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Jours tranquilles à Paris
7 août 2018

Paris Plages, une incongruité dans le monde urbain

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Pour le sociologue Benjamin Pradel et l’urbaniste Gwendal Simon, l’événement estival au cœur de la capitale constitue « un tiers-lieu innovant ».

Des parasols en bord de la Seine, des palmiers à deux pas de Notre-Dame, des corps en maillot de bain sur les quais parisiens : en transformant, le temps d’un été, la ville en station balnéaire, Paris Plages tente, depuis 2002, de transposer au cœur de la ­capitale l’atmosphère estivale et détendue que l’on associe volontiers au littoral. Avec un succès qui ne se dément pas : tous les ans, des millions de Parisiens et de touristes fréquentent ce décor de théâtre qui reconstitue l’imaginaire du bord de mer.

Le défi est immense : si le corps dénudé est la norme sur la plage, il est perçu comme une incongruité dans le monde urbain. « Rares sont les lieux qui permettent de bronzer, allon­gé, immobile, gratuitement, longtemps et en partie dénudé, en dehors des parcs, jardins ­publics et berges des rivières qu’occupent des citadins héliotropes, constatent le sociologue Benjamin Pradel et l’urbaniste Gwendal Simon, en 2014, dans la revue Mondes du tourisme. A ce titre, les plages urbaines – et Paris Plages en particulier – semblent constituer des tiers-lieux innovants. »

Comment orchestrer ce que ces deux auteurs qualifient de « dévoilement inédit des corps en ville » ? Comment faire coexister, dans l’espace urbain, des salariés pressés en costume-cravate et des corps immobiles dénudés ? En encadrant avec minutie le bal du dénudement. « Le comportement du public doit être conforme à l’ordre public, entendu comme le bon ordre, la tranquillité et la sécurité publics », précise la Mairie de Paris. Edictées dès les premières éditions de Paris Plages, des règles tentent de désamorcer les tensions qui pourraient naître de l’exposition, en pleine ville, de corps en maillot de bain.

Une amende forfaitaire contre le monokini

La semi-nudité – notamment le monokini – peut ainsi être sanctionnée par une amende forfaitaire de 38 euros : les premières contraventions pour « topless » sont tombées en 2012. Chaque année, pour éviter que le ­dénudement s’étende au-delà de Paris Plages, la Préfecture de police rappelle par ailleurs que le maillot de bain est interdit dans les parcs et les jardins parisiens.

A ces contraintes réglementaires s’ajoutent sur place de subtils arbitrages implicites. « Ces règles internes au site et aux participants organisent la proximité des corps balnéaires entre eux, soulignent Benjamin Pradel et Gwendal Simon. En édictant tacitement les agencements possibles ou incompatibles, ce dispositif régit la possibilité du dévoilement. » Les corps les plus dénudés s’installent à l’avant-scène de la plage, évitant spontanément la zone située au pied du mur de soutènement où se pressent les familles qui se consacrent à des activités calmes (pique-nique, lecture, jeux de cartes).

Dans ce ballet corporel, moins libre et spontané qu’on ne le croit, les regards organisent l’autodiscipline collective. « Ils deviennent les signaux des règles internes et implicites aux promeneurs se rapprochant de la plage », poursuivent les chercheurs. Les promeneurs habillés qui ne respectent pas les distances minimales ou posent des regards insistants ou déplacés sur les « plageurs » dénudés sont ainsi promptement rappelés à l’ordre par une myriade de coups d’œil réprobateurs.

Par Anne Chemin

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