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Jours tranquilles à Paris
1 juillet 2018

De l’usage politique du Panthéon, avant l’hommage à Simone Veil

Par Virginie Malingre - Le Monde

Emmanuel Macron honore, dimanche, la mémoire de l’ancienne ministre de la santé, mère de la loi sur l’IVG et rescapée d’Auschwitz.

En décidant de faire entrer au Panthéon, dimanche 1er juillet, Simone Veil et son époux, Antoine Veil, Emmanuel Macron a fait un choix très macronien, qui met en scène les valeurs politiques et morales dont le chef de l’Etat se veut porteur.

Esprit de résistance, engagement européen, modernité, tout dans le parcours de cette femme hors du commun épouse les grands principes qu’il revendique. « Pour le président, c’est un marqueur de la ligne politique et historique dans laquelle il s’inscrit », commente le porte-parole de l’Elysée, Bruno Roger-Petit.

Rescapée de la Shoah, ancienne présidente du Parlement européen, Simone Veil a aussi, à sa manière, su transcender les partis traditionnels et le clivage droite-gauche : la loi sur la légalisation de l’avortement, qu’elle a portée comme ministre de la santé de Valéry Giscard d’Estaing, a été adoptée en 1974 à l’Assemblée grâce aux voix de la gauche.

« Notre mère courage », comme l’a qualifiée Robert Badinter, sera la cinquième femme inhumée dans ce temple de la mémoire républicaine. Quant à Antoine Veil, avec lequel elle a partagé sa vie, il sera le premier homme à y entrer en tant qu’époux. Un symbole, là aussi. « Les combats de Simone Veil s’enracinent dans sa déportation à Auschwitz », précise Sylvain Fort, la plume d’Emmanuel Macron. Ce que le philosophe Paul Ricœur, l’un des maîtres à penser du président de la République, appelait « un événement fondateur en négatif ».

Ce ne sera pas la première fois, dimanche, que le chef de l’Etat se rendra au Panthéon. Il avait tenu à ce que le 170e anniversaire de l’abolition de l’esclavage y soit célébré le 27 avril, plutôt qu’au jardin du Luxembourg, où se trouve une stèle commémorative. Ce jour-là, Emmanuel Macron en avait gravi seul les marches, dans une mise en scène qui rappelait l’investiture de François Mitterrand, le 21 mai 1981. Et le 28 mars, c’est de la place des Grands-Hommes qu’était parti le cortège, vers les Invalides, d’Arnaud Beltrame, ce gendarme assassiné lors de l’attentat de Trèbes (Aude) pour s’être substitué à un otage.

« Rite d’incarnation »

« Depuis Mitterrand, la panthéonisation est devenue un rite d’incarnation du président », explique Patrick Garcia, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent.

Georges Pompidou n’y a jamais eu recours. Pas plus que Valéry Giscard d’Estaing, qui, lors de ses vœux de 1977, invitait les Français à « ne pas se laisser accabler par les rhumatismes de l’histoire ». « Pompidou comme Giscard achevaient un processus mémoriel pour sortir de la guerre, quitte à gommer les parties peu glorieuses de cette histoire. Je vous rappelle que Giscard a supprimé les commémorations du 8-Mai », explique Bruno Roger-Petit.

Avant eux, Charles de Gaulle avait fait entrer Jean Moulin au Panthéon, en 1964, mais il n’honorera pas d’autre « grand homme ». L’ancien fondateur de la France libre y voyait alors une manière de se réapproprier une initiative dont l’opposition de gauche, à l’époque, avait la paternité : c’est un député socialiste de l’Hérault, qui, se faisant le porte-parole des résistants de son département, d’où Moulin était originaire, avait demandé le transfert de ses cendres. C’était aussi une manière pour de Gaulle d’inscrire dans la symbolique son pouvoir présidentiel. « Sous les IIIe et IVe Républiques, les panthéonisations étaient votées par les députés. Sous la Ve, c’est devenu une prérogative du chef de l’Etat », rappelle Patrick Garcia.

C’est François Mitterrand qui signera le retour du Panthéon comme lieu symbolique de la nation. Le 21 mai 1981, le premier président socialiste de la Ve République y pénètre, seul, et disparaît dans la nef avant d’aller déposer une rose rouge sur les tombes de Jean Moulin, Jean Jaurès et Victor Schœlcher. « Contrairement à ses prédécesseurs, Mitterrand a voulu revisiter l’histoire », poursuit M. Roger-Petit.

Mais il faudra attendre la première cohabitation pour que Mitterrand apporte directement sa pierre à l’édifice, en décidant la panthéonisation de René Cassin, en 1987, puis de Jean Monnet en 1988, deux des Pères fondateurs de l’Europe. En organisant ces cérémonies quelques mois avant la présidentielle de 1988, décrypte Patrick Garcia, « le président écrase symboliquement son premier ministre et futur rival ».

A l’Elysée, on réfléchit déjà à la suite

De l’usage politique du Panthéon… Jacques Chirac retiendra la leçon. En 2002, six mois après sa réélection, il y fait entrer Alexandre Dumas, fils d’un général révolutionnaire de Saint-Domingue, une façon de célébrer le métissage dans cette France qui l’a élu à 82 % contre Jean-Marie Le Pen. En 2007, il revient au Panthéon pour un hommage aux Justes de France. Douze ans après avoir reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vél’ d’Hiv, Jacques Chirac honore ainsi ceux qui sont restés fidèles aux valeurs de la République.

La panthéonisation par François Hollande, en mai 2015, de quatre résistants – Geneviève de Gaulle, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Jean Zay – participe de cette opération de rééquilibrage de la mémoire nationale. Tout comme celle aujourd’hui de Simone Veil.

A l’Elysée, on réfléchit déjà à la suite. A l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale, le président envisage une nouvelle entrée : ce pourrait être l’écrivain Maurice Genevoix, blessé en avril 1915 et qui s’est attaché, dans son grand œuvre, Ceux de 14, à témoigner de la vie des poilus dans les tranchées avec un réalisme qui lui vaudra la censure.

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