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Jours tranquilles à Paris
3 septembre 2018

Heinrich Hoffmann, le photographe d’Hitler

Par Philippe Dagen, Montpellier

L’exposition « Un dictateur en images », à Montpellier, rassemble des portraits qu’il a tirés du Führer jusqu’à la fin du IIIe Reich. Donnant à voir le nazisme en photos, jusqu’au dégoût.

Dans l’histoire de la photographie, Heinrich Hoffmann (1885-1957) n’a aucune importance. Praticien de qualité moyenne, il apprend son métier auprès de son père, Robert Hoffmann, photographe officiel de la cour de Bavière, et d’Emil Otto Hoppé, portraitiste établi à Londres, où il séjourne en 1907-1908. De retour à Munich, il se spécialise dans le reportage de presse et, en 1909, ouvre un studio. En 1912, il y tire le portrait d’un jeune artiste français qui séjourne alors dans la ville, Marcel Duchamp. Bon commerçant, il développe aussi une production de cartes postales et collabore avec des magazines et des agences de presse.

Le 2 août 1914, il photographie la foule qui manifeste sur l’Odeonsplatz son enthousiasme à l’idée de l’entrée en guerre. Ce n’est que plus tard qu’il est apparu que, dans ces centaines de jeunes gens qu’enchante la perspective de massacrer et d’être massacrés, figure, souriant, Adolf Hitler. L’image est devenue célèbre mais, quand il la prend, Hoffmann a juste de la chance.

Pas tout à fait cependant : s’il est là ce 2 août, c’est qu’il est d’accord avec le nationalisme des manifestants – d’accord, mais pas au point de s’engager aussitôt. Mobilisé en 1917 seulement – dans l’aviation, mais pas comme pilote –, il participe à peine à la guerre. Il est de retour à Munich pour y photographier le soulèvement révolutionnaire de la République des conseils, qui finit par la prise de la ville par des corps francs d’extrême droite le 3 mai 1919. Dès ce moment, il affiche des convictions ultranationalistes, dont l’antisémitisme est l’un des aspects. Il est un « gut Deutsch », un bon Allemand, et dirige une revue qui porte ce titre.

hitler

Epreuve

Après 1920, les groupes d’extrême droite prospèrent à Munich, sur fond d’affrontement avec les communistes et d’effondrement de l’économie. En 1923, deux hommes s’associent pour tenter le putsch dit « de la brasserie » : le général Erich Ludendorff et le président d’un parti se réclamant d’une doctrine nommée national-socialisme, Adolf Hitler.

Parmi les membres de ce parti, carte d’adhésion numéro 427, Hoffmann. Lequel essaie dès octobre 1922 de prendre son grand homme en photo, ce à quoi celui-ci se refuse violemment. Mais, après l’échec du putsch de la brasserie et l’emprisonnement de ses auteurs dans la forteresse de Landsberg, il faut des photos d’Hitler, et c’est Hoffmann le mieux placé. Ainsi commence leur histoire commune. Ainsi devient-il le photographe officiel d’Hitler, jusqu’à la fin du IIIe Reich, et inonde l’Allemagne de ses images de propagande. Hoffmann, c’est le nazisme en photos.

Lui consacrer une exposition se justifie de ce point de vue historique, qui est celui d’Alain Sayag, le commissaire d’« Un dictateur en images ». Il est difficile de surmonter le dégoût qui grandit au fil de la visite. Devoir regarder des dizaines de portraits d’Hitler est une épreuve.

L’exposition déploie en effet largement la production d’Hoffmann et de son entreprise Presse Illustrationen Hoffmann. Le chiffre d’affaires de celle-ci est de 700 000 Reichmarks en 1933 et de 15,4 millions en 1943 : succès financier adossé à celui de l’Illustrierter Beobachter (« l’observateur illustré ») fondé par Hitler et Hoffmann en 1926, hebdomadaire officiel du parti qui publie 255 portraits d’Hitler en couverture entre 1928 et 1945 – les deux tiers réalisés par Hoffmann. Sa société exerce un quasi-monopole, qu’elle fait fructifier par l’album, la vignette publicitaire et le livre : le Führer partout, du mur au paquet de cigarettes.

Faire du dictateur une obsession visuelle

Le recueil d’images Hitler wie ihn keiner kennt (« Hitler comme personne ne le connaît », non traduit), paru pour la première fois en 1932 – tirage initial de 140 000 exemplaires –, est retiré six fois, pour une diffusion totale d’environ 2,5 millions d’exemplaires. Pour suggérer efficacement et même jusqu’à la nausée la prolifération, les salles sont saturées de clichés, dans tous leurs états, pages de journaux, affiches, épreuves anciennes ou modernes, négatifs de verre, planches-contacts, etc. Certains sont de piètre qualité, mais cette médiocrité elle-même est significative : il s’agit par tous les moyens de faire du dictateur une obsession visuelle de tous les Allemands, des plus pauvres aux plus riches.

La plupart de ces scènes sont connues : parades à Nuremberg, séjours alpins à Berchtesgaden, passage à Paris le 28 juin 1940, rencontres avec Mussolini et Pétain. L’est aussi la séquence d’août 1927 : dans le studio d’Hoffmann, le dictateur et son ami essaient les poses les plus grandiloquentes, les gestes les plus énergiques, les clairs-obscurs les plus dramatiques. Bras levés, poings serrés, œil exalté ou furieux : la fabrique du pitre. On s’en amuserait, tant le comédien est mauvais, si ce n’était ce comédien monstrueux-là et s’il ne démontrait ici sa parfaite compréhension de la communication de masse.

Hitler est en effet, avec Mussolini, le premier dictateur qui ait pris le pouvoir et l’ait conservé en partie grâce à la puissance des images. En ce sens, il est moderne. Aussi a-t-il fait école. Les Hoffmann d’aujourd’hui sont mieux équipés, plus subtils parfois, mais le principe est le même : inventer une imagerie du chef suprême qui impressionne ou séduise. Le monde actuel est plein de tels chefs qui ont à leur service de telles agences.

Elles ont aussi pour fonction d’empêcher la diffusion d’images « non conformes » comme on dit désormais, et c’était déjà le cas avec Hoffmann. Pas d’Hitler à lunettes, plus d’uniforme de SA à culotte de peau et chaussettes de laine passé 1929. Mais un sourire de temps en temps, car le Führer est bon vivant ; ou une pose avec les enfants de la famille Ribbentrop ou les petits-fils de Richard Wagner, car le Führer aime les enfants. Avec son chien-loup aussi, Blondi : le Führer aime les animaux, du moins certains. On aperçoit Eva Braun, sa maîtresse, et quelques dignitaires, dont Himmler et Göring, mais au second plan évidemment : hiérarchie oblige.

Une deuxième exposition, « Regards sur les ghettos »

A cette leçon d’histoire impitoyable en est associée une deuxième, pour rappeler à qui n’y penserait pas – mais qui n’y penserait pas ? – la réalité. « Regards sur les ghettos » est une reprise abrégée de l’exposition présentée en 2013-2014 au Mémorial de la Shoah. A partir de la conquête de la Pologne, le IIIe Reich regroupe par la force les habitants juifs des territoires conquis dans des ghettos. Le premier est établi à Piotrkow, près de Lodz, en octobre 1939. Ils se multiplient ensuite, pour les juifs polonais et ceux d’Autriche, de Tchécoslovaquie, des pays baltes et d’Ukraine.

Ce système carcéral appliqué sans distinction de sexe et d’âge est le premier stade du processus d’extermination décidé en janvier 1942, d’une part parce qu’il enferme déjà celles et ceux qui seront voués aux chambres à gaz, d’autre part parce que la famine, les épidémies, le travail forcé jusqu’à l’épuisement et les exécutions assassinent plus d’un million de personnes avant que ne commencent les transferts vers Auschwitz et les autres camps d’extermination.

Dans ces ghettos, des milliers de photos sont prises. Les unes le sont à des fins de propagande ou, à titre personnel, par des soldats de la Wehrmacht autorisés à pénétrer dans les ghettos avec un appareil ou entrés en fraude. Leurs pellicules sont réapparues longtemps après 1945.

Ce serait peu de dire qu’elles mettent mal à l’aise : faut-il y voir des documents pris par curiosité plus ou moins morbide, sans compassion ou, comme le commentaire le suggère souvent, les signes, sinon d’une sympathie, du moins du trouble d’hommes effarés par l’horreur qu’ils découvrent ? Que penser ainsi de cet Hugo Jaeger, employé d’Hoffmann, portraitiste d’Hitler en couleurs, qui photographie en 1940 les internés de Kutno (Pologne) sans tomber dans les stéréotypes de l’antisémitisme ? A-t-il compris ?

Les autres photos sont celles que réalisent des prisonniers des ghettos, Mendel Grossmann, Henryk Ross, George Kadish. Ils ont caché leurs rouleaux dans des bouteilles ou des boîtes qu’ils ont enterrées. Retrouvées après la guerre, les photos ont été publiées. C’est en elles que se trouve la vérité du nazisme.

« Un dictateur en images » et « Regards sur les ghettos ». Jusqu’au 23 septembre au Pavillon populaire, esplanade Charles-de-Gaulle, Montpellier. Tél. : 04-67-66-13-46. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 13 heures et de 14 heures à 19 heures. Entrée libre.

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