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Jours tranquilles à Paris
7 octobre 2018

Immigration en Europe

aquarius

Portrait : Francis Vallat, « L’Aquarius » et les secours amers

Par Philippe Ridet - Le Monde

Le président de SOS Méditerranée, qui refuse de prendre position sur le plan politique, estime que la mission de sauvetage de l’association est « en droite ligne avec les idéaux des gens de la mer ».

Longtemps, le nom de Francis Vallat, président de SOS Méditerranée, n’a parlé qu’aux spécialistes du transport maritime. En 1997, Le Monde rendait compte de son départ de la présidence de Van Ommeren Tankers, filiale de l’armateur néerlandais van Ommeren, où il était entré comme chef du personnel en 1971 : « Francis Vallat a la réputation de ne faire aucune concession sur les questions de sécurité des navires et de formation des équipages, et il n’a jamais été tenté de recourir au pavillon de complaisance. »

En décembre 2014, c’est sur le site Internet spécialisé Mer et marine qu’on le retrouve. Il vient de quitter ses fonctions de président du Cluster maritime français, qu’il a fondé en 2005, soit une structure fédérant près de 450 entreprises du secteur. Une première imitée ensuite par dix-sept pays européens.

Il a représenté la France pendant dix ans auprès de l’Agence européenne de sécurité maritime et dirigé l’Institut français de la mer. Commentaire du journaliste : « Des personnalités comme Francis Vallat, il n’y en a pas beaucoup. »

Personnalité incontestable du monde maritime

Enfin, en cet après-midi ensoleillé de fin septembre à Paris, il est face à nous sur la terrasse d’une brasserie porte d’Auteuil. Il s’excuse de devoir garder son téléphone allumé. A 2 500 kilomètres de là, l’Aquarius, le navire de l’association, affronte des creux de cinq mètres en Méditerranée avec sa cargaison grelottante de cinquante-huit migrants repêchés les jours précédents.

Le voilà donc, ce dangereux « complice des passeurs », comme le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, désigne les responsables des associations humanitaires qui ont assuré le sauvetage des migrants avant que l’Aquarius, ses 77 mètres et ses trente membres d’équipage ne restent seuls sur la zone entre l’Afrique et l’Europe. C’est donc lui, cet « utopiste » prêt à accueillir « toute la misère du monde », comme on peut le lire dans les commentaires des articles qui lui sont consacrés.

Veste marine et pantalon anthracite, il ne dépare pas dans ce quartier bourgeois. Il aura 73 ans le 20 octobre, il est mince, fume des blondes et fait semblant de regretter d’avoir dit « oui » à Klaus Vogel et à Sophie Beau, les fondateurs de SOS Méditerranée, lorsque, en 2016, ces derniers sont venus trouver cette personnalité incontestable du monde maritime pour en faire leur président.

« Cela fait trois jours que je ne dors pas, commence-t-il. A mon âge, je devrais plutôt faire du sport. Quand j’ai dit OK, c’était pour donner un coup de main, mettre mon réseau à disposition et à condition que notre action ne soit jamais politisée. C’était une mission en droite ligne avec les idéaux des gens de mer. Mais je voulais aussi pouvoir faire d’autres choses à côté. Mes interlocuteurs m’ont dit : “D’accord.” Je veux croire qu’ils étaient sincères. »

Trouver un nouveau pavillon

Né à Limoges en 1945, soit à 200 kilomètres de l’Atlantique à vol d’oiseau, Francis Vallat se décrit comme un « passionné ». Et comme souvent chez les hommes de passion, il en a plusieurs. La littérature en est une. Quand il est entré chez Van Ommeren, c’était, se rappelle-t-il, « parce que je voulais faire un boulot en relation avec la mer et qui me laisse du temps ».

« J’ai écrit un roman et une pièce de théâtre : Le Vent de l’absolu et Un silence de Jean, sur saint Jean l’évangéliste. Mon roman a retenu l’attention de Françoise Verny, chez Grasset. “Il faut retravailler tel ou tel chapitre”, m’a-t-elle dit. Trop fier, j’ai refusé. Un soir, je l’ai rappelée pour m’excuser. Elle était ivre. Elle m’a traité de “petit con”. Ma pièce a suscité beaucoup d’encouragements, notamment du directeur du Lucernaire. Mais elle coûtait cher à monter à cause des très nombreux personnages. Je vais la reprendre dès que j’en aurai le temps ! »

Etudiant (Sciences Po, lettres et droit), le futur président de SOS Méditerranée a aussi fondé une revue sur l’Afrique et vécu Mai 68 en se tenant éloigné de l’extrême gauche comme de l’extrême droite : « Ça m’a valu de me faire casser la gueule par les deux. »

« CHAQUE MIGRANT QUI SE NOIE ENTRAÎNE UN PEU DE NOS VALEURS ET DE NOTRE ÂME AU FOND DE LA MÉDITERRANÉE. »

Alors que l’Aquarius fait route vers son port d’attache, Marseille, après avoir transbordé, dimanche 31 septembre, ses passagers sur un navire maltais, Francis Vallat, lui, est déjà à la manœuvre pour trouver un nouveau pavillon au bâtiment de sauvetage. Sous la pression de l’Italie, Panama lui a retiré le sien. « Une honte, lâche-t-il les dents serrées. Une atteinte fondamentale au droit maritime. C’est comme ça qu’on criminalise les ONG. »

« Ce salopard de Salvini »

Une pétition circule et des manifestations sont prévues le 6 octobre, en soutien à l’Aquarius. Vallat lui se demande où enregistrer le bateau, afin qu’il puisse reprendre son activité.

Il hésite entre un symbole et une provocation : un pays africain ou un paradis fiscal. « Pour montrer que si on en est là, c’est qu’il y a un problème ! Oui, la question de l’accueil est complexe, mais la question du sauvetage est d’une simplicité lumineuse. Chaque migrant qui se noie entraîne un peu de nos valeurs et de notre âme au fond de la Méditerranée. »

Il se défend de vouloir faire de la politique et il refuse de lancer la pierre aux responsables mais il se réjouit : « Ce salopard de Salvini nous a rendu service en obligeant l’Europe à s’emparer de la question. »

Premier Français à recevoir le Lifetime Achievement Award

Francis Vallat explique encore : « Je ne marche qu’avec la passion et la confiance. Avec la confiance, on peut se faire avoir mais c’est un risque à prendre. On me dit parfois que je suis naïf, mais la naïveté peut être une force. »

Il pense qu’on peut effacer les insultes reçues avec le succès de la chanson Mercy, inspirée d’une naissance à bord de l’Aquarius, représentant la France à l’Eurovision 2018 ou bien avec les 30 000 donateurs de l’association. « C’est à cette opinion qu’il faudrait que les politiques s’adressent. »

En 2017, premier Français à être honoré de cette récompense, il a reçu le Lifetime Achievement Award 2017, une sorte d’Oscar des gens de mer attribué par le Lloyd’s List, le plus vieux quotidien maritime fondé à Londres en 1734. « Evidemment, j’ai immédiatement parlé des sauvetages et des migrants, se rappelle-t-il. J’ai été applaudi debout par mes pairs. » De retour à son hôtel, il avait oublié le trophée dans le taxi… On lui en a refait un autre. Il en mérite bien deux.

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Vêtus en orange, couleur de l’Aquarius et des gilets de sauvetage, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées samedi 6 octobre en France et en Europe pour dénoncer la situation du navire humanitaire, privé d’immatriculation, et soutenir les opérations de sauvetage en mer de migrants en Méditerranée.

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