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Jours tranquilles à Paris
11 avril 2018

Facebook

Affaire Cambridge Analytica

Facebook : face au Congrès américain, la stratégie des excuses ne suffit plus

Par Morgane Tual - Le Monde

Après avoir affronté les sénateurs, Mark Zuckerberg s’est présenté mercredi devant les élus de la Chambre des représentants. Un exercice plus ardu, avec des interlocuteurs plus tenaces.

Le ton s’est durci, mercredi 11 avril après-midi, lors de la deuxième audition de Mark Zuckerberg au Congrès des Etats-Unis. La veille, le patron et fondateur de Facebook avait affronté pendant cinq heures les questions des sénateurs américains, pour s’expliquer sur la responsabilité de son réseau social, après le scandale Cambridge Analytica, dans lequel les données de 87 millions d’utilisateurs ont été siphonnées. Mercredi, le trentenaire se présentait cette fois devant les élus de la Chambre des représentants.

Si sa première prestation a été considérée comme une réussite face aux questions, souvent mal informées, des sénateurs, M. Zuckerberg s’est retrouvé confronté, le lendemain, à des interlocuteurs plus coriaces – et qui connaissaient mieux leurs dossiers.

Questions insistantes, relances acerbes

Comme le démocrate Ben Lujan (Nouveau-Mexique), qui s’est fait remarquer lors d’une déclaration musclée sur la façon dont Facebook collecte les données des internautes, même si ceux-ci ne sont pas inscrits sur le réseau social. « Nous collectons [ces données] pour des raisons de sécurité », s’est défendu Mark Zuckerberg. « Est-ce que quelqu’un qui n’a pas de compte Facebook peut demander à Facebook de cesser cette collecte ? », a demandé, avec une fausse innocence, l’élu – la ligne de défense du PDG consiste à répéter que les utilisateurs ont un total contrôle sur la collecte de leurs données.

« Donc, vous dites à des gens qui n’ont même pas de compte Facebook de s’inscrire à Facebook pour pouvoir accéder à leurs données… »

Les bribes de réponse apportées par Mark Zuckeberg n’ont pas suffi à convaincre.

Questions insistantes, répétées, plus concrètes, précises, relances acerbes… Le patron de Facebook a sans cesse été coupé, les parlementaires refusant de se laisser endormir par des digressions. « Oui ou non ? », ont-ils souvent interrompu leur interlocuteur.

Mark Zuckeberg, qui s’était minutieusement préparé à ces deux épreuves, a semblé cette fois prendre sur lui pour ne pas laisser poindre son exaspération.

Sa feuille de route : garder son calme, se montrer poli, respectueux – chacune de ses interventions commençait par un poli « M. le représentant » ou « Mme la représentante » –, ne pas faire d’esprit… Et surtout, surtout, reconnaître humblement ses erreurs.

« En quoi les excuses d’aujourd’hui sont-elles différentes ? »

C’est d’ailleurs de cette manière que Mark Zuckerberg a introduit ses deux interventions :

« Nous n’avons pas fait assez pour empêcher ces outils d’être utilisés à mauvais escient. Nous n’avons pas pris suffisamment conscience de notre responsabilité, et c’était une énorme erreur. C’était mon erreur, et je vous présente mes excuses. »

Une habitude chez Facebook : à chaque crise, l’entreprise présente ses excuses, puis annonce une série de mesures et promet que cela ne se reproduira plus. Mais après bientôt quinze ans d’existence, il semblerait que cette stratégie ne suffise plus à apaiser, voire duper, les élus américains.

« Vous avez une longue histoire de croissance et de succès, mais vous avez aussi une longue liste d’excuses, qui ont commencé en 2003 à Harvard », a ainsi lancé la démocrate Jan Schakowsky (Illinois), en référence au site créé par l’étudiant Zuckerberg qui permettait alors de comparer le physique des étudiantes. A l’époque, il avait déjà battre sa coulpe : « Je m’excuse pour tout le mal qu’a pu causer ma négligence. » Elle poursuit, déroulant la liste des excuses de Mark Zuckerberg :

« – 2006 : “nous avons vraiment fait une erreur”.

– 2007 : “nous avons fait du mauvais travail, je m’excuse”.

– 2010 : “parfois nous allons trop vite”.

– 2011 : “je suis le premier à admettre que nous avons fait pas mal d’erreurs”.

– 2017 : “je vous demande de me pardonner, je vais faire en sorte de m’améliorer”. »

Pour elle, « cela prouve que l’autorégulation ne fonctionne pas ». La veille, plusieurs sénateurs avaient également dénoncé cette stratégie, comme le sénateur républicain John Thune (Dakota du Sud).

« Après plus d’une décennie passée à promettre que vous allez vous améliorer, en quoi les excuses d’aujourd’hui sont-elles différentes ? Et pourquoi devrions-nous croire Facebook, quand il nous dit qu’il fera les changements nécessaires pour sécuriser les données des utilisateurs ? »

Réponse du PDG : « Ces erreurs étaient différentes. Nous essayons de ne pas commettre les mêmes erreurs plusieurs fois. » « Arrêtez de vous excusez, et faisons en sorte que cela change », avait aussitôt enjoint la sénatrice démocrate du Nevada Catherine Cortez Masto.

Régulation « inévitable »

Changer les choses, certes, mais de qui est-ce vraiment la responsabilité ? La capacité de Facebook et des grandes plates-formes à s’autoréglementer ne semble plus convaincre. Et contrairement aux erreurs commises par le réseau social par le passé, l’interférence dans les élections américaines et le siphonnage de données de dizaines de millions d’Américains ont marqué une rupture pour les élus.

La menace de la régulation se fait plus pressante, et Mark Zuckerberg a laissé entendre face au Congrès qu’il n’y était pas fondamentalement opposé. « L’importance d’Internet grandit dans le monde et je pense qu’une certaine forme de régulation est inévitable », a-t-il déclaré mercredi, sans vouloir se montrer plus précis. « Mais il faut faire attention en la mettant en place, a-t-il poursuivi. Souvent les régulations appliquées font qu’une entreprise disposant de ressources telles que les nôtres peut les respecter mais pour des entreprises plus petites cela peut être plus difficile de le faire. »

Cela représente un changement de discours de la part de Facebook qui tente, depuis des années, d’éviter que les Etats ne légifèrent, et n’interfèrent dans ses activités.

Les données de Mark Zuckerberg aspirées

Cette deuxième audition fut toutefois pauvre en révélations – tout juste a-t-on appris que les données personnelles de Mark Zuckerberg lui-même avaient, elles aussi, été aspirées au profit de Cambridge Analytica.

Les questions, bien que plus pointues, ressemblaient pour la plupart à celles posées la veille par les sénateurs. Et les réponses, bien préparées, étaient parfois mot pour mot identiques.

Même si les sujets évoqués dépassaient, bien largement, les questions directement liées au scandale Cambridge Analytica – dont le nouveau PDG a d’ailleurs annoncé mercredi, en parallèle, quitter son poste.

Manque de diversité dans l’entreprise, possibilité d’achat de drogue via Facebook, usurpation d’identité, protection des enfants, liberté d’expression et même trafic d’ivoire dans des groupes privés… Mark Zuckerberg a dû répondre à des questions très variées. Tandis que d’autres, pourtant bien essentielles, restent invariablement en suspens.

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