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Jours tranquilles à Paris
19 juillet 2018

L’impasse du Brexit fait monter l’hypothèse catastrophe d’un divorce sans accord

brexit

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant, Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen- Le Monde

Au Royaume-Uni, où le dossier du divorce avec l’UE est devenu synonyme de crise politique, aucune des issues possibles n’est soutenue par une majorité parlementaire.

Sauvée ! Une fois encore, la générale en chef du Brexit, Theresa May, a échappé à l’embuscade. Mardi 17 juillet, dans une atmosphère électrique aux Communes, il a fallu que quatre députés eurosceptiques de l’opposition travailliste votent avec le gouvernement pour sauver, à un cheveu près, la première ministre britannique, qui ne possède qu’une minuscule majorité parlementaire à Westminster. Douze députés conservateurs anti-Brexit lui ont fait défection, votant avec le Labour un amendement favorable au maintien dans l’union douanière européenne.

Après une journée de chaos, ce texte pro-européen visant à obliger Theresa May à renoncer à sa principale ligne rouge – la sortie du marché unique et de l’union douanière – a été rejeté de justesse par 301 voix contre 307.

La première ministre ne contrôle plus son propre parti – en cours d’implosion – et le Brexit est devenu synonyme de crise politique et d’impasse. Aucune des issues possibles au divorce avec l’Union européenne (UE) n’est soutenue par une majorité parlementaire. S’il en fallait la preuve, les derniers jours l’ont administrée.

Plus conciliant à l’égard de l’UE, le « livre blanc » de Theresa May sur l’avenir des relations avec le continent après le Brexit a déclenché un tollé aux tories. La visite de Donald Trump, qui a soufflé sur les braises, a donné des ailes aux pro-Brexit les plus durs. Lundi, ils sont passés à l’offensive à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur le commerce après le divorce. A la consternation des modérés, la première ministre leur a cédé, non pas sur un détail, mais sur un point central de son « livre blanc » : elle a accepté un amendement interdisant au Royaume-Uni de percevoir des taxes à la frontière pour le compte de l’UE, une mesure qu’elle veut emblématique de sa main tendue aux Vingt-Sept.

Radicalisation du débat

Ainsi, ni le « livre blanc » ni l’option nettement pro-européenne ni l’issue extrême d’une rupture avec l’UE sans le moindre accord (« no deal ») n’ont à ce stade les faveurs conjointes de la majorité parlementaire et du parti conservateur.

Partisans de ce dernier scénario, les extrémistes pro-Brexit n’ont pas, pour l’heure, les moyens politiques de leurs ambitions. Ils pourraient déclencher un vote de défiance (48 voix suffisent), mais ils ne le font pas, sachant qu’ils n’auront pas les 159 voix nécessaires pour faire tomber Theresa May.

Mais la radicalisation du débat est telle que le crash des négociations avec Bruxelles n’est plus une hypothèse d’école. « Beaucoup de tories eurosceptiques estiment que le choix est entre le plan de Theresa May et la sortie de l’UE sans deal », résume James Forsyth, chroniqueur à l’hebdomadaire conservateur The Spectator.

Furieux de voir la première ministre défendre le maintien dans le marché unique européen pour les marchandises, les partisans du « no deal » sortent peu à peu du bois. Le Brexit ultralibéral dont ils ont toujours rêvé consiste à transformer le Royaume-Uni en pays pratiquant le dumping fiscal, social et environnemental aux portes du continent. Pas question pour eux de rester dans une union douanière qui barre l’accès à leur nirvana : des accords de libre-échange purement « british » avec les Etats-Unis, l’Inde et la Chine.

« Lignes rouges » européennes

Mais ce « Singapour sur la Manche » heurte de plein fouet le vote populaire pro-Brexit qui recherche au contraire un Etat plus protecteur, voire protectionniste. Et les conséquences économiques immédiates – chaînes d’approvisionnement coupées, files de camion à la frontière – en seraient catastrophiques.

L’ex-patron du Foreign office, Boris Johnson, et l’actuel ministre de l’environnement, Michael Gove, attendent pourtant leur heure, misant sur une chute de Theresa May, voire de nouvelles élections pour promouvoir cette nouvelle révolution thatchérienne.

Ce scénario catastrophe, l’UE veut absolument éviter. Répondant à une question sur l’amende infligée aux responsables de la campagne pro-Brexit pour avoir enfreint le code électoral lors du référendum de 2016, Margaritis Schinas, porte-parole de la Commission européenne, a botté en touche : « La situation est assez compliquée pour que j’ajoute ici des commentaires. » A Bruxelles, personne n’ose encore dire officiellement son fait à Theresa May, de peur de l’affaiblir encore davantage et d’aggraver le chaos politique à Londres.

Le « livre blanc » de la première ministre ne respecte pas davantage les « lignes rouges » des Européens que ses précédentes propositions. Il réclame la poursuite de l’accès au marché intérieur européen sans en respecter les quatre libertés de circulation, puisque Londres veut se ménager la possibilité de contrôler sa migration.

L’échéance du Brexit se rapproche dangereusement

Les Britanniques souhaitent aussi maintenir leur participation dans des agences européennes (sécurité aérienne, sécurité des aliments), ce qui est incompatible avec l’autonomie de décision des Européens. Londres propose encore un système de double contrôle douanier, considéré comme une usine à gaz en puissance.

Pour autant, la Commission de Bruxelles et les Etats membres ne devraient pas repousser sèchement la proposition, sachant le capital politique qu’elle a déjà coûté à Theresa May. « Ce livre blanc ne doit pas être considéré comme une base de négociation, il est plutôt destiné à un usage de politique intérieure. Si on le décortique trop, on va casser la dynamique de discussion », relève un diplomate européen.

Si l’intérêt des Européens prime, ils ne souhaitent pas la chute de la première ministre britannique. Qui signifierait la perte de précieux mois de négociations, alors que l’échéance du Brexit se rapproche dangereusement : c’est pour dans huit mois. « Theresa May a fait preuve jusqu’à présent d’une vraie résilience », souligne un diplomate bruxellois. Les négociateurs, réunis à Bruxelles depuis le 16 juillet, se concentrent sur les aspects techniques de l’accord de divorce, les moins contentieux.

Preuve cependant que la crainte d’un « no deal » monte sérieusement à Bruxelles : la Commission a rédigé un document détaillant la marche à suivre en l’absence d’accord le 30 mars 2019, jour du Brexit officiel. Selon la chaîne irlandaise RTE, le texte souligne qu’au jour du divorce, les Etats membres devront considérer le Royaume-Uni comme un pays tiers et réintroduire les contrôles aux frontières, pour les biens et les personnes.

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