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Jours tranquilles à Paris
18 septembre 2018

Traverser la rue pour trouver du travail....

Macron au risque de l’arrogance

Par Cédric Pietralunga - Le Monde

Adepte du « parler vrai », le chef de l’Etat déclenche régulièrement des polémiques, brouillant parfois son message et prêtant le flanc aux accusations de « mépris de classe » portées contre lui.

C’était une force, c’est devenu une faiblesse. Adepte du « parler vrai », comme il nomme ces petites phrases qui défraient régulièrement la chronique, Emmanuel Macron s’est une nouvelle fois distingué, samedi 15 septembre, lors des Journées du patrimoine. Interpellé dans les jardins de l’Elysée par un jeune horticulteur au chômage, qui se plaignait de ne pas avoir de travail, le chef de l’Etat lui a conseillé de « traverse [r] la rue » pour en trouver.

« Si vous êtes prêt et motivé, dans l’hôtellerie, le café, la restauration, dans le bâtiment, il n’y a pas un endroit où je vais, où ils ne me disent pas qu’ils cherchent des gens. Pas un ! », a plaidé M. Macron. « Je traverse la rue, je vous en trouve » du travail, a-t-il ajouté, conseillant à son interlocuteur de ne pas lui parler mais de plutôt se rendre à Montparnasse – où se trouve sa brasserie fétiche La Rotonde – pour prospecter cafés et restaurants. « Franchement, je suis sûr qu’il y en a un sur deux qui recrute ! »

Filmé par une caméra, l’échange a immédiatement enflammé les réseaux sociaux et l’opposition, qui a dénoncé un « mépris de classe ». « Macron invite six millions de personnes à traverser la rue pour avoir du boulot. Pour lui, les chômeurs sont coupables de leur chômage. Où vit cet homme ? Qui a jamais insulté plus odieusement les Français en difficulté ? », a asséné, le lendemain sur Twitter, le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. « Il faut que [Macron] arrête de se comporter comme un jeune militant libéral exalté », a ajouté l’ancien candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon, lundi, sur France inter.

Même à droite, où la question de la motivation des chômeurs à trouver du travail prête pourtant régulièrement à débat, le tollé était unanime, ou presque. « Emmanuel Macron est faible vis-à-vis des puissants, des riches, et toujours arrogant vis-à-vis des plus modestes », a critiqué le souverainiste et député de l’Essonne Nicolas Dupont-Aignan, lundi sur Franceinfo. « Sur l’observation factuelle, il a raison, sur la forme, c’est une condescendance teintée de mépris », a réagi le député européen (Les Républicains) Brice Hortefeux, sur LCI.

Au plus bas dans les sondages

Beaucoup de bruit pour rien, veut au contraire croire l’exécutif. « La personnalité du président de la République est le parler vrai, il dit les choses. Mais il n’y a pas de volonté d’humilier ni de blesser », plaide l’Elysée, où l’on rappelle qu’environ 300 000 emplois ne sont pas pourvus en France. « Si on ne peut plus dire les choses, on se condamne à un débat aseptisé. Il faut expliquer qu’il y a aujourd’hui une inadéquation entre la demande et l’offre de travail dans notre pays », ajoute l’entourage du premier ministre Edouard Philippe.

« Vous préférez la langue de bois ? (…) Moi, je préfère un président de la République qui dit la vérité, a lui aussi défendu le secrétaire d’Etat chargé des ralations avec le Parlement Christophe Castaner, dimanche sur RTL. Aujourd’hui, il y a la question de l’orientation. L’emploi dans l’horticulture, comme dans d’autres secteurs, a baissé ces dernières années. » « On sait qu’il a un franc-parler, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a été élu », a de son côté rappelé le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire François de Rugy, sur Europe 1.

N’empêche, la séquence fait désordre pour un président au plus bas dans les sondages. Si la plupart des élus de La République en marche (LRM) défendent le chef de l’Etat, d’autres commencent à s’agacer de ces sorties. « Personne ne pourrait se satisfaire que quelqu’un qui veut être horticulteur devienne serveur dans un restaurant. Ce n’est pas satisfaisant, même si ça peut être une solution temporaire », a ainsi nuancé Barbara Pompili, députée (LRM) de la Somme, interrogée lundi sur CNews.

Pour certains soutiens, ces petites phrases, si elles font partie de la « nature » du chef de l’Etat et participent de son image d’homme « différent », peuvent en effet avoir un effet contre-productif. « A force d’être répété, ce qui était considéré comme disruptif hier peut finir par hérisser les Français, il faut faire attention », estime un macroniste de la première heure. « Malgré les difficultés, Emmanuel Macron garde pour l’instant une stature d’homme d’Etat. Tout ce qui abîme la figure présidentielle doit être évité », met en garde un membre du gouvernement.

« Morgue sociale »

Ces saillies sont d’autant plus mal vécues qu’elles perturbent souvent le message présidentiel. Au début de l’été, la polémique déclenchée par la vidéo où on voyait Emmanuel Macron qualifier les aides sociales de « pognon de dingue » avait occulté le discours, tenu le même jour au congrès de la Mutualité, sur la nécessaire réforme de l’Etat-providence. Même l’Elysée le reconnaît aujourd’hui. « C’était une expression caricaturale qui a massacré le discours », avoue un conseiller, qui plaide pour « simplifier mais pas abêtir ».

Cette fois, c’est la séquence « jambe gauche » du gouvernement, ouverte par la présentation du plan pauvreté, le 13 septembre, et suivie par la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, ce mathématicien torturé à mort par l’armée française lors de la guerre d’Algérie, qui se trouve brouillée.

« Avec sa phrase “je traverse la rue et je vous trouve un emploi”, Emmanuel Macron risque d’effacer lui-même le correctif d’image qu’il avait semblé réussir à incarner lors de la présentation du plan pauvreté », juge Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. Comme si le chef de l’Etat devenait son plus dangereux adversaire.

« Au début du mandat, cette morgue sociale, qui n’est pas nouvelle, était acceptée par les Français car il y avait une promesse d’amélioration de leur situation. Mais mise en regard de l’absence de résultats, elle donne désormais le sentiment d’un président déconnecté des difficultés de la vie », analyse de son côté Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP. Selon un sondage Kantar Sofres Onepoint publié le 17 septembre, 39 % des personnes interrogées estiment ainsi que le président doit « reconnaître ses erreurs » et être « plus à l’écoute ». Un peu moins jupitérien et plus humain, en somme.

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