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Jours tranquilles à Paris
14 septembre 2018

Inquiétude sur le sort de l’actrice chinoise Fan Bingbing, bannie des écrans et désormais invisible

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Par Brice Pedroletti - Le Monde

Trois mois après un scandale d’évasion fiscale, le sort de l’actrice, dont le passeport a été confisqué, reste incertain. Plus grande star du pays, elle fut l’égérie de L’Oréal Paris pour l’Asie et membre du jury au festival de Cannes.

Son nom a été retiré de l’affiche d’un film à venir. La série dans laquelle elle joue ne sera pas diffusée. On la dit déjà bannie à jamais des écrans chinois. Cruelle mise à mort médiatique que celle qui, par petites touches, grignote l’image et la réputation de Fan Bingbing, qui aura 37 ans le 16 septembre. Plus grande star de Chine, elle fut l’égérie de L’Oréal Paris pour l’Asie et membre du jury au festival de Cannes. Lundi 10 septembre, la chaîne thaïlandaise de duty-free King Power la congédiait comme ambassadrice globale de la marque. Le lendemain, une université chinoise publiait un palmarès de la « responsabilité sociale » des personnalités en vue. Elle a reçu la note de zéro.

Après trois mois d’incertitude sur son sort après un scandale d’évasion fiscale concernant ses cachets, l’actrice a indirectement donné des nouvelles peu rassurantes, le 6 septembre, quand le Securities Daily, un journal financier chinois, a révélé qu’elle avait été « placée sous contrôle », comprendre, une forme ou une autre de détention, et « acceptait les décisions de justice » [à venir]. De manière tout aussi inquiétante, le quotidien précise que ses cachets truqués ne sont « que la pointe de l’iceberg » : « elle est également soupçonnée d’avoir pris part à des opérations de prêts illégaux et d’autres formes de corruption », lit-on, dans le style à la fois précis et évasif des entrefilets de presse officielle préparant de futures annonces, comme une arrestation formelle.

La pratique des contrats « ying et yang »

Tout a commencé fin mai, quand Cui Yongyuan, célèbre animateur de télévision, révèle sur Weibo, le Twitter chinois, un morceau de contrat où apparaît le nom de Fan Bingbing. Il feint de s’indigner qu’elle demande 10 millions de yuans (1,25 million d’euros) pour quatre jours de tournage et toutes sortes d’à-côtés. Ce sont d’abord ses exigences de princesse qui font jaser – les émoluments de sa maquilleuse, son forfait repas. On croit vite l’affaire close – Fan Bingbing est après tout la star la mieux payée de Chine – mais M. Cui lâche une bombe : un autre contrat, pour la même prestation, établi à 50 millions de yuans, soit 6, 25 millions d’euros. C’est en réalité la partie secrète du cachet de la star, selon la pratique dite des contrats « yin et yang » : la plus petite part est déclarée au fisc, pas l’autre.

L’Internet chinois s’embrase. Bientôt, tout le show-biz, en pleine bulle financière, est sous accusation. Le département de la propagande du parti brocarde une industrie du cinéma qui « nourrit les tendances d’un culte de l’argent ». Les jeunes chinois doivent cesser de « poursuivre aveuglément les gens célèbres ».

C’est le grand déballage : Huayi Brothers, la société de production qui vient de faire tourner Fan Bingbing dans Cellphone 2, suite du grand succès qui a lancé l’actrice en 2003, voit ses actions en bourse plonger. Son réalisateur, Feng Xiaogang, célébrissime, est lui aussi attaqué pour évasion fiscale. Les réseaux sociaux s’agitent autour de la joute publique entre lui et l’animateur sonneur d’alerte, soupçonné de n’avoir pas digéré que sorte une suite à Cellphone – comédie grinçante sur l’adultère inspirée de… sa propre histoire. Il l’avait racontée à M. Feng et son scénariste, un jour de bombance.

« Une proie facile »

Si d’autres noms sont jetés en pâture aux internautes, Fan Bingbing fait l’objet d’un lynchage en règle. On éreinte son jeu. « C’est une proie facile. Elle n’a jamais été considérée en Chine comme une grande actrice, ce qu’elle est pourtant », explique le réalisateur français Charles de Meaux, qui l’a mise en scène dans deux films, Stretch et surtout Portrait interdit, sorti en décembre 2017 en France. Le film, qui aurait convaincu Cannes de choisir Fan Bingbing pour le jury de l’édition 2017, n’a jamais été distribué en Chine. Il paraît aujourd’hui prémonitoire : il décrit la chute d’une favorite trop téméraire.

Les ennuis de l’actrice profitent-ils au régime chinois ? « Il est toujours utile de pouvoir montrer au peuple que le parti communiste lutte contre les inégalités : les riches sont décrits comme volant le peuple », analyse le sinologue Jean-Philippe Béja.

« Cela participe du message que Xi Jinping propage d’un retour à la vertu, d’une rupture avec la Chine de ses prédécesseurs. On s’est attaqué aux bureaucrates, aux grands patrons. Et désormais aux acteurs. »

Le scénario des malheurs de Fan Bingbing commence ainsi : quand éclate l’affaire, l’actrice lance ses avocats contre l’animateur. Celui-ci s’excuse et laisse entendre qu’elle est « gérée » par des gens peu scrupuleux. Début juillet, Fan Bingbing s’envole secrètement pour l’étranger, à en croire les messages envoyés à un cercle de proches en Chine. Elle leur montre, comme à son habitude, l’écran individuel face au passager qui, dans les avions, indique la position sur le planisphère. C’est un siège de classe affaires ou première. On distingue son sac Hermès. Elle se rend aux Etats-Unis, puis à Londres, et enfin en Australie.

A son retour en Chine mi-juillet, son passeport est confisqué. Son agent, un Taïwanais, aurait été arrêté fin juillet. Puis son tour serait venu. « On craignait au début que l’agent prendrait vingt ans de prison et qu’elle ne serait qu’interdite d’écran. Or, cela pourrait aller plus loin », souffle une source. La fin reste à écrire.

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