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Jours tranquilles à Paris
21 septembre 2018

Affaire Benalla : face aux sénateurs, un homme finalement prolixe et « précis »

benalla51

Par Nicolas Chapuis Le Monde

Devant la commission d’enquête de la Haute Assemblée, l’ex-collaborateur d’Emmanuel Macron s’est défini comme un « coordinateur » et non comme un garde du corps.

Décidément, Alexandre Benalla est souvent là où on ne l’attend pas. Alors que la commission d’enquête du Sénat se préparait à une audition musclée avec celui qui avait traité son président – le sénateur (Les Républicains) de la Manche Philippe Bas – de « petit marquis », elle a fait face à un jeune homme de 27 ans au visage contrit.

Exprimant son « profond respect pour le Sénat et les sénateurs » ainsi que « pour les institutions », l’ancien chargé de mission de l’Elysée a présenté ses excuses pour les insultes proférées. « J’ai été bien élevé. J’ai un profond regret pour les propos que j’ai pu avoir à votre intention, quelle que soit la pression, on ne s’en prend pas aux hommes », a-t-il déclaré, la voix grêle, presque fluette.

« Pour être très précis… »

On était plus proche, mercredi 19 septembre, de l’Alexandre Benalla version plateau de TF1 en juillet – lunettes fines, costume impeccable, barbe rasée de près – que de celui de France Inter en septembre, qui exprimait tout son mépris pour les sénateurs.

« J’ai ressenti un acharnement, j’ai eu l’impression que des personnes se sont servies des institutions à des fins politiques », s’est-il justifié. Pour faire face aux questions de la commission d’enquête, celui par qui le scandale est arrivé avait manifestement préparé avec soin ses réponses, commençant toutes ses phrases par l’anaphore « pour être très précis… », provoquant, à la longue, les rires de la Haute Assemblée.

Alors que les parlementaires cherchent à définir le rôle exact de ce chargé de mission aux attributions à géométrie variable, selon les auditions, Alexandre Benalla était venu avec la ferme intention d’expliquer qu’il n’avait pas occupé de fonction de sécurité auprès d’Emmanuel Macron.

« Je n’ai jamais été le garde du corps d’Emmanuel Macron », a-t-il répété à plusieurs reprises, sous serment, englobant à la fois la campagne présidentielle et sa période à l’Elysée. Il a justifié sa « proximité physique » avec le chef de l’Etat sur le terrain par son rôle de coordinateur des déplacements – alors qu’on le voit souvent sur les images épaule contre épaule avec le président, dans une position caractéristique de sécurité rapprochée.

« Le port d’arme n’était pas lié à la sécurité du président »

A la demande de la commission, le jeune homme a listé ses cinq fonctions au palais : l’organisation des déplacements en France, des événements à l’Elysée, des voyages privés du chef de l’Etat, la coordination des services de sécurité et la gestion des cadeaux, offerts ou reçus, par la présidence.

En garde à vue, il s’était attribué devant les policiers une autre mission : « La mise en place de la réforme du GSPR [Groupe de sécurité de la présidence de la République], décidée par M. Macron, sur ma proposition. » C’est cette dernière tâche, aux contours flous, qui faisait craindre aux forces de l’ordre une forme de « privatisation » de la sécurité du chef de l’Etat par ce chargé de mission envahissant.

Interrogé sur ses frictions avec la hiérarchie policière, relatées par plusieurs témoins, M. Benalla a minimisé les inquiétudes que pouvait susciter son projet. « En réalité, je n’ai eu un problème de communication qu’avec deux hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur, opposés pour des raisons corporatistes », a-t-il balayé.

Quant aux témoignages sur son attitude autoritaire vis-à-vis des policiers sur le terrain, le jeune homme a fait remarquer, sarcastique : « Si des policiers d’élite du GSPR et du GIGN [Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale] me craignent moi, alors je suis inquiet pour la sécurité du président de la République. » « Nous aussi, c’est pour ça qu’on est là », a rétorqué un sénateur dans l’assistance.

Les sénateurs se sont particulièrement attachés à comprendre les raisons exactes de la délivrance d’un permis de port d’arme par la préfecture de police de Paris – pour des « missions de police », comme le précise le document. Une série de questions en rafale, qui a poussé M. Benalla dans ses retranchements.

« Le port d’arme n’était pas lié à la sécurité du président de la République, mais à ma sécurité personnelle », a-t-il fini par assurer, provoquant un murmure d’incrédulité dans l’assistance. Interrogé avec obstination sur le fait de savoir s’il avait porté son arme – un Glock – lors des déplacements publics du chef de l’Etat, le chargé de mission a d’abord botté en touche avant de finir par concéder : « Il a pu arriver que j’aie une arme sur moi, si je venais directement de mon domicile. » Idem pour les déplacements privés d’Emmanuel Macron, lors desquels M. Benalla pouvait être armé. « Je n’avais pas une fonction opérationnelle de sécurité », a-t-il répondu retour à plusieurs reprises.

Finalement prolixe

Quant à ses autres avantages, l’ex-chargé de mission s’est attaché à les justifier un à un. L’attribution d’un appartement de travail quai Branly ? Une conséquence de « la charge de travail ». L’obtention d’un badge d’entrée de l’Assemblée nationale ? Un « caprice » pour accéder à la salle de sport du Palais-Bourbon – dont les connaisseurs soulignent pourtant la vétusté. Les deux passeports diplomatiques ? Une procédure habituelle pour ceux qui accompagnent le président, et qui ne « confère aucune immunité ».

Mais c’est peut-être sur les conditions de son recrutement, que le chargé de mission s’est fait le plus flou. La semaine passée, François-Xavier Lauch, le chef de cabinet de l’Elysée et donc son supérieur direct, avait expliqué devant la commission être à l’origine de cette embauche, à la suite d’une sollicitation de M. Benalla.

Le principal intéressé a donné une autre version, mercredi 19 septembre, des conditions dans lesquelles il est entré au palais, confirmant à demi-mot l’intervention directe du chef de l’Etat. Selon lui, il s’agissait de « l’issue normale » de son rôle de « directeur de la sûreté et de la sécurité » d’En marche ! pendant la campagne. « On m’a fléché sur la chefferie de cabinet, sûrement le président ou Alexis Kohler [le secrétaire général]… », a-t-il avancé, expliquant n’avoir rencontré M. Lauch qu’après son embauche. Il a affirmé en outre qu’il avait, jusqu’à cette affaire, un profil irréprochable : « J’ai fait l’objet de plusieurs enquêtes avant d’entrer à l’Elysée. Je ne suis pas un voyou, ni une petite frappe. »

Au fur et à mesure de l’audition, M. Benalla qui avait menacé de garder le silence s’est finalement montré assez prolixe, n’invoquant jamais le secret-défense pour se défiler, comme son avocat l’avait suggéré. Les quelque deux heures de questions-réponses ont permis de dresser le portrait d’un simple chargé de mission, qui s’est défini lui-même comme « le niveau le plus bas » à l’Elysée, mais qui était omniprésent dans l’organisation de la vie publique et privée du président de la République. Un pouvoir important, aux contours toujours peu clairs, et qui contraste fortement avec sa vie d’aujourd’hui.

Quand une sénatrice l’a interrogé sur son métier actuel, l’ex-proche d’Emmanuel Macron a répondu, lapidaire : « Pôle emploi. »

benalla

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