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Jours tranquilles à Paris
21 juin 2018

Chronique d'un buzz présidentiel

macron collegien

Explicite a rencontré le collégien rembarré par Emmanuel Macron, une vidéo devenue un buzz aux dimensions planétaires. Résultat : un adolescent anéanti et un débat politique vide.

19 juin 2018 - par Camille Crosnier

La vidéo a fait le buzz . Emmanuel Macron qui "fait la leçon", disait le titre, à un collégien à l'issue des commémorations du 18 juin au Mont Valérien. Le jeune lui avait demandé "ça va Manu ?" après avoir chanté un extrait de L'Internationale.

Hier soir, j'ai moi aussi regardé la vidéo, et l'ai commentée, ainsi : "et en plus, il va se taper cette séquence À VIE". Eh oui, il va lui arriver quoi maintenant au collégien, qui en plus de s'être fait rembarrer par le Président de la République, est en train de devenir l'objet d'un nouveau buzz ? Pour être honnête, ce sont ses parents que je voulais surtout retrouver. Alors j'ai cherché. J'ai trouvé.

Ce matin, je suis allée, seule, devant son collège. Pas de caméra, pas de micro, rien. Les élèves ne parlaient que de ça : "hey y'a (on ne dit pas son prénom) qui est partout sur internet !". Tous le connaissent, il fait partie des mecs populaires, un peu grande gueule mais sympa et bon en classe - et au théâtre, qu'il pratique.

L'accueil du collège ne veut pas de journalistes, et ne donne "aucune info". Le collégien habite à deux pas, l'une de ses camarades de classe me montre, en me confirmant que le collège ne parle que de ça depuis ce matin, et que même si le garçon a l'habitude de "faire son malin", tout le monde se moque de lui et que "c'est un peu dur".

C'est là que je tombe nez à nez avec lui. Les cheveux sur les yeux, comme sur la vidéo, mais la tête basse, et complètement surpris, comme moi. Il est seul, et rentre chez lui, alors que les cours ne sont pas finis, on est en plein milieu de la matinée. Il ne veut pas parler. "S'il vous plait, ne donnez pas mon prénom, rien, pas mon adresse, ma ville, mon collège, rien. Je ne veux pas que ça me pose de problème pour le lycée." Il ne rigole plus comme sur la vidéo. Confirme qu'on ne lui parle que de ça depuis hier, et semble abattu.

Je lui demande ce que ses parents lui ont dit, s'ils sont dans le coin pour que je puisse leur parler, il répond "non, non, pas de questions, je ne veux pas en parler", avant de rentrer et de fermer la porte.

À ce moment-là, d'autres élèves de 3ème rentrent de l'EPS et passent juste devant chez lui en criant son prénom, et en sortant leur téléphone pour regarder la vidéo, encore. "T'as pas vu la vidéo ?? Attends je te montre, regarde ce qu'il lui dit Macron !"

Je repars. L'idée était bien d'avoir aussi l'autre point de vue, celui du collégien et de sa famille, surtout après qu'Emmanuel Macron a posté sur son compte Twitter la suite de la vidéo, ce moment où il semble vouloir "se rattraper", en discutant du brevet de façon plus apaisée avec lui.

C'est à partir de là que la séquence devient un instrument politique. L'autorité présidentielle qui s'affirme en tout lieu et en tout temps. Du fort au faible. La mécanique est connue, mais au final pour raconter quoi ? Dans quel but ? Aucun. Ça va tenir quelques jours, jusqu'au prochain coup. On se souviendra de cet épisode comme on se souvient de celui du "costard", du" bordel", du "pognon". Mais aussi, comme du "casse toi pauvre con" de Nicolas Sarkozy en 2008 ou de la gifle de François Bayrou en 2002. Le "tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même, d’accord ?" sera répété, blagué, moralisé. Cette séquence fabriquera une image politique à défaut de faire la politique.

Pendant ce temps un collégien un peu provoc, silencieux aujourd'hui, mais dans les medias du monde entier et partout sur internet, s'apprête bien, lui, à se taper cette séquence, à vie.

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