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Jours tranquilles à Paris
19 septembre 2018

Emmanuel Macron face à la grogne des retraités

Par Raphaëlle Besse Desmoulières, Cédric Pietralunga, Audrey Tonnelier

Alors que les aînés avaient en 2017 davantage voté pour l’actuel chef de l’Etat que la moyenne des Français, ils sont aujourd’hui une large majorité à se dire déçus de l’action de l’exécutif

« Il faut arrêter d’emmerder les retraités ! » D’habitude réticent à raconter les coulisses du pouvoir, l’Elysée a fait une exception, lundi 17 septembre. Selon l’entourage d’Emmanuel Macron, le chef de l’Etat a tenu une réunion avec ses conseillers, le même jour, au cours de laquelle il a exclu toute velléité de modifier les droits de succession durant le quinquennat. « On n’y touchera pas tant que je serai là […]. On a demandé des efforts aux retraités. Mais maintenant, arrêtez de les emmerder », aurait cinglé le président, paraphrasant Georges Pompidou qui, en 1966 lorsqu’il occupait Matignon, avait enjoint à ses conseillers de « foutre la paix » aux Français.

L’Elysée ne s’en cache pas, cette sortie était destinée à éviter les spéculations sur un alourdissement des droits de succession. C’est Christophe Castaner, le patron de La République en marche (LRM), qui avait allumé la mèche, vendredi 14 septembre. Lors de sa conférence de presse de rentrée, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement avait annoncé l’ouverture d’une « réflexion sans tabou sur la fiscalité des successions ». Une erreur, selon le président. « On a besoin d’un équilibre dans les efforts, à partir du moment où les retraités ont été mis à contribution, il n’est pas question d’en rajouter », estime un conseiller.

Cette exception à l’habituel mutisme de l’Elysée en dit long sur l’inquiétude que provoque la grogne des retraités au sein de l’exécutif, malgré le choix assumé jusqu’à présent de privilégier les actifs. Gérard Collomb lui-même a mis les pieds dans le plat, mardi 18 septembre dans un entretien à L’Express : « A un moment donné, il ne faut pas charger la barque », a jugé le ministre de l’intérieur.

Hausse de la CSG

Alors que les aînés avaient en 2017 davantage voté pour Emmanuel Macron que la moyenne des Français, ils sont aujourd’hui une très grande majorité à se dire déçus de l’action du gouvernement. Selon le baromètre de l’institut Elabe, publié le 6 septembre, 72 % d’entre eux disent ne pas avoir confiance dans le chef de l’Etat, contre 64 % pour l’ensemble des Français. Ils étaient seulement 44 % en janvier dernier et 35 % lors de l’élection d’Emmanuel Macron, en mai 2017. Dans ces conditions, difficile de faire entendre que le niveau de niveau de vie médian des retraités est légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population.

« Les retraités sont ulcérés de constater que beaucoup de personnes, y compris au sommet de l’Etat, les considèrent comme des nantis », s’emporte Christian Bourreau, président de l’Union française des retraités. Sur le terrain, les parlementaires de la majorité font face aux critiques. « Sur les marchés, les retraités me parlent de la hausse de la CSG, même ceux qui ne l’ont pas subie », déplore Emilie Cariou, député LRM de la Meuse. A cette augmentation de la CSG, entrée en vigueur le 1er janvier 2018 et non compensée pour 60 % des retraités, est venu s’ajouter un quasi-gel des pensions pour 2019 et 2020, annoncé fin août par le premier ministre Edouard Philippe. Si la première mesure avait été détaillée lors de la campagne présidentielle de M. Macron, ce n’est pas le cas de la seconde.

Comme les allocations familiales et les APL, ces prestations ne seront revalorisées que de 0,3 % les deux prochaines années, ce qui devrait permettre à l’Etat d’économiser au total autour de 3 milliards d’euros par an selon le taux d’inflation. « Pour les personnes affectées par la hausse de la CSG et la non-revalorisation de leur pension, cela représente un demi-mois de retraite en moins », assure Valérie Rabault, présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et ancienne rapporteure du budget.

100 000 RETRAITÉS MODESTES VONT ÊTRE EXONÉRÉS L’AN PROCHAIN DE LA HAUSSE DE 1,7 POINT DE LA CSG

« On ne dit pas assez merci aux retraités, met en garde un membre du gouvernement. Si une partie d’entre eux sont égoïstes et refusent toute idée de solidarité entre générations, de nombreux retraités s’inquiètent au contraire pour leurs enfants et petits-enfants. Ceux-là, il ne faut pas les abandonner, il faut leur expliquer et leur répéter qu’ils sont mis à contribution pour que la vie de leurs descendants s’améliore. »

Preuve de cette préoccupation, l’exécutif a confirmé, mardi, que 100 000 retraités modestes allaient être exonérés l’an prochain de la hausse de 1,7 point de la CSG. Il s’agissait d’un angle mort de la réforme, qui avait dans un premier temps échappé au gouvernement : un certain nombre de conjoints, pour la plupart des femmes, bénéficiaires de petites retraites avaient découvert en début d’année qu’ils subissaient de plein fouet la hausse de la CSG, uniquement parce que le revenu fiscal global de leur couple était au-dessus du seuil d’application de la réforme. Edouard Philippe avait annoncé en mars qu’il fallait « corriger le dispositif », mais Bercy avait tardé à préciser les choses.

Climat anxiogène

Soucieux d’envoyer des signaux aux seniors les plus modestes, le groupe LRM à l’Assemblée nationale a également souhaité travailler à une modulation de cette sous-revalorisation des pensions de retraite, qui pourrait prendre la forme d’une prime exceptionnelle. Mais l’exécutif, qui a dû revoir à la baisse ses prévisions de croissance, ne paraît pas très allant. « Nous regarderons les propositions des parlementaires, mais les engagements du président de la République en matière de dépenses publiques ne sont pas négociables », avertissait la semaine dernière le cabinet de Bruno Le Maire.

Olivier Véran, rapporteur général de la commission des affaires sociales, ne se dit pas non plus « très emballé » par cette idée : « C’est très complexe techniquement pour un rendu qui n’est pas majeur », explique le député LRM de l’Isère.

Les incertitudes pesant sur la réforme des retraites contribuent aussi à rendre le climat anxiogène pour une population qui, ne cesse pourtant de répéter le gouvernement, ne sera pas concernée par ce futur big-bang. Un épisode l’a particulièrement illustré : les ratés de la communication gouvernementale autour du devenir des pensions de réversion ont obligé M. Macron à fustiger, en juillet devant le congrès à Versailles, la « rumeur malsaine » qui fait « croire que nous voudrions supprimer les pensions de réversion ». « Rien ne changera pour les retraités d’aujourd’hui », avait-il martelé.

A l’approche des élections européennes de mai 2019, un scrutin souvent délaissé par les Français, les signaux sont donc au rouge, d’autant que les seniors sont parmi ceux qui votent le plus. « La fracture est profonde, note Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. Emmanuel Macron prend un risque politique : celui d’un vote sanction et de redonner un souffle extraordinaire à la droite républicaine. » Qui verrait ainsi revenir à elle un électorat qui lui est traditionnellement acquis.

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