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Jours tranquilles à Paris
4 juin 2018

Les seniors japonais cherchent leur place dans la société

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant - Le Monde

Le Japon vieillit à une vitesse record : en 2035, les plus de 75 ans représenteront 20 % de la population.

LETTRE DE TOKYO

L’ancien premier ministre, Yasuhiro Nakasone, qui occupa ces fonctions de 1982 à 1987 et resta longtemps une figure de la politique japonaise, vient de fêter son centième anniversaire. L’empereur Akihito, âgé de 84 ans, se retirera l’année prochaine… Le Japon vieillit à une vitesse record – un Japonais sur sept est âgé de plus de 75 ans. Ses conducteurs aussi prennent de l’âge. Il y a une semaine, une nonagénaire a fauché des piétons à un carrefour dans la ville de Chigasaki, au sud-ouest de Tokyo, tuant une femme et blessant quatre autres personnes.

Les accidents de la route dus aux seniors

Ces drames émeuvent l’opinion et relancent périodiquement le débat sur les moyens d’affronter un vieillissement rapide – conjugué à une dénatalité qui ne l’est pas moins – et de la place des seniors dans la société. Selon les projections de l’institut pour la population et la sécurité sociale, en 2035 les plus de 75 ans représenteront 20 % la population ; trente ans plus tard, celle-ci sera tombée de 126 millions de 2015 à 88 millions, dont 40 % auront plus de 65 ans.

Dans le cas de la sécurité routière, les accidents ont atteint leur niveau le plus bas en 2016, mais le nombre de ceux dus à des seniors de plus de 75 ans a presque doublé. Aussi, le gouvernement a-t-il renforcé les examens périodiques de renouvellement de permis de conduire (tous les trois ans dans le cas de personnes âgées de plus de 75 ans). Ceux qui n’ont pas satisfait aux épreuves (vue, réflexes, maîtrise du véhicule) doivent passer un examen médical et leur permis de conduire peut être révoqué.

Les autorités incitent aussi les conducteurs seniors à renoncer volontairement à leur permis de conduire. Dans un pays où le civisme est de mise, au cours des cinq dernières années, plus de 400 000 seniors ont obtempéré sous la pression de leur famille ou par décision personnelle. Mais le renoncement à conduire est difficilement accepté dans les régions reculées. Sans voiture, les personnes âgées toujours valides perdent leur autonomie pour faire leurs courses, se rendre chez le médecin, voire effectuer un petit travail.

Dans les grandes villes, elles peuvent se débrouiller avec les transports en commun, mais dans les provinces, la privatisation des chemins de fer s’est traduite par la fermeture des lignes non rentables, tandis que l’exode des jeunes vers les villes a réduit le nombre des conducteurs de bus, de taxis ou de véhicules de livraison. Beaucoup de villages sont isolés et la voiture est une nécessité. Renoncer à conduire dans ces régions désertifiées devient un problème social.

Pour la retraite à 75 ans

La plupart des seniors vivent seuls – et beaucoup meurent seuls. Le Japon investit dans les industries du troisième âge, tel que le robot d’assistance domestique. Mais d’un point de vue psychologique, conserver une activité est essentiel pour les personnes âgées, tant qu’elles en ont la force. Le taux d’activité des seniors au Japon est élevé au point que des gériatres ont lancé un lancé une campagne en faveur du passage de l’âge de la retraite de 60 à 75 ans.

Pour des raisons à la fois culturelles et économiques, beaucoup de seniors japonais continuent à travailler au-delà de l’âge de la retraite. La pension pleine n’est versée qu’à 65 ans, et, dans l’intervalle, ceux qui en ont la possibilité continuent à travailler dans la même entreprise avec un salaire moindre et un statut différent. D’autres trouvent des emplois dans le secteur tertiaire qui offrent une vaste gamme de travail à temps partiel – contribuant à la qualité inégalée du service dans l’archipel, des supérettes ouvertes 24 heures sur 24 aux administrations, et réduisant le taux chômage (3 %), mais augmentant la précarité chez les jeunes.

Les moins qualifiés ou moins chanceux des seniors travaillent, casqués et sanglés dans des uniformes, à régler la circulation à proximité des chantiers de construction ou des travaux de voirie. Ils sont des dizaines de milliers à travers le Japon à effectuer ce travail, pour lequel ils sont recrutés par des agences spécialisées dans la sécurité des sites de construction. Les Japonais seniors travaillent par nécessité (en raison de l’insuffisance des retraites) mais aussi par souci de rester dans le flux de la vie active.

Même si le Japon parvenait à relancer la natalité (que depuis un demi-siècle, les gouvernements successifs ont été incapables d’enrayer), le redressement prendrait des décennies et l’allongement de l’espérance de vie continuera à poser de manière aiguë la question de la place des seniors dans la société. « Si les seniors peuvent continuer à travailler, leur contribution à l’économie en termes de production comme de consommation réduira la charge sociale du vieillissement », estime l’économiste Atsushi Seike, ancien président de l’université Keio, à Tokyo. Encore faut-il leur en donner les moyens. Comme aux plus jeunes d’avoir des enfants.

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