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Jours tranquilles à Paris
12 juin 2018

Pour le sommet Trump-Kim, Singapour se place au centre du jeu

Par Harold Thibault - Le Monde

Partenaire des Etats-Unis et ouverte aux régimes peu recommandables, la cité-Etat prospère se démarque par son organisation impeccable.

Modeste. C’est ainsi que la réponse du premier ministre de Singapour à un journaliste pourrait être qualifiée. « Je suppose que ça montre que nous sommes amis avec eux et qu’ils pensent que nous pouvons faire du bon travail », a estimé Lee Hsien Loong lorsqu’il lui a été demandé comment il lisait le choix de son île-Etat pour la rencontre historique entre le président américain et le dirigeant nord-coréen.

L’organisation du sommet coûtera environ 17 millions d’euros, dont la moitié pour assurer la sécurité de la rencontre. Peut-être également pour payer une partie de la note de séjour de la délégation nord-coréenne. « Si vous calculez le prix de tout en ce monde, vous passez à côté des choses réellement importantes », a poursuivi M. Lee. Implicitement, il a aussi fait comprendre que cette somme est modique pour la cité-Etat prospère, qui, pour deux jours, se place au centre de l’effort pour la paix. « C’est un coût que nous sommes prêts à payer », a-t-il déclaré.

C’est son père, Lee Kuan Yew, qui a développé l’ancien port britannique pour en faire la cité-jardin de l’excellence, ultra-organisée, propre et sûre. L’historiographie locale insiste fortement, et de manière un peu romancée, sur le marécage qu’était Singapour lorsque le père fondateur a pris le pouvoir. Sa formule : un autoritarisme pragmatique, implacable envers les opposants, mais une utilisation à bon escient des investissements étrangers, qui ont apporté une forte croissance économique et fait de l’île un modèle en matière d’éducation, d’infrastructures et de qualité de vie pour la région. Singapour est devenue un centre financier et une plate-forme incontournable pour les services en Asie.

Plusieurs lieux envisagés

Diplomates américains et nord-coréens ont passé en revue plusieurs lieux envisageables pour le sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un, dont la Zone démilitarisée, qui divise la péninsule coréenne, Oulan-Bator, capitale mongole entretenant de bonnes relations avec Washington et Pyongyang, ou encore Stockholm, la Suède étant observatrice de la trêve de 1953 qui a mis fin au conflit ouvert de la guerre de Corée – sans être suivi de la signature d’un traité de paix.

Mais aucun de ces sites ne rivalisait avec Singapour, même s’il y a eu des interrogations côté occidental sur la capacité de l’Iliouchine de Kim Jong-un à parcourir les 4 700 kilomètres séparant Pyongyang de Singapour. Finalement, l’avion a été utilisé en soutien logistique mais le dictateur, lui, a débarqué d’un Boeing 747 d’Air China. Singapour accueille très régulièrement les navires de la marine américaine, les deux armées s’entraînent ensemble, et cette relation a été renforcée sous la politique du pivot asiatique de Barack Obama.

La ville est habituée aux grands sommets. Elle accueille notamment le Dialogue du Shangri-la – du nom du luxueux hôtel où séjourne la délégation américaine –, un forum rassemblant chaque année les ministres de la défense des Etats ayant des intérêts en Asie et dans le Pacifique.

Singapour nourrit aussi des relations approfondies avec la République populaire démocratique de Corée. Elle était, jusqu’au renforcement des sanctions onusiennes, en 2016, l’un des rares pays à ne pas imposer de visa aux ressortissants nord-coréens – généralement liés au régime pour être autorisés à de tels déplacements.

Sociétés-écrans

Si elle a elle-même combattu en interne la corruption et les détournements de fonds publics pour assurer son développement, l’île ne s’est jamais montrée trop regardante sur l’utilisation de son sol et de ses banques par des régimes peu recommandables, notamment la Birmanie du temps de la junte et de et ses cronies (hommes d’affaires amis).

Dans son dernier rapport, publié en mars, le panel d’experts des Nations unies sur l’application des sanctions contre la Corée du Nord relevait d’ailleurs de multiples exemples de sociétés-écrans singapouriennes utilisées par des entreprises liées au régime de Pyongyang pour contourner les sanctions. Une entreprise nord-coréenne a le plus grand mal à commercer avec le reste du monde et à utiliser les banques internationales, mais il suffit d’enregistrer une société-boîte aux lettres dans la respectable Singapour, et de se cacher derrière, pour ne plus attirer l’attention des établissements financiers.

LA VILLE SE DISTINGUE DE NOUVEAU PAR L’ULTRA-EFFICACITÉ DE SON ADMINISTRATION, PAR SON HOSPITALITÉ ET L’ACCUEIL DE 3 000 JOURNALISTES QUI ONT DEMANDÉ UNE ACCRÉDITATION

Selon nos informations, le demi-frère de Kim Jong-un, Kim Jong-nam, victime début 2017 à l’aéroport de Kuala Lumpur d’un assassinat probablement commandité par le régime, a d’ailleurs résidé dans la cité-Etat, où il possédait un appartement. Il y a mené pendant quelques années une vie assez ouverte, avant de se sentir menacé et de se replier sur Macao – sous le parapluie des services chinois –, où il avait déjà des attaches, lorsque Kim Jong-un succéda à leur père.

La tenue, mardi 12 juin, de la rencontre historique à Singapour, sur la petite île de Sentosa, viendra confirmer ce statut de centre international de l’Asie qu’elle dispute à Hongkong. La ville se distingue de nouveau par l’ultra-efficacité de son administration, par son hospitalité et l’accueil de 3 000 journalistes qui ont demandé une accréditation. Ces qualités sont d’autant plus remarquées que tout s’est fait dans l’urgence : le 24 mai, Trump écrivait à Kim Jong-un pour tout annuler, dénonçant sa « colère » et son « hostilité ouverte ». Avant de finalement confirmer la tenue de la rencontre le 1er  juin, à peine dix jours avant son arrivée.

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