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Jours tranquilles à Paris
8 avril 2018

De l’île de la Cité aux Batignolles, les dernières chroniques du Palais de justice

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Par Pascale Robert-Diard - Le Monde

Le Palais de justice de Paris déménagera mi-avril pour un bâtiment ultramoderne situé dans le 17e arrondissement. Pascale Robert-Diard, la chroniqueuse judiciaire du « Monde », se remémore quinze années passées à arpenter couloirs et salles d’audience.

Je me suis résolue il y a quelques mois à changer la photo de ma carte de membre de l’association de la presse judiciaire, je surprenais trop souvent l’étonnement du garde à l’entrée, lorsqu’il abaissait les yeux sur le cliché et les relevait sur moi. La photo datait de quinze ans. Pour situer, elle avait connu la réélection de Jacques Chirac à la présidence de la République, la fin du franc et Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.

A l’époque, l’avocat Jacques Vergès s’amusait de la terreur qu’il suscitait et la notoriété d’Eric Dupond-Moretti ne dépassait pas l’arrondissement de Lille. Au deuxième étage de la prison de la Santé, Alfred Sirven, tout juste arrêté après une longue cavale aux Philippines, attendait son procès dans l’affaire Elf en jouant aux cartes avec l’ancien préfet de police Maurice Papon et Jacques Crozemarie, l’ex-président de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC).

Dans les cabinets des juges d’instruction, les avocats de voyous – Pierre Haïk, Thierry Herzog, Jean-Yves Le Borgne, Patrick Maisonneuve, Olivier Metzner, Francis Szpiner, Hervé Temime – reconvertis en avocats des puissants ferraillaient dans les dossiers politico-financiers qui menaçaient tout l’échiquier politique et une poignée de grands patrons. Jérôme Kerviel devenait assistant tradeur à la Société générale. Charlie Hebdo publiait un hors-série titré 10 ans de bonheur. Tous ces noms-là et des centaines d’autres – célèbres et anonymes – allaient bientôt noircir mes carnets.

Lorsque j’ai franchi pour la première fois les grilles, je me souvenais de ces lignes du chroniqueur judiciaire Jean-Paul Lacroix, dans son Palais indiscret (1965) : « Le palais est notre sixième scène nationale. On y joue tous les jours en matinée, la tragédie et le vaudeville. Et pas en alternance, comme au Français, simultanément. »

A l’heure où le tribunal de grande instance de Paris fait ses cartons pour s’installer dans le futur Palais des Batignolles, j’ai trié les miens. Il en reste des images, des mots, des visages, du droit et du tors, du léger et du grave.

Crème fouettée et ego exacerbé

« Une tarte à la crème peut-elle être une arme par destination ? » L’affaire était sérieuse. La tarte avait visé et atteint un candidat à la présidence de la République pendant la campagne électorale de 2002. L’auteur de l’attentat pâtissier se défendait en expliquant que « l’épaisseur de la crème fouettée formant coussin était justement destinée à ne pas blesser ». Il n’était question, expliquait-il, que de « faire bobo à l’ego exacerbé de nos victimes ».

Jean-Pierre Chevènement était le dernier arrivé sur une liste qui comptait déjà une bonne dizaine de personnalités, dont Bernard-Henri Lévy, Bill Gates et Nicolas Sarkozy. La 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris a considéré que « le fait de voir arriver sur soi, par surprise, et de recevoir un projectile, fut-ce une tarte à la crème, constitue une violence qui au-delà de l’atteinte physique est de nature à provoquer un choc émotif ». L’entarteur Noël Godin a été condamné à 800 euros d’amende pour « violences volontaires avec préméditation ».

La conscience du gendarme

En ce même mois de septembre 2002, la cour d’assises spéciale de Paris jugeait deux hommes, accusés d’avoir commis les attentats de l’été 1995 dans le RER à Paris. Huit morts, deux cents blessés. Un gendarme est venu témoigner. Je ne me souviens plus de son visage, je me rappelle seulement qu’il était costaud et qu’il portait une épouvantable cravate à fleurs qui n’allait pas du tout avec son costume, qui n’allait avec rien d’ailleurs. Il avait raconté que, ce 25 juillet 1995, entre gare du Nord et Châtelet, il avait aperçu deux, puis trois hommes fébriles dans le RER, dont l’un portait un gros sac noir qu’il avait déposé vite, très vite, avant de descendre sur le quai. Quelques minutes plus tard, à Saint-Michel, la rame explosait.

Le gendarme avait vu les poseurs de bombe, il pouvait décrire précisément leurs visages, leurs vêtements. Seulement voilà, il n’aurait pas dû être là ce jour-là, à cette heure-là. Il était venu avec sa maîtresse à Paris, son épouse le croyait en Bretagne. Le gendarme savait que, dans une enquête, beaucoup peut se jouer sur un témoignage. Le mari savait que, s’il lui avouait son escapade, sa femme le quitterait. Il avait dit tout cela devant la cour d’assises : la nuit blanche, le cas de conscience, sa décision de parler qui a fait avancer l’enquête, le divorce qu’elle a entraîné. Une giclée de vie ordinaire sur un champ de morts.

Alfred Sirven rend la monnaie

C’est à la buvette du Palais que j’ai vu pour la première fois le rose mauve d’un billet de 500 euros, un matin de novembre 2004. Celui qui le tendait pour régler les trois cafés qu’il avait partagés avec ses avocats et souriait de l’ébahissement de Magali, la serveuse, s’appelait Alfred Sirven.

L’Alfred Sirven de l’affaire Elf, 305 millions d’euros détournés, l’un des plus gros scandales financiers de la Ve République. Celui qui, à son retour de cavale, disait qu’il avait de quoi la faire sauter dix fois, mais qui s’était toujours gardé de livrer les noms des hommes politiques auxquels il avait donné de l’argent.

Alfred Sirven était sorti de prison depuis peu, il avait fait appel de la peine de cinq ans à laquelle le tribunal l’avait condamné. En haut, dans la salle d’audience de la cour d’appel, l’avocat général venait d’en requérir huit contre lui, « le chef des pirates montés à l’abordage d’Elf ». Alfred Sirven est mort trois mois plus tard d’une crise cardiaque, à 78 ans, sans attendre le délibéré.

La politique de la chaise vide

Ils sont quarante-sept prévenus, en ce printemps 2005, à se partager les premiers bancs de la salle des criées, où l’on juge le dossier des marchés publics d’Ile-de-France, l’une des multiples affaires qui a révélé les liens incestueux entre entreprises et partis politiques à la fin des années 1980 et au début des années 1990. A l’époque, Jacques Chirac était maire de Paris et président du RPR. Michel Roussin était son directeur de cabinet. Au moment où le procès s’ouvre, le premier est à l’Elysée, le second n’est plus rien.

« Il est des silences d’honneur que l’on doit porter comme un véritable cilice », lui lance le procureur avant de requérir contre lui quatre ans d’emprisonnement avec sursis. Il ajoute : « Il y a effectivement, dans ce procès, des chaises vides sur lesquelles on aurait pu mettre des étiquettes avec des noms, comme les prie-Dieu dans les églises. Ce sont d’ailleurs souvent ceux des paroissiens les plus illustres qui ne sont pas les plus assidus aux offices. »

Six ans passent. Jacques Chirac n’est plus président. Les juges ont attendu la fin de son immunité pour qu’il réponde des délits d’« abus de confiance », de « détournement de fonds publics » et « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire des emplois fictifs du RPR.

Au premier jour du procès, en septembre 2011, une seule chaise reste vide face au tribunal. Sur le dossier de velours mordoré, on a épinglé un papier blanc portant en grosses lettres le nom de l’ancien président. Jacques Chirac ne comparaîtra pas. Pour raisons médicales, annoncent ses avocats. Pour lui épargner l’humiliation de la photo le montrant s’engouffrer au soir de sa vie dans le Palais de justice, avait tranché depuis longtemps son entourage.

« La condamnation historique de Jacques Chirac » titre à sa « une » Le Monde du 17 décembre, qui rapporte le jugement prononçant deux ans d’emprisonnement avec sursis contre l’ancien président. Le texte est là, l’image manque, c’est elle qui aurait fait l’histoire. Jacques Chirac aura été jusqu’au bout l’absent de ses procès.

Concordance des temps et désirs de Lacan

Un long couloir, des toilettes publiques hors d’usage, une double porte battante. En bas, sous une lumière jaune et sale, la 23e chambre tourne comme chaque jour à plein régime. Par fournée de cinq ou six, on amène dans le box ceux qui vont être jugés en comparution immédiate. Cliquetis des menottes qu’on retire. Gueules hirsutes et blêmes de ceux qui sortent tout juste de garde à vue. Vingt, trente minutes par personne. Au suivant !

En haut, à la 17e, deux femmes élégantes se jaugent. L’une vêtue de noir, visage cadenassé, lame échappée d’un atelier de Giacometti, l’autre virevoltante et passionnée. Il y a entre elles cette tension – rage, mépris et répulsion mêlés – que l’on ne trouve d’ordinaire qu’aux assises.

Le délit se niche en réalité dans une phrase au plus-que-parfait du subjonctif à propos des dernières volontés de Jacques Lacan. Elle figure dans l’essai que l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco lui consacre : « Bien qu’il eût émis le vœu de finir ses jours en Italie, à Rome ou à Venise et qu’il eût souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière de Guitrancourt [Yvelines]. »

L’évocation d’un vague souhait de funérailles catholiques exaspère au plus haut point la fille de Jacques Lacan, Judith Miller, qui juge la phrase diffamatoire. Le débat dure trois heures. L’avocat d’Elisabeth Roudinesco, Me Georges Kiejman, qui connaît son Grevisse, assure que le plus-que-parfait du subjonctif « peut avoir une valeur indicative ou conditionnelle sans que rien ne permette de distinguer ces deux modes. Le doute, fût-il grammatical, doit bénéficier à l’accusé ! » Ce sera le cas. En bas, à la 23e, on conduit une nouvelle fournée dans la machine à juger.

Un justiciable nommé Sarkozy

On a beaucoup entendu le nom de Sarkozy de Nagy-Bocsa au tribunal entre 2007 et 2012. La première fois, c’était en janvier 2008. Le président de la République et sa (future) épouse Carla Bruni poursuivaient en référé la compagnie Ryanair, qui avait eu la fâcheuse idée d’utiliser une photo du couple en illustration d’une publicité proclamant : « Avec Ryanair, toute ma famille peut venir assister à mon mariage ». La compagnie a été reconnue coupable d’atteinte à leur droit à l’image et a été condamnée à verser un euro de préjudice au président et 60 000 à Carla Bruni. Elle s’est engagée à les reverser aux Restos du cœur.

Quelques mois plus tard, la vente de poupées vaudoues à l’effigie de Nicolas Sarkozy suscite à nouveau la colère présidentielle et l’incite à des poursuites judiciaires. Débouté par le tribunal – une première pour un président –, il obtient partiellement gain de cause en appel.

Et puis vient le procès Clearstream, dans lequel le président de la République est partie civile. Avant d’entrer, le 21 septembre 2009, dans la salle d’audience qui allait le juger pendant trois semaines, aux côtés de quatre autres prévenus, l’ancien premier ministre Dominique de Villepin se présente avec toute sa famille devant les caméras. « Je suis ici par la volonté d’un homme, je suis ici par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy, qui est aussi président de la République française. J’en sortirai libre et blanchi au nom du peuple français. »

Il confiera plus tard que, pendant que les autres prévenus étaient interrogés, il se récitait du Rimbaud et comptait les caissons et les bougies des lustres de la première chambre. Le 28 janvier 2010, le tribunal relaxe Dominique de Villepin. C’est le jour de l’anniversaire du président.

Et le préjudice écologique fit surface…

C’est une simple phrase qui figure page 236 du jugement rendu le 16 janvier 2008 dans l’affaire de l’Erika, le pétrolier qui avait fait naufrage au large des côtes bretonnes : « Les collectivités territoriales qui reçoivent de la loi une compétence spéciale en matière d’environnement leur conférant une responsabilité particulière pour la protection, la gestion et la conservation d’un territoire peuvent demander réparation d’une atteinte causée à l’environnement sur ce territoire. »

Elle signe une révolution. La 16e chambre du tribunal correctionnel, présidée par Jean-Baptiste Parlos, vient de faire entrer la notion de préjudice écologique dans le droit français. Depuis la loi du 8 août 2016, elle est consacrée dans le code civil.

« Bad-boy » ou bon père de famille, l’effet Placebo

Brian Molko, le chanteur de rock du groupe Placebo, se sent outragé. L’hebdomadaire Voici a osé le présenter, lui, l’androgyne sulfureux, le provocateur-né, en bon père de famille qui, le dimanche, promène son bébé en poussette dans les allées du zoo de Vincennes. Il ne manque que le pull noué autour du cou et le monospace.

Le chanteur s’est donc adressé au tribunal pour lui demander de condamner l’irrespectueux magazine à respecter son droit à ne paraître qu’affreux, sale et méchant. Il estime son préjudice à 8 000 euros pour « atteinte à son image de marginal ».

Dans son jugement, rendu en mai 2007, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris a considéré que le délit d’atteinte à la vie privée était constitué et a condamné la société Prisma Presse à payer 4 000 euros de dommages et intérêts au chanteur et 3 000 euros à sa compagne. Le tribunal a, en revanche, estimé que le « préjudice professionnel » que représentait, pour le chanteur androgyne et bisexuel revendiqué, l’image commercialement désastreuse de bon père de famille n’était pas démontré.

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Un peu de miséricorde au dépôt

Elles étaient là depuis cent cinquante ans. Elles vivaient dans les locaux du dépôt, dormant dans des cellules identiques à celles occupées par les détenues. Un lit, une table, une chaise, une armoire et des sanitaires communs dans le couloir. En avril 2013, les cinq dernières religieuses de Marie-Joseph et de la Miséricorde ont quitté le Palais.

Des erreurs, des excuses, des pardons

Ce jour de juin 2011, on parlait anglais à la 17e chambre. Devant plus d’une centaine de journalistes, dont plusieurs envoyés spéciaux de l’étranger, la présidente Anne-Marie Sauteraud égrenait avec un infini sérieux les raisons pour lesquelles John Galliano comparaissait devant le tribunal.

« Fucking asian bastard », « fucking ugly jewish bitch » – elle prononçait « fûque » –, puis en version française (« enculé de bâtard asiatique », « enculée de pute juive moche »), pour les principales injures publiques que l’ex-icône mondiale de la mode avait proférées à l’adresse de sa voisine de terrasse d’un café parisien, un soir où il avait beaucoup bu. « Vous auriez également dit : “Tu as des bottes bas de gamme, des cuisses bas de gamme, tes cheveux sont immondes, ta voix est horrible” et “J’aime Hitler”. »

John Galliano a expliqué d’une voix faible qu’il avait à l’époque « une triple dépendance à l’alcool, aux somnifères et au Valium » et qu’il était depuis en cure de désintoxication. Il s’est excusé – « Je n’ai jamais eu ces pensées. Il suffit de regarder mon œuvre » – et excusé encore. L’audience, live-tweetée et internationalement diffusée, a duré six heures. C’était vulgaire et démesuré, c’était l’actualité.

Au même moment, il se passait quelque chose d’exceptionnel dans la salle de la cour d’assises, juste au-dessous. A son procès en révision, Loïc Sécher, un ancien ouvrier agricole, écoutait, résigné et sans haine, une jeune femme de 24 ans expliquer à huis clos, en tremblant, les raisons pour lesquelles, dix ans plus tôt, elle l’avait accusé de viols qu’il n’avait pas commis. Elle disait qu’elle avait préféré mentir sur la culpabilité d’un homme plutôt que de trahir ceux qui avaient mis leur confiance en elle : ses parents, ses professeurs de collège, puis les gendarmes, le juge, les experts et les jurés de deux cours d’assises qui ont condamné Loïc Sécher à seize ans de prison.

Il a écouté encore les parents de la jeune femme, qui avaient « suggéré » son nom à leur fille, lui présenter leurs excuses. Il avait déjà entendu, depuis lundi, le récit glaçant – témoignage après témoignage – du mécanisme qui l’avait broyé. Il ne lui restait plus qu’à assister au réquisitoire de l’avocat général François-Louis Coste, qui allait requérir solennellement son acquittement et expliquer comment et pourquoi la justice s’était trompée. Loïc Sécher a passé sept ans derrière les barreaux. « 2 655 jours », a-t-il dit.

Entre la satire et la terreur

Il a beau faire le fier avec ses siècles et sa devise – « Hora fugit, stat jus », l’heure passe, la justice demeure –, quinze années l’ont changé lui aussi. Depuis les attentats de novembre 2015, le Palais n’est plus le même. Il s’est hérissé de barrières, de contrôles et d’hommes en armes. Les deux portes qui ouvraient sur le triangle de la place Dauphine et par lesquelles on s’échappait quand la tension des assises devenait trop forte, sont désormais condamnées.

L’air était encore léger ce jour où, en 2002, Michel Houellebecq comparaissait devant la 17e chambre à la requête d’associations musulmanes pour avoir déclaré au micro d’une radio que « la religion la plus con, c’est quand même l’islam ». De l’auteur de Plateforme, on n’avait entendu que de vagues borborygmes – « Ouiche, bon, si vous voulez » –, mais son ami écrivain Fernando Arrabal avait assuré le spectacle.

Interrogé sur sa profession, il avait répondu « piéton », s’était indigné qu’on lui demandât de dire « je le jure » – « Oh ! Mais c’est très fort, je le jure. Est-ce que je peux dire, je promets ? » – et, évoquant Socrate condamné à boire la ciguë, avait joint le geste à la parole en extirpant de sa poche une fiole de whisky : « A votre santé, Monsieur le président ! » Michel Houellebecq avait été relaxé.

Cinq ans plus tard, au printemps 2007, après deux jours de débats enfiévrés, d’interpellations cabotines, de tensions, de fous rires et de fureur, cette même chambre prononçait la relaxe de Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures de Mahomet : « Attendu que Charlie Hebdo est un journal satirique que personne n’est obligé d’acheter ou de lire ; attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique. Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à la liberté d’expression (…) Attendu que [les dessins poursuivis] ne constituent pas une injure justifiant, dans une société démocratique, une limitation du libre exercice du droit d’expression. »

Sa voisine du dessous, la 16e, consacre désormais une bonne part de ses audiences aux délits terroristes les moins graves. Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, le code pénal s’est enrichi d’un article 421-2-5, qui punit « le fait de provoquer directement des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende – sept ans et 100 000 euros si les faits sont commis en utilisant un service de communication public en ligne.

Les box des prévenus sont devenus des cages de verre. C’est là que le trop célèbre Jawad Bendaoud, le « logeur » des terroristes du Bataclan, a été jugé en février pour les faits de « recel de complicité de terrorisme » dont il était accusé. L’accusation avait requis quatre ans de prison. Le tribunal a prononcé sa relaxe. Hora fugit, stat jus.

Au procès d’Abdelkader Merah – frère de l’auteur des attaques terroristes de Toulouse et de Montauban en 2012, Mohammed Merah –, qui s’est tenu à l’automne 2017, devant la cour d’assises spéciale de Paris, deux gardes du corps veillaient sur le dessinateur de Charlie Hebdo, Riss, qui croquait les audiences. Deux autres accompagnent au quotidien Me Richard Malka, qui avait défendu l’hebdomadaire dans l’affaire des caricatures de Mahomet.

« Paris ! Le Palais ! C’est là qu’ardente, étrange, fanatique ou sceptique, sournoise ou effrénée, s’agite, palpite, s’égare la moitié de l’histoire intime de la France, écrivait en 1919 René Benjamin dans Le Palais et ses gens. Dans les flancs d’une nef, immense, bourdonnante d’avocats, s’ouvrent des chambres plus dissemblables que leurs juges. Les unes rôtissent en plein soleil ; d’autres moisissent dans l’ombre, celle-ci est opulente et vaste ; celle-là pouilleuse et étriquée (…). Il n’est pas l’œuvre d’un homme ni d’une génération : c’est le monument d’un peuple. On l’a commencé il y a sept cents ans, il se termine à peine. Le feu l’a ravagé, les greffiers étouffant dans leurs paperasses, font des vœux pour qu’il brûle encore. On l’élargira, on le rajeunira… » Et on le déménagera.

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Aux Batignolles

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