Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
10 août 2018

Corinne et Gilles Benizio, l’humour comme moteur

Shirley-et-Dino-decouvrez-Elisa-et-Raphael-leurs-enfants-Photos

Par Sandrine Blanchard - Le Monde

Couples d’artistes (2/6). Passionnés de music-hall, ils se sont fait connaître en duo à la télévision sous les noms de Shirley et Dino, avant de revenir sur les planches, où ils conçoivent ensemble leurs spectacles.

A quoi tient l’alchimie d’un couple ? En écoutant Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino, on est tenté de répondre : au plaisir d’être ensemble, au respect mutuel, aux émotions et intuitions partagées. Mais à tout cela il faut ajouter un trait de caractère commun qui cimente la complicité de ces artistes, unis sur scène et à la ville depuis plus de trente ans. Ce petit truc en plus tient en un mot : l’humour. L’humour comme moteur de leur rencontre, de leurs créations, de leur succès et de leur amour. Ces deux passionnés de music-hall, qui, de manière inattendue, ont conquis le grand public au début des années 2000 grâce à l’émission de Patrick Sébastien « Le Plus Grand Cabaret du monde », sur France 2, étaient faits pour s’entendre.

Ils se sont « trouvés » en 1982, sur les bancs de l’université Censier-Paris-III. Elle rêve d’être actrice, lui de faire de la comédie. Elle vit encore chez ses parents à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) où, grâce à la MJC, elle a découvert le théâtre. Son père travaille aux PTT, sa mère à l’usine. Lui, fils d’immigrés italiens, est né en Meurthe-et-Moselle d’un père ouvrier spécialisé dans la sidérurgie et d’une mère au foyer élevant ses quatre enfants. Il a décroché son bac technologique et travaille à Paris depuis cinq ans (leur écart d’âge) dans les télécoms.

Tous deux d’origine modeste, ils n’ont pas les moyens de se payer une école. Alors ils choisissent la fac, mais comprennent très vite que ce ne sont pas les cours théoriques de théâtre qui les mèneront sur les planches. Les deux étudiants se croisent : « Elle me faisait marrer », se souvient Gilles. « Lui aussi », renchérit Corinne. Coup de foudre ? Coup de chance ? Les deux, mon capitaine. « On partageait, sans le savoir, beaucoup de choses », résume ce couple que l’on croirait presque frère et sœur.

« Mnouchkine nous a enseigné les règles essentielles »

Ils se mettent à écrire ensemble, à improviser à partir de situations et de personnages. Dans une salle de la fac, ils jouent leur premier spectacle de café-théâtre intitulé La Folie des glandeurs. « Tout un programme ! », se moque aujourd’hui Corinne. Cinq représentations comme un prélude à une carrière qui va se construire avec son lot de galères, de surprises et de coups de poker. « Je ne voulais pas forcément faire rire ; c’est lui, fan de comédie italienne, qui m’a entraînée là-dedans », précise Corinne, sans aucune acrimonie.

Dans le petit jardin de leur maison d’Antraigues-sur-Volane (le très beau village ardéchois de Jean Ferrat, où ils se réfugient chaque été depuis quatorze ans), Corinne et Gilles, mariés depuis 1985, ne se coupent jamais la parole. Chacun complète les souvenirs de l’autre et tous deux évoquent avec nostalgie les premiers stages où ils ont tout appris. Monika Pagneux, professeur de mouvement, leur fait « prendre conscience » de leurs corps « de manière extraordinaire ».

Puis, grâce aux ateliers gratuits d’Ariane Mnouchkine, ils comprennent comment peut naître un personnage. « Pour la première fois de ma vie, c’était exactement ce que je cherchais, ce que je voulais faire », insiste Corinne. « Elle nous a enseigné les règles essentielles du jeu », complète Gilles. « Sans ces deux femmes, nous n’aurions pas fait tout ce parcours », jurent les duettistes.

A la sortie de cette expérience mémorable avec Mnouchkine, le couple crée Shirley et Dino. Deux personnages de music-hall à la ringardise désopilante qui vont jalonner leur parcours théâtral et leur apporter, à force de travail, la notoriété. Fan de Dean Martin, Gilles imagine un crooner moqueur qui multiplie les gamineries avec la complicité du public. Corinne opte pour une jeune fille un peu coincée, à la voix perchée et aux éclats de rire incontrôlés, coiffée d’une « choucroute » et habillée d’une robe Vichy des années 1950.

Les débuts de ce duo se font dans la rue, le temps d’un été à Perpignan, et ça cartonne. « On avait le sentiment de tenir quelque chose », se remémore Gilles. Puis c’est le Festival « off » d’Avignon : leur compagnie, Achille Tonic, signe une centaine de dates de programmation à travers la France. Mais ne convainc personne à Paris : « Du music-hall ? Arrêtez, c’est mort », leur rétorque-t-on. Corinne persuade Gilles de lâcher son travail aux télécoms. Sinon, lui dit-elle, « tu ne seras jamais comédien ». Il accepte mais attendra deux ans avant de l’annoncer à sa mamma, inquiète de cette vie de saltimbanque.

Bouche-à-oreille

La question de travailler et de créer ensemble ne s’est jamais posée, mais imposée, comme une évidence. « On se connaît tellement, et puis on aime inventer », dit Corinne. « Les mêmes choses nous font rire, elle est mon meilleur public, on ressent les mêmes émotions », poursuit Gilles. Ils partagent l’artistique, mais la compta et la gestion, c’est pour lui. « Moi, j’étais prête à jouer gratuitement », concède-t-elle dans un éclat de rire.

Entre deux représentations de Shirley et Dino, ils créent Les Etoiles de Monsieur Edmond, en 1990, et dénichent un terrain vague rue de la Roquette, à Paris, où ils montent un chapiteau. Pendant plus d’un an, leur spectacle de music-hall ne désemplit pas grâce au bouche-à-oreille. Après une tournée, ils relancent l’aventure et installent cette fois leur chapiteau à côté de la gare d’Austerlitz pour une nouvelle création intitulée Cabaret citrouille.

« LES INSTITUTIONNELS ONT DÉPENSÉ LEUR ÉNERGIE À NOUS EXPLIQUER POURQUOI ILS NE NOUS AIDERAIENT JAMAIS. JE LES DÉTESTE UN PEU »

« On avait très peu d’argent, on faisait tout, jusqu’au recrutement du gardien de nuit, on bossait comme des dingues », se souvient Corinne. « Et en plus y avait les mômes », précise Gilles. Une fille et un garçon nés en 1991 et 1994. Sous le chapiteau, la chanteuse Anne Sylvestre avait sa table et, un soir, le cinéaste Pierre Etaix, dont le couple admire le travail, est là. Emballé par le spectacle, il leur présente des clowns, des magiciens… Shirley et Dino ont un public mais ni médias, qui boudent ces « deux rigolos », ni subventions, parce qu’ils n’entrent dans aucune case officielle. « Les institutionnels ont dépensé leur énergie à nous expliquer pourquoi ils ne nous aideraient jamais. Je les déteste un peu », lâche Gilles. « En France, le rire est douteux », regrette Corinne.

Shirley et Dino sont loin d’être des débutants quand leur vie d’artistes bascule, au tournant du siècle. Au Festival du rire de Montreux, en Suisse, on leur propose d’animer le gala. Après sa retransmission à la télévision, des collaborateurs de Patrick Sébastien les appellent. « Je m’en souviendrai toujours. On était à la plage, à l’île de Ré, le téléphone sonne et quelqu’un nous dit : voulez-vous participer à l’émission “Le Plus Grand Cabaret du monde” ? », relate Corinne.

Bien sûr, ils connaissent ce rendez-vous télévisé, mais pas du tout son animateur. Pendant les répétitions, Patrick Sébastien leur glisse : « Vous, vous allez exploser. » Il ne croyait pas si bien dire. Après seulement deux émissions, le standard de La Nouvelle Eve, cabaret parisien où ils se produisent alors, ne cesse de sonner et leur DVD se vend comme des petits pains. En 2002, les deux fantaisistes font le plein au Théâtre Marigny et, en 2003, décrochent le Molière du meilleur spectacle d’humour.

La télé, « une période délirante mais compliquée »

Ces quatre premières années à la télévision furent « une période délirante mais compliquée, résume Corinne. Du jour au lendemain on ne peut plus sortir dans la rue tranquillement ». Gilles ajoute : « Heureusement qu’on avait passé la quarantaine, sinon on aurait pu prendre la grosse tête ! »

C’est elle qui décide d’arrêter ce métier qui n’est pas le leur. La télé est arrivée par hasard dans leur vie, leur a apporté beaucoup, mais ils vont la quitter sans regrets. « J’étais catégorique, je voulais faire autre chose ! On était essorés, on commençait à faire n’importe quoi et peut-être à être tirés vers le bas. » Lui se laisse convaincre par « l’analyse de Coco. Ce n’était plus uniquement du plaisir, [ils] avai[ent] perdu le côté bon enfant ». Et puis le scénario de leur film (Cabaret Paradis, 2006) arrivait à maturité. Sollicités par d’autres chaînes de télévision pour animer, avec un salaire confortable, des émissions, ils déclinent, d’un commun accord, toutes les propositions.

Ils font le choix de revenir à l’artisanat plutôt qu’à l’audimat, mettent en scène la comédie musicale Le Soldat rose et montent un nouveau spectacle, Les Caméléons d’Achille. A l’issue d’une des représentations, le chef d’orchestre Hervé Niquet, fan de leur univers, leur propose de mettre en scène un opéra de Purcell. Gilles dit oui tout de suite, Corinne, « toujours trop modeste », selon sa moitié, trouve que « c’est de la folie. [Ils] connaissai[ent] mal la musique classique ». Mais elle suit. King Arthur est créé en 2008, le succès est au rendez-vous et la collaboration avec Pierre Niquet perdure depuis plus de dix ans.

Et les personnages de Shirley et Dino ? Abandonnés depuis 2010. « J’avais 25 ans quand j’ai imaginé Shirley, je ne voulais pas qu’elle devienne pathétique sur scène », explique Corinne. Dino a continué à faire son crooner, toujours accompagné de sa femme, mais différemment. Ils répètent à la maison leur nouveau spectacle, Le Bal, confrontent leurs idées et, c’est l’essentiel, « se marrent », encore et toujours.

Publicité
Commentaires
Publicité