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Jours tranquilles à Paris
30 juin 2018

Que faire des pochoirs de Banksy à Paris ?

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Par Emmanuelle Jardonnet - Le Monde

Dans la foulée de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin, la capitale a vu fleurir dix œuvres du street-artist britannique. Certaines ont été détériorées, d’autres protégées.

Le compteur s’est arrêté à dix. Du premier pochoir découvert, dans la foulée de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin, d’une fresque à la porte de La Chapelle, jusqu’à la revendication officielle, six jours plus tard, il s’est écoulé moins d’une semaine.

Dix œuvres non signées, repérées dans plusieurs arrondissements de Paris et sur des lieux symboliques, comme la porte arrière du Bataclan. Certaines, publiées mercredi 26 juin sur le compte Instagram du street-artist britannique Banksy, après quelques jours d’un faux suspense tant le style, les allusions à la question des migrants, l’humour grinçant, la veine contestataire et les clins d’œil plus légers, tout comme le modus operandi, ne laissaient guère de doutes sur l’auteur. La dernière pièce à être apparue, un couple de rats en habits XIXe, ombrelle, chapeau melon et canne en main, en pleine contemplation de la tour Eiffel depuis un pont du 16e arrondissement, a été révélée par une de ses photos.

« Une immense valeur à protéger »

Maintenant que la chasse aux pochoirs du célèbre graffeur semble avoir livré tous ses secrets, la question se pose de la conservation d’œuvres par nature fragiles. Deux ont d’ailleurs été détériorées très rapidement après leur découverte : la fresque de la porte de La Chapelle a été recouverte de peinture bleue, et l’un des rats peints par l’artiste – l’un des deux jaillissant d’une bouteille de champagne – a été arraché de son mur dans le 5e arrondissement.

Lorsqu’on lui demande si la porte du Bataclan va rester en place, Jules Frutos, cogestionnaire de la salle de concerts, répond : « C’est l’artiste qui a choisi la fragilité, et donc la force de son expression. C’est une immense valeur à protéger des méfaits des hommes, de leurs dollars, de leurs excès, de leurs religions, d’eux-mêmes. On verra comment elle résiste. » Même point de vue du côté de Lagardère Unlimited Live Entertainment, actionnaire majoritaire des lieux : « La porte reste en place pour le moment et de façon sécurisée. » Une épaisse couche de Plexiglas, antireflet, la finalement été apposée.

Baptiste Ozenne, collectionneur et copropriétaire d’une galerie d’art urbain à Londres, est un observateur passionné des interventions de l’artiste, qui fascine depuis une quinzaine d’années par sa capacité à renouveler le genre. Le jeune galeriste affirme avoir commencé à acheter des plaques de Plexiglas avant l’apparition des fresques parisiennes afin d’être prêt à les protéger le plus rapidement possible. Car la rumeur précédait le Britannique : il allait prendre la capitale française – une première – pour cible.

« Messages éphémères »

« Je vais régulièrement à l’hôtel de Banksy à Bethléem, où je me suis rendu compte de l’importance de ses œuvres pour les habitants : les gens viennent voir l’église de la Nativité et ses murs, qui font marcher l’économie locale. » S’il dit ne pas connaître l’artiste, qui avait ouvert le Walled Off Hotel, avec vue sur le mur de séparation, en mars 2017, il connaît les équipes sur place : « Nous allons participer à un festival en collaboration avec l’hôtel afin de permettre la construction d’un skate park pour la jeunesse. A cette occasion, j’ai entendu des bruits de couloir : Banksy allait intervenir à Paris prochainement. Je n’ai donc pas été étonné que ce soit pendant la fashion week, à un moment où Paris incarne une certaine superficialité », détaille Baptiste Ozenne.

Le galeriste a installé trois Plexiglas, à ses frais, « pour que les œuvres restent visibles un minimum de temps. Je l’ai fait dans l’attente que la Mairie prenne le relais », explique-t-il. Il affirme même avoir monté la garde devant l’œuvre du Bataclan lorsqu’elle est apparue : « S’il y avait eu une destruction, il y aurait eu un vrai impact, car je pense qu’elle a vocation à être vendue au profit des victimes. Banksy a régulièrement fait des pièces destinées à soutenir des causes. Celle-ci, qui est à la fois puissante, de grande taille et réalisée sur un support démontable, pourrait facilement atteindre les 600 000 euros », estime ce spécialiste.

Pour rappel, l’artiste a créé le Pest Control, un organisme qui est le seul autorisé à authentifier les œuvres de Banksy non signées, et où les œuvres volées ne sont pas validées. « Pour moi, Banksy est un monument, il fallait commencer par protéger les œuvres. Maintenant, il faut voir ce qui se passe, dit Baptiste Ozenne. Mais ça reste du street art, des messages éphémères, ce n’est pas non plus à prendre avec trop de sérieux… »

« Une image vaut mieux que mille mots »

Du côté de la Mairie de Paris, on rappelle qu’« il n’y a pas de règle sur la gestion des graffitis. Le droit dit qu’il est interdit de dessiner ou de peindre ou de coller sur des murs sans l’autorisation du propriétaire, mais les services propreté de la Ville effacent les graffitis en faisant preuve de discernement. Sauf si le propriétaire demande au service de nettoyage de le retirer, ce qui n’est heureusement pas arrivé avec Banksy ».

Lundi 25 juin, sur Twitter, Anne Hidalgo, maire de Paris, avait réagi avant la revendication des œuvres par l’artiste : « Parfois, une image vaut mieux que mille mots. Merci à Banksy pour cette œuvre réalisée porte de La Chapelle. L’humanité et le pragmatisme plutôt que le populisme. » Une réaction éminemment politique quand l’œuvre, montrant une fillette noire tenter de masquer une croix gammée peinte sur le mur, pointe un malaise face à la politique migratoire française et parisienne.

La pose spontanée des Plexiglas pour protéger les Banksy soulève toutefois de nouvelles questions : « C’est la première fois que c’est fait à Paris, et ça ne pose pas de problème, mais ce n’est pas une solution pérenne. Cela peut créer un précédent, affirme-t-on à la Mairie. Si tous les galeristes décident de sauvegarder des œuvres dans la rue, ça va devenir compliqué. »

Jules Frutos insiste, lui, sur la portée très symbolique de la silhouette fantomatique et recueillie dessinée sur la porte du Bataclan. « C’est l’acte d’un artiste dans une ville et sur les murs d’un lieu. Pas n’importe quelle ville. Pas n’importe quel lieu. Pas la façade, mais une porte cachée. Une tristesse avec laquelle on peut vivre. Rien à voir avec les millions demandés par la Koons Company. » Une référence directe à l’artiste Américain Jeff Koons, qui a fait cadeau de la conception, mais pas de la production, de son Bouquet de tulipes à la Ville de Paris, en hommage aux victimes des attentats de 2015. Une œuvre qui n’a toujours pas trouvé d’emplacement dans le paysage parisien.

Le rat, un animal devenu le symbole des graffeurs

Avec ses dix pochoirs parisiens, Banksy rend hommage à la filiation française de sa pratique. Ses personnages de rats lui ont été inspirés par un Français : le graffeur et pionnier du pochoir Blek Le Rat.

C’est d’ailleurs par le rat-bandit, avec son bandana couvrant le bas du visage, dessiné à l’arrière d’un panneau le long du Centre Pompidou, que Banksy a revendiqué ses derniers pochoirs. Un rat qui a évolué dans le temps. S’il paraissait tenir le fil d’un détonateur à l’origine, il s’est finalement retrouvé avec un cutter en main… Rattrapage ou finition contrariée ? Banksy est repassé par là.

La référence à une bombe paraissait maladroite dans une ville qui a subi des attentats, tandis que le cutter, outil de base du pochoiriste, a plus de sens entre les pattes d’un animal devenu le symbole des graffeurs. La photo s’accompagne de quelques mots : « Cinquante ans depuis le soulèvement de Paris en 1968. Le berceau de l’art du pochoir contemporain. »

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