaste, qui a pris le temps d’enquêter, de rencontrer des ­victimes et des bourreaux, des sociologues et des juges, de passer des nuits avec la police.

« Or le pouvoir, la vengeance, l’honneur, l’idée qu’il est préférable que la mort nous sépare plutôt que, toi, tu t’en ailles… Toutes ces thématiques de la tragédie, on les retrouve dans la violence conjugale. »

Vécu intime ? Fausse piste. Mère infirmière, père surveillant-chef dans les prisons de France. Une grande sœur, un demi-frère. Une séparation, certes, mais sans ­violence. En CM1, la maîtresse demande au petit Xavier de jouer un gamin en chaise roulante devant un public d’enfants qui le sont, eux, réellement. « Voir ces enfants qui avaient le même âge que moi rire en me regardant, moi le valide, qui les représentais, j’ai eu l’impression d’être un miroir, un vecteur, de servir à quelque chose, ça m’a marqué. » Il demande à ses parents de l’inscrire à des cours de théâtre.

Xavier Legrand ne quittera plus les tréteaux. D’Amiens, où il fait ses classes (et où on peut le voir cette semaine à la Comédie de ­Picardie au côté d’Anna Mou­glalis, dans Mademoiselle Julie, de ­Strindberg, mis en scène par ­Gaëtan Vassart), on le retrouve au conservatoire du 5e arrondis­sement de Paris, où il croise Jeanne Candel, Samuel Achache… avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur. Depuis, il ­arpente la France, on le verra au TNS de Strasbourg, au TNP de ­Villeurbanne…

« IL A FALLU ENTRER DANS LA PEAU DE LA VIOLENCE CONJUGALE, ALLER CHERCHER LA TERREUR DU RÉEL… APRÈS, IL FAUT EN SORTIR. MON FILM EST FINI DEPUIS UN AN ; DEPUIS, J’AI JOUÉ AU THÉÂTRE, JE SUIS PASSÉ À AUTRE CHOSE »

Au cinéma, il n’aligne que de ­rares seconds rôles (Les Mains ­libres, de Brigitte Sy, Les Amants ­réguliers, de Philippe Garrel…). Il ­affiche son absence de cinéphilie, n’en conçoit ni honte ni fierté. « Il y a plein de cinéastes à la filmographie hallucinante que je ne connais pas du tout. Pialat, par exemple. » Autant dire : un ovni dans le paysage, qui doit beaucoup à Alexandre Gavras, le fils aîné de Costa-Gavras. Celui-ci était venu au TNS ­filmer La Cerisaie, sur laquelle Xavier Legrand assistait ­Julie Brochen à la mise en scène. Ils ont sympathisé. Xavier ­Legrand lui a montré son projet. Alexandre Gavras avait envie de se lancer dans la production… Pour eux deux, ce fut « le bal des débutantes », ironise le réalisateur, qui s’est attelé à l’écriture d’un deuxième long-métrage : « Pas une tragédie… » Plutôt une comédie ? « Noire. »

L’homme est poli, souriant, aimable, heureux de cette histoire qui s’ouvre à lui, mais, comme ­l’enfant du film, on le sent « en hypervigilance ». ­ « J’accueille les accidents et les contraintes avec calme, se défend-il. Mais, c’est vrai, je savais ce que je voulais, les cadres, les sons, tout était à l’écriture. Je suis un méticuleux. Julie Brochen me dit toujours : “On voit quand tu joues que tu es quelqu’un qui écrit.” »

Sa peur de « spoiler » le dénouement fait écho à son quant-à-soi. Il se méfie des sous-titres narratifs comme des intrusions dans son intimité. « Il a fallu entrer dans la peau de la violence conjugale, aller chercher la terreur du réel… Après, il faut en sortir. Mon film est fini depuis un an ; depuis, j’ai joué au théâtre, je suis passé à autre chose. » Il est à l’image de son film, sans musique qui annonce l’effroi, sans dialogue qui éclaircit l’ellipse…

« Il faut avoir confiance dans le spectateur. Moi, quand je regarde un film, j’aime travailler. Si je ne travaille pas, je m’ennuie, je m’endors ou je m’en vais. »

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