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Jours tranquilles à Paris
9 juin 2018

Derrière les sourires de façade, un sommet du G7 marqué par les divisions

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Par Marc Semo, La Malbaie, envoyé spécial, Gilles Paris, Washington, correspondant, Arnaud Leparmentier, New York, correspondant - Le Monde

Lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement, les Etats-Unis opposent au multilatéralisme de ses alliés la doctrine de « l’Amérique d’abord ».

Les images sont celles de tous les G7, avec les chefs d’Etat ou de gouvernement des sept principales puissances économiques et démocratiques (Etats-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada, Japon), souriant et prenant la pose pour la photo de famille en compagnie de l’hôte du sommet, le premier ministre canadien Justin Trudeau, devant le paysage somptueux du Saint-Laurent. Mais ce G7, marqué par des tensions sans précédent, du fait de la multiplication des mesures unilatérales américaines, notamment en matière commerciale, n’est pas comme les autres.

Faute de pouvoir faire l’impasse sur la réunion, Donald Trump, dernier arrivé vendredi 8 juin à la mi-journée, a décidé de réduire au maximum sa présence sur place. Il en repartira dès samedi matin, au prétexte du sommet historique prévu le 12 juin à Singapour avec le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un. Le président des Etats-Unis, qui n’apprécie guère cette instance, symbole d’une coopération multilatérale qu’il abhorre, n’assistera donc pas à la séance consacrée au réchauffement climatique.

La réintégration de la Russie

Le locataire de la Maison Blanche est pour la première fois face aux dirigeants des six autres pays depuis qu’il a frappé leur acier et leur aluminium de tarifs douaniers renforcés. Ses partenaires sont unanimes à dénoncer le protectionnisme américain et ne cachent pas leur irritation pour les foucades du milliardaire, qui s’est montré combatif dans une série de messages publiés jeudi et vendredi matin sur son compte Twitter, ciblant notamment le marché laitier canadien, qui priverait les agriculteurs américains d’importants débouchés. Promettant de « rectifier les accords commerciaux injustes » avec les autres membres du G7 qui pénalisent, selon lui, les Etats-Unis, et en l’absence de consensus, il a assuré :

« Nous nous en sortirons encore mieux. »

En quittant la Maison Blanche pour la base militaire d’Andrews, vendredi matin, il avait ajouté une petite provocation en plaidant pour la réintégration de la Russie de ce conclave, d’où elle a été écartée en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée, qui a entraîné des sanctions américaines et européennes. « Ils ont expulsé la Russie, ils devraient réintégrer la Russie. Parce que nous devrions avoir la Russie à la table de négociations », a-t-il lancé. Rapidement, les Européens ont enterré l’idée. « Un retour de la Russie dans le format G7 n’est pas possible tant que nous ne verrons pas de progrès substantiels en relation avec le problème ukrainien », a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel. Le chef du gouvernement populiste italien, Giuseppe Conte favorable à un rapprochement avec Moscou, a approuvé cette position commune.

LORS DE LA RÉUNION, LA COMMISSION A PRÉPARÉ LES CHIFFRES À UTILISER POUR QUE LES EUROPÉENS AIENT TOUS LES MÊMES DONNÉES À OPPOSER À CELLES DE DONALD TRUMP

« Ce qui m’inquiète le plus, est de voir que l’ordre mondial, basé sur des règles communes, se retrouve défié non par les suspects habituels, mais, de façon surprenante, par son principal architecte et garant : les Etats-Unis », a déclaré le président du Conseil européen, Donald Tusk, lors d’un point de presse, vendredi matin aux côtés du président de la Commission, Jean-Claude Juncker. MM. Juncker et Tusk, arrivés en avance, se sont concertés la veille avec Justin Trudeau. Il fallait maintenir l’unité de tous face à Donald Trump et éviter que la réunion ne déraille d’entrée de jeu. La première séance sera donc consacrée à l’économie, l’intelligence artificielle, l’éducation, des sujets généraux, avant d’aborder le vif du sujet, le commerce, au cours de la seconde session.

Coordonner les positions

Emmanuel Macron est sur la même ligne et il a pris l’initiative de convoquer, à 10 h 30 vendredi matin, une réunion des dirigeants Européens présents. Juste avant que Jean-Claude Juncker rencontre le premier ministre italien Giuseppe Conte, dont c’est la première sortie internationale. M. Juncker l’a amadoué, expliquant que la Commission examinerait son budget et lui a rappelé que Bruxelles et Rome mènent le même combat sur l’immigration.

Hors de question, en revanche, de ne pas faire front commun sur le sujet du commerce. Lors de la réunion, la Commission a préparé les chiffres à utiliser pour que les Européens aient tous les mêmes données à opposer à celles de Donald Trump. Teresa May est prête à jouer le jeu, sans doute encore plus humiliée que les autres qu’on lui impose des droits de douane au nom de la sécurité nationale. Tant pis pour la relation spéciale.

L’objectif est aussi de coordonner les positions, notamment en ce qui concerne le projet de communiqué final sur le quel travaillent encore les sherpas. La réunion pourrait s’achever sans texte commun ou avec un texte a minima ponctué de nombreuses exceptions ou même par une simple déclaration de la présidence canadienne. Déjà, à Taormine (Sicile), l’an dernier, le communiqué final du G7 – long d’à peine six pages – prenait acte du refus américain de s’engager sur la question du climat, mais les 39 autres points étaient signés par tous. Les divergences cette fois sont encore plus fortes. En prendre acte serait de l’aveu de la chancelière Angela Merkel « un signe d’honnêteté ».

« Le pire serait un communiqué avec des formulations qui ne correspondent pas ou qui restent en deçà de nos attentes », a relevé l’Elysée. Lors de leur réunion commune, les leaders européens ont fixé leurs lignes rouges, s’engageant à refuser toute formulation à propos du commerce international qui ne fasse par référence « à des règles collectives » ainsi qu’au rôle de l’Organisation mondiale du commerce, deux défis ouverts aux positions américaines. Il est aussi hors de question d’accepter que le communiqué ne mentionne pas explicitement l’accord de Paris sur le climat ou de formulation remettant en cause l’accord sur le nucléaire iranien. Les conclusions du G7 n’ont aucune portée normative, mais cette bataille est symbolique.

Trump peu enclin au compromis

Quand le sommet a commencé à la mi-journée, Donald Trump a voulu attaquer bille en tête sur le commerce, mais comme prévu, Justin Trudeau lui a expliqué qu’on aborderait le sujet ensuite au déjeuner de travail. M. Trudeau a introduit le sujet, tandis qu’Angela Merkel a pris la parole, particulièrement remontée. S’ensuivit la prise de parole de Donald Trump, qui s’est lancé dans un long monologue de 15-20 minutes, étalant crûment ses griefs contre ses partenaires, se plaignant des déficits, accusant ses prédécesseurs d’avoir très mal négocié.

« Un déballage sans précédent dans un tel sommet, mais il a eu le mérite de mettre les problèmes sur la table », a commenté un diplomate français. Les dirigeants se sont regardés, ont levé les yeux au ciel, avant de regarder leurs chaussures. Emmanuel Macron a ensuite pris la parole, expliquant au président américain que les décisions unilatérales prises en fin de soirée ne pouvaient pas fonctionner. Et que ses chiffres étaient faux.

Entre Donald Trump et Emmanuel Macron, les relations ne sont plus ce qu’elles étaient, mais ce n’est pas non plus la rupture. Dès son arrivée au sommet, le locataire de la Maison Blanche a voulu rencontrer le Français pour un tête-à-tête de dix minutes, puis ils se sont revus à nouveau en fin de journée, pour un véritable entretien. « Nous avons eu un début de discussion sur des sujets d’actualité comme le commerce, qui ont permis de lever, je crois, beaucoup de possibles malentendus », a affirmé le président de la République. « C’est mon ami », a clamé de son côté l’Américain, qui promet un mystérieux résultat « positif » du sommet.

La présidence canadienne du sommet croit toujours possible d’élaborer un consensus sur trois thèmes : la pollution plastique des océans, l’éducation des filles et la lutte contre les ingérences étrangères dans les processus démocratiques.

« LES ORGANISATIONS MULTILATÉRALES INTERNATIONALES NE VONT PAS DÉTERMINER LA POLITIQUE AMÉRICAINE »

LARRY KUDLOW, CONSEILLER ÉCONOMIQUE DE DONALD TRUMP

Le fossé n’en reste pas moins immense. Sur le fond, Donald Trump est de moins en moins enclin au compromis. Sa combativité s’appuie sur les excellents résultats enregistrés ces derniers mois par l’économie américaine qui, selon lui, valident sa stratégie de « l’Amérique d’abord ».

« Les choix politiques sont bons et j’ai espoir que nos partenaires du G7 vont en prendre note », a assuré son conseiller économique, Larry Kudlow, au cours d’un briefing avec la presse, mercredi 6 juin, dressant un bilan accablant du commerce mondial, qualifié de « bazar ». « L’Organisation mondiale du commerce, par exemple, est devenue complètement inefficace. Et même quand elle prend des décisions, les pays importants ne les respectent même pas », a estimé M. Kudlow, clamant que « les organisations multilatérales internationales ne vont pas déterminer la politique américaine. Je pense que le président l’a dit très clairement. »

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