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Jours tranquilles à Paris
25 avril 2018

Le rendez-vous du Congrès des Etats-Unis, un exercice prisé par les présidents français

Par Solenn de Royer, envoyée spéciale à Washington, Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

58 ans jour pour jour après Charles de Gaulle, Emmanuel Macron s’exprimera, mercredi 25 avril à Washington, devant les Représentants et les Sénateurs américains.

Tous les présidents de la République française invités à s’exprimer devant le Congrès des Etats-Unis, un exercice auquel seul François Hollande a dérogé, ont eu à méditer la formule de William Shakespeare, « le passé est un prologue », rappelée par Valéry Giscard d’Estaing en 1976. Tous se sont en effet appuyés sur plus de deux siècles d’histoire commune pour tracer la voie d’un avenir commun aux deux pays, ou insister sur leurs intérêts partagés.

A son tour, Emmanuel Macron s’exprimera mercredi 25 avril pendant une demi-heure environ. En anglais, une première. Il évoquera les relations bilatérales entre la France et les Etats-Unis, des liens « ancrés dans une longue histoire d’amitié de près de 250 ans » qui furent marqués par les « combats communs pour la liberté et les valeurs démocratiques ». Une histoire qui s’est ensuite « enrichie » de divers échanges, sur le plan culturel, scientifique, économique ou encore politique.

Face à la multiplication des défis, comme la dégradation de la planète, le terrorisme ou la montée des nationalismes, énumère-t-on à l’Elysée, le chef de l’Etat dira que les deux pays alliés « n’ont d’autre choix que de travailler ensemble, plus étroitement et intensément que jamais, pour réinventer l’ordre mondial du XXIe siècle ».

Emmanuel Macron, qui sera accueilli par Paul Ryan, « speaker » à la Chambre des représentants, interviendra cinquante-huit ans jour pour jour après Charles de Gaulle, qui avait alors rendu hommage à l’histoire commune de la France et des Etats-Unis et insisté sur l’importance des liens entre les deux pays dans un contexte de fortes tensions entre l’Est et l’Ouest. « C’est grâce à l’organisation d’un ensemble européen de l’Ouest (qui comprend l’Allemagne fédérale), face au bloc construit par les Soviétiques, que pourra s’établir de l’Atlantique à l’Oural l’équilibre entre deux zones comparables par le nombre et les ressources », avait plaidé le Général.

De Gaulle se réfère à peine à son texte

Dans son compte rendu, daté du 27 avril 1960, Le Monde avait noté que « rarement le Capitole avait pris un pareil air de fête pour accueillir un hôte étranger ». « Quand le général de Gaulle, en complet gris foncé, fit son entrée à 12 h 30 dans la grande salle rectangulaire où se réunissent pour les grandes occasions les deux Chambres du Parlement, toute l’assistance debout applaudit frénétiquement », note l’envoyé spécial du journal, Jean Knecht.

Ce dernier précise que De Gaulle se réfère à peine à son texte, à la grande surprise d’une assistance « d’ordinaire plutôt blasé(e) », dont des journalistes américains « endurcis ». Lesquels, ajoute drôlement Le Monde, « ne sont évidemment pas aussi gâtés par l’éloquence de leurs hommes politiques ».

Avant Emmanuel Macron, c’est Nicolas Sarkozy qui s’était exprimé devant le Congrès des Etats-Unis, le 7 novembre 2007. « Avec ses amis, on peut avoir des divergences, on peut avoir des désaccords, on peut avoir des disputes. Mais dans la difficulté, dans l’épreuve, on est avec ses amis, on est à leurs côtés, on les soutient, on les aide », déclare-t-il alors. Il s’agit pour le président élu six mois auparavant de réparer une relation endommagée par le refus français de s’engager dans l’aventure irakienne, quatre ans plus tôt.

Le successeur d’un Jacques Chirac pourtant précédé d’une réputation d’américanophile avant l’épreuve de l’Irak, ne ménage pas sa peine. « Chaque fois que dans le monde tombe un soldat américain, je pense à ce que l’armée d’Amérique a fait pour la France », déclare-t-il après un hommage appuyé à une culture américaine présentée comme universelle.

Nicolas Sarkozy assure à la satisfaction de l’administration de George W. Bush que « la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c’est l’avenir de nos valeurs et celui de l’Alliance atlantique », l’OTAN. Son discours est interrompu plus d’une fois par une standing ovation.

Les responsabilités liées à la puissance

Alors qu’une crise financière menace, qui explosera un an plus tard, le président français met pourtant son auditoire en garde. « Ceux qui aiment la nation qui a le plus démontré au monde les vertus de la libre entreprise attendent de l’Amérique qu’elle soit la première à dénoncer les dérives et les excès d’un capitalisme financier qui fait aujourd’hui la part trop belle à la spéculation », assure-t-il.

Onze ans plus tôt, le 1er février 1996, Jacques Chirac s’était appuyer sur l’intervention décisive de l’administration de Bill Clinton en Bosnie pour en souligner la portée : « Comme hier, les Etats-Unis considèrent que l’Europe est vitale pour leur sécurité. Je salue la constance et la fermeté de cet engagement ». Le président français en profitait pour faire part de sa disponibilité pour un retour de la France dans le commandement intégré de l’Alliance atlantique, quitté en 1966 à l’initiative de Charles de Gaulle. « Il nous faut imaginer (…) ce pilier européen au sein de l’Alliance qu’évoquait déjà le président Kennedy et qui doit devenir peu à peu une réalité avec l’Union de l’Europe occidentale. La France, dans cette situation nouvelle, est prête à prendre toute sa part à cette entreprise de rénovation. »

Ce jour-là, Jacques Chirac rappelle également aux Etats-Unis les exigences liées à leur statut de superpuissance. « Le champ de nos intérêts communs ne se borne pas à l’Europe. Partageant les mêmes valeurs, nous partageons une même aspiration à la paix et au progrès dans le monde. Nous sommes exposés aux mêmes menaces et aux mêmes risques. Et sur nos épaules reposent les mêmes responsabilités. Rien de ce qui affecte le “village planétaire” ne saurait nous être indifférent. Nul n’est à l’abri de ce qui se passe ailleurs, fût-ce à l’autre bout du monde », assure-t-il.

Avant lui, le 22 mars 1984, trois mois avant la commémoration du cinquantenaire du Débarquement, François Mitterrand avait déjà dit que « dans ce monde où votre pays joue le rôle majeur, personne – ami ou adversaire – ne peut agir sans tenir compte des Etats-Unis d’Amérique. Et cette puissance confère à vos décisions une importance, une résonance qui donnent la mesure de votre rôle dans les affaires de la planète ».

Appel vibrant de Mitterrand pour l’aide au développement

Le premier président de gauche de la Ve République était considéré initialement avec circonspection par les Etats-Unis du républicain Ronald Reagan. « Entre pays libres, une alliance suppose sincérité, franchise, consultation permanente, mais aussi acceptation de points de vue différents. C’est en restant eux-mêmes que les Etats-Unis et la France se comprennent et se respectent. L’essentiel est que nos deux pays puissent compter l’un sur l’autre », assure le Français devant les élus américains, avant de plaider pour un dialogue avec l’Union soviétique pour garantir la paix et limiter la course aux armements.

François Mitterrand lance également un appel vibrant pour l’aide au développement à laquelle son successeur fera écho. « J’ai la conviction que bien des révolutions ou des guerres dans le tiers-monde trouvent d’abord leurs racines dans la pauvreté, dans l’exploitation économique qui exacerbent les affrontements traditionnels entre ethnies, religions et partis, assure-t-il, il ne sert à rien de s’acharner à construire la paix en laissant prospérer les causes profondes et permanentes de la guerre. Voilà pourquoi le développement d’une prospérité commune est, à mes yeux, une urgence et une priorité. »

Le 25 février 1970, Georges Pompidou, avait également plaidé en ce sens. « Il y a autour de nous des continents entiers où le sous-développement entretien la misère. Nous n’avons pas de devoir plus impérieux que de les aider à progresser sans chercher à les soumettre : la décolonisation doit s’accompagner d’une coopération active par laquelle les plus riches apportent leur concours aux plus démunis sans empiéter sur leur indépendance. La pauvreté est fière. Respectons-la comme telle, mais aidons-la », avait-il déclaré.

Alors que Richard Nixon a amorcé le retrait des troupes américaines du Vietnam du Sud et que les négociations s’éternisent à Paris, le président français aborde ce sujet douloureux. « Permettez à mon amitié de vous dire que la fin de la guerre du Vietnam sera pour les Etats-Unis la plus précieuse des victoires, celle que l’on remporte d’abord sur soi-même », assure-il.

Plaidoyer de VGE en faveur de la construction européenne

Son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, le 18 mai 1976 – c’est l’année du bicentenaire de la Révolution américaine –, est le premier à s’exprimer en anglais devant les élus du Congrès. Une performance saluée par le Washington Post qui juge le discours « compréhensible malgré l’accent ». Le président français en profite pour prononcer un vibrant plaidoyer en faveur de la construction européenne.

« Nous nous employons en Europe à bâtir une confédération d’Etats libres et démocratiques, résolus à assurer ensemble leur prospérité et leur avenir. Les Etats-Unis ont encouragé, dès ses débuts, l’effort d’unification européenne. Qu’ils considèrent son achèvement sans réticences et sans appréhension ! Vous ne redoutez pas la liberté pour vous-mêmes. Ne la redoutez pas chez vos amis et vos alliés ! Une communauté européenne indépendante, organisée, prospère, sera pour les Etats-Unis le meilleur partenaire, et pour le monde, une garantie de stabilité, de développement et de paix », proclame Valéry Giscard d’Estaing. Un engagement répété depuis avec constance devant le Congrès par les présidents français.

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