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Jours tranquilles à Paris
21 mai 2018

Les femmes-fontaines, dernier tabou de la jouissance féminine

fem fontaine

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Parce que les mystères sexuels se réduisent comme peau de chagrin, l’orgasme liquide, par son originalité et sa rareté, fascine, explique Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale du Monde ».

LE SEXE SELON MAÏA

Liquides, les femmes ? Notre culture a depuis longtemps tranché le débat : oui, absolument. De Vénus aux sirènes, de la lubrification à la menstruation, de la perte des eaux au lait maternel, les femmes dégoulinent. Et si l’on parle de « fontaines » depuis Hippocrate, ces dernières sont réapparues dans nos obsessions collectives depuis seulement une bonne dizaine d’années… bien aidées en cela par la pornographie (le mot-clé que vous cherchez est « squirting », du verbe squirt, « gicler »).

Pourquoi tant d’attentions, et si subitement apparues ? Essentiellement pour contenter une société de l’œil-roi. L’orgasme des femmes-fontaines se voit : plus pratique pour la caméra, plus pratique aussi pour les spectateurs. Le contrat pornographique est rempli, « c’est du vrai sexe avec du vrai plaisir ». Le corps féminin se comporte comme un corps masculin, devient compréhensible d’un point de vue phallocentré. Pas trop tôt ! C’est clair, facile, réglo, les contrariants mystères de la jouissance femelle passent à la trappe… ainsi que la possibilité de la simulation.

A cet orgasme commode s’ajoutent des questions d’ego parfaitement en accord avec la crise de la masculinité. Faire déborder une femme permet à son partenaire de concilier féminisme (placer le plaisir de l’autre au premier plan, laisser le pénis trois minutes hors cadre) et réflexes macho (se retrouver à nouveau en charge, contrôler la forme prise par le plaisir – autant de désirs inavouables dans le contexte actuel).

Super-pouvoir

Cette combinaison explique le succès d’un fantasme bien spécifique, consistant à initier la partenaire. Malheur, voici le retour aux contes de fées ! L’homme arrive et révèle l’éjaculatrice endormie à sa vraie nature, ils se marient et font plein de rêves humides. De fait, les occasions de jouer les pygmalions se raréfient : si vous avez passé vos années lycée, vous arrivez a priori trop tard pour la défloration ou le premier orgasme. Parce que les mystères sexuels se réduisent comme peau de chagrin, on peut difficilement rêver d’apprendre à une femme quoi que ce soit sur son corps : la jouissance-fontaine, par son originalité, demeure l’une des dernières conquêtes possibles, moins stigmatisée que la sodomie, moins risquée que les tentatives échangistes.

En offrant à sa partenaire une première fois, peut-être ne sera-t-on pas oublié parmi la masse anonyme des amants. Mais bien sûr, ce machiavélisme ne concerne pas tous les hommes. Certains se sentiront menacés face à une autre barrière sexuelle qui tombe (« si en plus elles éjaculent, où va le monde ? »). D’autres répondent par de l’indifférence, de l’intérêt, du dégoût… ou ne remarquent pas.

Cette fascination est-elle partagée par les femmes ? C’est compliqué (le premier qui répond « comme toujours » sera privé de croissant). La première expérience (si elle se produit) survenant en moyenne à 25 ans, elle prend volontiers par surprise, avec l’impression d’avoir taché les draps – avec quoi, comment, pourquoi ? Ces questions font rapidement place à la satisfaction : 80 % des femmes-fontaines voient leur super-pouvoir comme un enrichissement de leur vie sexuelle. C’est également le cas de 90 % des hommes (British Journal of Urology, 2013).

Pour celles qui n’y arrivent pas, et dont les partenaires cultivent ce fantasme, c’est en revanche une pression supplémentaire sur l’orgasme. D’où une quantité impressionnante d’ateliers et d’articles censés débloquer ce potentiel, comme on accéderait au niveau supérieur d’un jeu vidéo. Bien calées entre les bienheureuses et les indifférentes, nous avons donc des femmes qui s’inquiètent d’y arriver… et d’autres qui s’inquiètent de ne pas y arriver.

EN ANGLETERRE ET EN AUSTRALIE, LES FEMMES-FONTAINES TOMBENT DANS LA CATÉGORIE DE L’OBSCÈNE ET SONT BANNIES DES ÉCRANS…

Difficile en outre, pour les adeptes comme pour les aspirantes, de se rassurer en cherchant des informations : la recherche patauge en eaux troubles. Côté chiffres par exemple, on oscille entre 10 % et 70 % de femmes concernées (avec ça, on est bien avancés). Pas mieux côté mécanique, puisque certains experts suggèrent de différencier deux, voire trois types d’émissions ! La confusion s’installe entre une lubrification vaginale intense, une « vraie » éjaculation orgasmique, épaisse, émise depuis la prostate, et enfin des écoulements plus abondants, clairs, inodores et liquides, émis par l’urètre, et spécifiques aux femmes-fontaines (si vous arrivez à suivre, cela signifie que les éjaculatrices et les femmes-fontaines recouvrent deux réalités complètement différentes). Des trois possibilités, la dernière serait la plus fréquente. C’est également la seule qui se voit suffisamment pour posséder un intérêt pornographique.

Fantasme enraciné

Cependant, et c’est là que nos tergiversations scientifiques croisent le champ politique, ce caractère pornographique est menacé. En Angleterre et en Australie, les femmes-fontaines tombent dans la catégorie de l’obscène et sont bannies des écrans… justement parce qu’elles n’éjaculent pas. Le liquide est considéré comme de l’urine, ce qui renvoie les films concernés à des productions ondinistes ou urophiles. D’où la question à cent mille dollars de la semaine (en liquide, merci) : de quoi sont composées les émissions des femmes-fontaines ? Au risque de déboulonner quelques fantasmes, les études penchent en effet pour de l’urine, ce qui transformerait nos super-jouisseuses, débordantes de sensualité, en incontinentes légères.

Pour autant, ne déprimez pas si vous êtes concernée : l’érotisation des femmes perdant le contrôle de leur corps (et la glorification des amants capables de les faire déborder) a de beaux jours devant elle. Ce fantasme est bien plus enraciné que le dégoût pour l’urine. Certaines militantes revendiquent en outre une « vraie » éjaculation féminine, qui s’obtiendrait par stimulation de la prostate féminine (que toutes les femmes ne posséderaient pas), située à proximité d’un point G… lui-même contesté. Nous sommes en 2018, l’anatomie féminine reste nébuleuse, je promets de vous réveiller dès que l’humanité inventera l’eau chaude. Pour se familiariser avec une défense très argumentée de l’éjaculation féminine, on recommandera Osez découvrir le point G, par Ovidie, aux éditions La Musardine.

Enfin, et puisque le sujet reste glissant, relativisons les enjeux : le « squirting » n’apparaît pas dans la liste des mots-clés les plus tapés l’an dernier sur Pornhub. Les recherches Google se sont effondrées de moitié depuis 2014, tandis qu’en langue française, depuis 2011, les fontaines comme les éjaculatrices connaissent un calme plat. On peut expliquer ce recul par la lassitude comme par la normalisation de notre curiosité, par le temps nécessaire à l’imprégnation de nos imaginaires… comme par le simple effet de mode. Il semblerait en tout cas que la femme-fontaine ne soit pas le Graal : mince, encore raté !

SQUIRT-I

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