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Jours tranquilles à Paris
19 avril 2018

Cuba ne sera plus dirigé par un Castro

Par Paulo A. Paranagua - Le Monde

Raul Castro, 86 ans, devrait céder, jeudi 19 avril, son fauteuil de président à son dauphin, Miguel Diaz-Canel, 57 ans. Bilan de dix ans de règne de Raul, qui reste à la tête du Parti communiste cubain.

Cuba ne sera plus dirigé par un Castro. Raul, 86 ans, général, ministre des Forces armées révolutionnaires (FAR) pendant un demi-siècle, puis successeur de son frère aîné Fidel (1926-2016), devait passer la main à la tête de l’Etat cubain, jeudi 19 avril, après avoir effectué deux mandats de cinq ans comme président du Conseil d’Etat et du conseil des ministres (2008-2018). Il avait lui-même établi une limite de deux mandats consécutifs de cinq ans pour la présidence.

C’est un événement historique : pour la première fois, un Castro ne tiendra pas le gouvernail du régime issu de la révolution de 1959. Raul Castro ne s’éloignera cependant pas du pouvoir, puisqu’il devrait continuer à occuper le poste clef de premier secrétaire du Parti communiste de Cuba (PCC, parti unique) jusqu’au prochain congrès prévu en 2021.

Mais le président ne cumulera pas ses fonctions avec celles de chef du parti. Le castrisme entame ainsi une relève générationnelle. Les commandants de la guérilla et les dirigeants de la « génération historique » font un pas de côté au profit de cadres nés après la prise de pouvoir par les Castro. Miguel Diaz-Canel, 57 ans, le successeur désigné, qui devrait être élu par l’Assemblée nationale cubaine jeudi au terme de deux jours de sessions, a fait sa carrière politique en province, avant d’être coopté par la direction du PCC.

« Nous sommes face à une succession sans transition, estime l’historien cubain Rafael Rojas, professeur invité à l’université de Yale (Etats-Unis). Cette succession autoritaire, où les Cubains n’ont pas eu leur mot à dire, ne s’accompagne pas d’une transition vers la démocratie. »

Transformation en profondeur

Les dix ans de présidence de Raul Castro ont transformé en profondeur la vie des Cubains, sans pour autant remettre en cause le castrisme. A en croire les officiels, les nombreux changements introduits constituent une simple « actualisation du modèle socialiste cubain ». La principale avancée a été le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, en 2015, après cinquante-cinq ans de guerre froide tropicale.

Même si l’embargo américain n’a pas été levé, l’ennemi héréditaire, cible de toutes les diatribes de Fidel Castro, devenait enfin un voisin fréquentable, dont le gouvernement cubain espérait attirer un maximum de touristes. La visite du président Barack Obama à La Havane, en 2016, souleva un immense espoir parmi les Cubains, qui affichèrent leur enthousiasme sans retenue : le drapeau américain s’exhibait sur les balcons, comme sur les vêtements ou les véhicules. Pour le professeur Rojas. « Le tournant diplomatique était en phase avec les changements internes à Cuba Lors de sa visite à La Havane. »

« Obama appuya les autoentrepreneurs et la société civile émergente. Au point que les secteurs les plus conservateurs et orthodoxes du PCC, craignant le surgissement d’une nouvelle bourgeoisie nationale, ont mis un frein aux réformes en cours. »

Le rétropédalage commence dès le lendemain du discours du président américain à La Havane, retransmis en direct par la télévision locale.

Raul Castro avait promis d’avancer « lentement mais sûrement » et d’en finir avec les interdictions « absurdes » qui compliquaient la vie des Cubains, mais faisaient partie de l’héritage laissé par Fidel. Depuis « l’offensive révolutionnaire » de 1968, tous les métiers et activités étaient exercés par des fonctionnaires. L’Etat-patron dominait toute l’économie et partant, toute la société. Pas moyen d’effectuer des travaux de plomberie ou de se faire une coupe de cheveux sans passer par un organisme public. Bien entendu, les Cubains ont vite trouvé le moyen de contourner la loi, quitte à être à la merci des Comités de défense de la révolution ou de l’omniprésente Sécurité de l’Etat, la police politique créée selon le modèle de la Stasi est-allemande.

Un secteur privé embryonnaire

Depuis 2010, l’autorisation d’exercice de 200 activités à son propre compte a permis de légaliser une bonne partie de l’économie souterraine et d’alléger par la même occasion le fardeau de l’Etat, sous tension depuis la disparition des subsides soviétiques. Plus d’un demi-million de Cubains sont devenus des cuentapropistas (« travailleurs à leur propre compte »), un euphémisme qui désigne des autoentrepreneurs pouvant embaucher un petit nombre de salariés. Ainsi, les fameux paladares (« restaurants privés ») prisés des touristes, sont-ils obligés d’avoir un nombre limité de couverts.

Le travail à son compte reste interdit aux médecins, aux informaticiens, aux journalistes, aux avocats, aux enseignants ou encore aux architectes. Il n’empêche, ce secteur privé embryonnaire, surtaxé et harcelé par les autorités, a connu une croissance exponentielle, même s’il représente encore une part infime du produit intérieur brut. Toutefois, après avoir accordé 580 000 licences, le gouvernement bloque les nouvelles autorisations depuis août 2017.

En 2008, Raul Castro avait autorisé les Cubains à fréquenter les hôtels et les restaurants jusqu’alors réservés aux étrangers, et à acquérir des téléphones portables ou des ordinateurs. Dix ans plus tard, on dénombre dans l’île 4,5 millions de mobiles (pour une population de 11 millions d’habitants). La cybersphère cubaine a acquis une réelle diversité, qui reste quasi inaccessible à cause de la faible connectivité à Internet. Les infos et les programmes franchissent néanmoins ce fossé via des mailings ou des clés USB : un paquete hebdomadaire avec un mélange de divertissement et de nouvelles circule au marché noir.

UN PAS ÉNORME A ÉTÉ FRANCHI AVEC LA

« RÉFORME MIGRATOIRE » DE 2013, C’EST-À-DIRE L’ABOLITION DU PERMIS DE SORTIE DU TERRITOIRE QUE DEVAIENT OBTENIR LES CUBAINS AVANT DE DE VOYAGER À L’ÉTRANGER

Depuis 2011, les Cubains peuvent enfin vendre et acheter des véhicules et des résidences. Cela a favorisé l’essor du marché immobilier dont témoignent les petites annonces sur Internet. Auparavant, les Cubains devaient recourir à la permuta (« échange ») s’ils voulaient déménager. Mais trouver un partenaire occupant un logement équivalent n’était pas aisé et beaucoup de transactions s’effectuaient grâce à des dessous-de-table versés aux autorités compétentes. A La Havane, sur le boulevard du Prado, un marché informel de la permuta se réunissait régulièrement. Maintenant, les opérations sont plus transparentes et les prix flambent.

Aussi spectaculaire que l’introduction du marché dans ces affaires est la « réforme migratoire » de 2013, c’est-à-dire l’abolition du permis de sortie du territoire que devaient obtenir les Cubains avant de voyager à l’étranger. Un pas énorme a été franchi vers la libre circulation, même si le gouvernement s’arroge le droit d’interdire le départ d’opposants. La Havane a également assoupli les conditions de résidence à l’étranger, qui peuvent se prolonger pendant deux ans. Une nouvelle catégorie d’expatriés flottants est ainsi apparue, qui font des allers-retours plus ou moins fréquents. « Les relations entre l’île et la diaspora sont devenues plus fluides », se réjouit Rafael Rojas, qui réside à Mexico. Néanmoins, les Cubano-Américains doivent recourir à leur passeport cubain, puisque la double nationalité n’est pas reconnue.

« Frein idéologique »

Malgré tout, la liberté d’aller et de venir n’est pas acquise. Les provinciaux n’ont pas le droit de s’installer à La Havane sans un permis spécial. Du coup, des milliers de migrants internes sont fragilisés, dans l’illégalité. Faute d’une résidence déclarée, ils sont privés aussi de la fameuse libreta, la carte de rationnement instaurée en 1963, que Raul Castro n’est pas parvenu a éliminer, même si elle ne satisfait plus qu’une part des besoins alimentaires.

Pour pallier les pénuries, des terres ont été remises à des agriculteurs en usufruit, depuis 2008, sans pour autant leur donner accès aux crédits, aux approvisionnements et aux débouchés qui permettraient leur essor. Résultat : le régime importe 80 % des denrées alimentaires, une facture qui pèse lourd, alors que plus de la moitié des terres sont en friche.

« LE FREIN AUX RÉFORMES EST PUREMENT IDÉOLOGIQUE », OMAR EVERLENY PÉREZ, EX- DIRECTEUR DU CENTRE D’ÉTUDES DE L’ÉCONOMIE CUBAINE À L’UNIVERSITÉ DE LA HAVANE

La dualité monétaire, c’est-à-dire l’existence simultanée d’un peso convertible en devises et d’un autre qui ne l’est pas, reste la grande impasse des réformes économiques. La consommation de ceux qui ont accès au dollar, par leur travail ou grâce aux remesas (les fonds envoyés par les expatriés à leurs proches), diffère radicalement des privations subies par ceux qui doivent se contenter d’un revenu en pesos non convertibles (le salaire moyen équivaut à 24 euros). L’ouverture économique a fracturé l’égalitarisme prôné par Fidel Castro et creusé les inégalités, sans pour autant permettre la croissance des forces productives.

9 940 interpellations ou arrestations d’opposants en 2016

« Le frein aux réformes est purement idéologique », assure Omar Everleny Pérez, ancien directeur du Centre d’études de l’économie cubaine auprès de l’université de La Havane. Le social est en panne sèche parce que l’économie est restée au milieu du gué. Contrairement aux « pays frères » comme la Chine ou le Vietnam, à Cuba la conversion au marché relève du non-dit. Le secteur privé n’est pas reconnu par la Constitution.

De manière plus générale, toute initiative indépendante prise à l’égard du régime de parti unique est dans les limbes, dépourvue de sécurité juridique, à la merci de l’arbitraire et de l’improvisation du pouvoir. Alors que le régime se défausse sur l’embargo américain, les Cubains raillent « l’auto blocus », l’immobilisme. « Raul Castro a gouverné de manière plus collégiale et institutionnelle, plus pragmatique et moins volontariste que son frère Fidel », admet néanmoins M. Rojas.

Toutefois, trois grandes réformes politiques dont la nécessité a été évoquée en haut lieu sont restées lettre morte : la législation sur les associations, qui verrouille tout regroupement autonome ; la loi électorale, qui empêche des candidatures pluralistes, comme l’ont prouvé les élections municipales de novembre 2017 ; enfin, le monopole du PCC sur les médias, ce qu’explique M. Rojas.

« Le verrouillage politique et la répression préventive systématique visent à réduire les espaces de sociabilité et la convergence entre l’opposition traditionnelle et la jeunesse activiste qui cherche à élargir les libertés publiques. »

La Commission cubaine pour les droits de l’homme et la réconciliation nationale a enregistré un pic de 9 940 interpellations ou arrestations d’opposants en 2016.

Raul Castro a placé des officiers supérieurs des FAR, des « raulistas », à la tête des principaux leviers économiques, y compris le tourisme. Le PCC ne partage pas la moindre parcelle de pouvoir politique. Le castrisme aurait-il procédé comme le Guépard du roman de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change » ?

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