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Jours tranquilles à Paris
30 avril 2018

Le vin sous l’ère Macron

Par Ophélie Neiman - Le Monde

Le président aime le vin et l’a fait savoir. Une position inédite de la part d’un chef de l’Etat, qui rassure la filière viticole mais qui met en émoi les acteurs de la santé.

La filière viticole ne pouvait rêver d’un meilleur ambassadeur : un président de la République qui aime le vin. Mais surtout, un président qui ne craint pas de le faire savoir. Même s’il boit avec beaucoup de modération. Une position inédite dans la Ve République, révélée dès la campagne présidentielle et qui ne s’est jamais démentie depuis. Un pari risqué, aussi : pour beaucoup d’électeurs, le vin est d’abord un produit nocif pour la santé. Du reste, nul autre président, avant lui, ne s’était risqué à faire une telle déclaration d’amour au vin.

Emmanuel Macron a trois raisons de casser ce tabou : le vin est le deuxième secteur d’exportation, cumule 13 milliards de chiffre d’affaires et génère près de 500 000 emplois. C’est le symbole de la réussite française par excellence. Et puis… et puis, ça tombe bien, il le connaît bien. Deux vidéos sont là pour le prouver, réalisées quand il était encore candidat, en décembre 2016, à l’occasion d’un entretien avec Sud Ouest et Terre de vins. On y voit le président goûter des vins lors d’une dégustation à l’aveugle : « On sent le cuir, le sous-bois. On peut aller vers Pauillac… c’est un bordeaux en tout cas. Le nez ne trompe pas ! »

Dégustation surprise

De passage à Bordeaux, où il venait de s’entretenir avec des représentants de la filière, il acceptait de prolonger l’interview par une dégustation surprise. « Nous ne l’avions pas prévenu, se remémore Rodolphe Wartel, directeur de Terre de vins. L’idée était qu’il nous donne un avis sur trois bouteilles pour comprendre ses goûts. Et le voilà qui se prend au jeu et essaie de reconnaître leur origine. Nous avions sous-estimé ses connaissances. J’ai été bluffé par la précision de ses réponses. » Si Emmanuel Macron place à tort un pessac-léognan à Pauillac, il démasque sans difficulté un blanc produit dans l’Entre-deux-Mers et un rosé de Provence. Il égrène aussi des noms de vin qu’il aime : Chasse-Spleen, Duhart-Milon, Roc de Cambes, « en côtes-de-bourg, où un travail formidable a été fait par les Mitjaville [propriétaires du Château Le Tertre Roteboeuf, sur la côte sud de Saint-Emilion] ». Et évoque, en dehors de Bordeaux, Châteauneuf-du-Pape, Vacqueyras, les rouges de Bandol, ceux de Corse, les blancs de Chassagne-Montrachet, les givrys et autres rullys.

Aucun doute, Emmanuel Macron connaît bien la géographie viticole. Et, selon Rodolphe Wartel, cela n’a pas échappé aux vignerons : « On a eu énormément de retours à la suite de cette interview, de surprise et de satisfaction face à ce candidat qui osait aimer le vin. Depuis son élection, quand on écoute les gens qui comptent dans la filière viticole, nous percevons des signes de confiance à son égard. » Emmanuel Macron s’éduque tôt au vin. Ses parents, médecins, sont amateurs et possèdent « un certain nombre de bouteilles à la cave ». Il développe ses connaissances lors de son passage à la banque Rothschild. Notamment grâce à quelques escapades viticoles aux côtés d’Alexis Weill, qui s’occupe, pour la banque, de transactions liées au vin : « Il a un très joli palais et, objectivement, il goûte très bien, résume ce dernier. Emmanuel Macron n’abuse pas du vin, loin de là. Mais il en a la culture. Il a aussi des amis vignerons. Cela dépasse l’opération de charme à une corporation. »

« N’emmerdez pas les Français »

Il est, depuis, resté fidèle à la filière : « Moi, je bois du vin le midi et le soir. Même si ce n’est plus la mode, paraît-il… » C’était le 22 février, lors d’une conférence de presse en marge du Salon de l’agriculture. Cette phrase n’était pas seulement destinée à remercier une vigneronne qui lui offrait une bouteille de faugères. Mais à clore une vive polémique en cours depuis un mois. Aux journalistes, le même jour, il empruntera même à Georges Pompidou le célèbre : « N’emmerdez pas les Français », pour défendre le vin. Et d’enfoncer le clou : « Tant que je serai président, il n’y aura pas d’amendement pour durcir la loi Evin. »

Ses propos couronnent une série inédite de prises de position sur le vin dans la sphère publique. A son origine, un incendie, allumé par la ministre de la santé, Agnès Buzyn. Sur France 2, le 7 février, elle déclare, dans un pays où le vin est toujours traité comme un alcool « à part » : « En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky… (…) Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre. »

Rapidement, le contre-feu s’organise, les prises de parole se multiplient sur le sujet. Il y a Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, qui évoque, lors des questions au gouvernement, un risque de « prohibition ». Le premier ministre lui répond, rassurant : « Comme des millions de Français, j’aime le vin. » Dans la foulée, un collectif de personnalités s’enflamme dans les colonnes du Figaro : « Mme Buzyn, cessez de diaboliser le vin, qui est une part de la civilisation française ! » Le patron de la majorité, Christophe Castaner, tente lui aussi, sur France Inter, de séparer le vin des autres alcools. Avec des paroles qui laissent perplexe : « Il y a de l’alcool dans le vin, mais c’est un alcool qui n’est pas fort. »

« Vu du foie, le vin est bien de l’alcool »

Et puis le président de la République, qui sonne la fin du combat avec le fameux « n’emmerdez pas les Français » ! Conséquence logique, un collectif de médecins se range du côté de la ministre et signe une tribune, toujours dans Le Figaro : « Vu du foie, le vin est bien de l’alcool ». Entre-temps, de France 5 à Canal+, de France Inter à RMC, les médias se sont emparés du sujet. Du jamais-vu pour ce thème habituellement si discret dans les journaux et pourtant si emblématique de la France : le vin et sa cohorte de résultats économiques florissants, d’emplois, de patrimoine au rayonnement international, de culture… et d’alcooliques, de ravages sur la santé et de drames sociaux.

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Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture, à Paris, le 24 février. | STEPHANE LEMOUTON / SIPA

A l’image d’une pièce de monnaie aux deux faces obstinément opposées et irréconciliables. Et voilà qu’à la faveur des articles resurgit un nom qui avait suscité l’émoi, lors de la composition du cabinet du président : Audrey Bourolleau. Elle était la référente agricole du mouvement En marche ! durant la campagne. Elle est désormais conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural à l’Elysée. Mais on ne retient qu’une chose, son poste précédent : lobbyiste du vin. Elle était « Mme Vin & Société », une association représentant les emplois de la vigne et du vin, en fait le principal lobby de la filière. Décrite comme « beaucoup plus maligne et beaucoup plus bosseuse que n’importe qui » par d’anciens collaborateurs, Audrey Bourolleau a fait, à 38 ans, presque toute sa carrière dans le vin. En dehors de passages chez BIC et Heineken, elle a travaillé dans la distribution des vins Baron Philippe de Rothschild, a été directrice de l’Union des côtes-de-bordeaux, dirigeante pour la société de distribution de boissons Dream Tank, avant d’accéder au poste de déléguée générale de Vin & Société.

Entrée d’une lobbyiste au gouvernement

A cette fonction, elle accomplit plusieurs faits d’armes. Comme sa participation à l’amendement, voté fin 2015, assouplissant la loi Evin, qui encadre la publicité sur les boissons alcoolisées… amendement que l’ancien ministre de l’économie avait, dans un premier temps, tenté d’inscrire dans sa loi Macron. Dès sa nomination, dix-sept organisations d’addictologues avaient fait entendre leur mécontentement, plusieurs titres alertaient sur l’entrée d’une lobbyiste de la filière viticole au gouvernement.

Sur le plateau du Quotidien, l’émission de Yann Barthès sur TMC, encore récemment, on diffuse une chronique intitulée « Emmanuel Macron est-il sous l’influence du lobby du vin ? », dans laquelle Audrey Bourolleau est longuement désignée. Du côté de la filière, on modère : « Je suis consternée par l’image que certains nous prêtent, n’hésitant pas à nous comparer à la NRA [le lobby américain pro-armes], se désole Krystel Lepresle, actuelle déléguée générale de Vin & Société. Je rappelle que notre budget de fonctionnement annuel est de 1,6 million d’euros, que nous sommes quatre salariés. C’est ça, un lobby tout-puissant ? Notre seule force, c’est celle des territoires, des 70 départements qui font du vin. »

Mais attaquer le jus de la treille publiquement, ce n’est pas seulement attaquer Vin & Société. D’autres groupes, bien mieux insérés dans le fonctionnement politique, en sont les protecteurs. L’Association nationale des élus de la vigne et du vin comme le groupe d’études « vigne, vin et œnologie » au Parlement rassemblent des élus municipaux, sénateurs et députés de tout bord. « Nous ne sommes pas un lobby, c’est hors de question », avertit Marie-Christine Verdier-Jouclas, députée La République en marche du Tarn, fraîchement élue coprésidente de Vigne, vin et œnologie, qui regroupe cent huit députés. « Nous étudions ce que nous disent les vignerons et les viticulteurs et, éventuellement, nous envisageons des propositions. »

Entrée de la filière sur le terrain de la santé

Les sujets vont de la suppression du glyphosate à la fiscalité agricole, des drones dans les vignes à la santé. « L’idée d’associer les viticulteurs à la prévention est une excellente idée ! Tout le monde applaudit à cette perspective. » C’est encore une autre grande victoire de la filière : un courrier de l’Elysée, envoyé fin janvier, lui proposait de participer à un plan de prévention santé sur les conduites excessives et à risque. Vin & Société se réjouit : « Cela faisait au moins cinq ans que Vin & Société réclamait d’être acteur de la prévention. Pour donner des repères de consommation, en quantité comme en qualité. »

L’ombre d’Audrey Bourolleau plane, mais Krystel Lepresle se moque de la rumeur : « Contrairement à ce que tout le monde croit, ce n’est pas la conseillère à l’agriculture qui m’en a parlé face à face. C’est la conseillère santé, Marie Fontanel ! » « Peu importe qui a fait l’annonce, coupe-t-on au cabinet de l’Elysée. Elle vient de l’Elysée dans la globalité. Et nous n’avons missionné personne. Nous avons encouragé tous les acteurs de la filière agroalimentaire à nous faire des propositions sur la santé, ainsi que des associations, comme [l’association] Avec modération !. »

Il n’empêche. Entre un président qui banalise la consommation quotidienne de vin et l’entrée de la filière sur le terrain de la santé, les médecins en addictologie ont de quoi bondir. Et l’agrandissement du pictogramme « interdit aux femmes enceintes », prévu pour 2019 sur les bouteilles, ne suffira pas à apaiser la colère de ces derniers. Pour Michel Reynaud, professeur en psychiatrie, addictologue et président du Fonds Actions Addictions, le grand danger du vin est d’avoir réussi à faire entrer de fausses informations dans les consciences : « On veut nous faire croire qu’une consommation modérée est bonne pour la santé, mais c’est faux. La vérité est que le risque augmente dès le premier verre régulier, que l’alcool est la première cause de démence précoce, la deuxième cause de cancer. Et source de nombreuses violences familiales. Au lieu de cela, on nage dans un bain d’informations positives. »

Ce bain ne risque pas de se vider, tant l’image que véhicule un chef d’Etat est déterminante. Quand Emmanuel Macron boit un verre de vin en public, les vignerons chantent, les médecins ont la gueule de bois.

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