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Jours tranquilles à Paris
8 octobre 2018

Jean Michel Basquiat

A la Fondation Louis Vuitton, 120 chefs d'oeuvres font le tour d'une carrière aussi brève que fulgurante : celle de Jean-Michel Basquiat. En huit ans seulement, de 1980 à 1988, il marquera au fer rouge l'histoire de l'art et de la culture visuelle d'une oeuvre incandescente.

Précoce et sauvage. Les débuts de Basquiat répondent en tous points à la mythologie de l’artiste romantique. Né en 1960 à Brooklyn, il grandit aux côtés de deux sœurs dans une famille aimante qui l’emmène au musée et lui offre des livres d’art pour nourrir la passion pour l’art qui le consume déjà. A quatre ans, il sait lire et écrire ; à huit, il parle couramment trois langues. Puis le cocon se déchire : avec le divorce des parents viendront les changements d’école et les déménagements incessants. En 1976 à 16 ans, il plaque tout, l’école privée huppée et la maison paternelle. Désormais, son éducation et sa famille, ça sera la rue, la même qui fera éclore l’artiste qui sommeille encore en lui.

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Avec sa bande, AL Diaz et Shannon Dawson, ils commence à graffer dans leur quartier, un Manhattan encore brut et plein de possibles que commencent tout juste à investir les galeries d’art. La rue, Keith Haring la tient déjà, qu’il recouvre de son alias « Radiant Babies ». Mais voilà que commence à s’imposer un nouveau venu, SAMO pour "Same Old Shit" : Basquiat et Al Diaz. SAMO, on le répète souvent, c’est l’invention du graffiti intello, accompagnant systématiquement la signature–logo de messages lapidaires, véritables manifestes où se met déjà en place sa pratique picturale à venir : "SAMO© comme une forme de néo-art", "SAMO© comme clause échappatoire", "SAMO© comme une fin au faux pseudo-intellectuel".

"Ceci n’est pas un graffiti, ceci n’est pas un train, ceci est un Jean-Michel Basquiat", écrira en 1981 le critique René Ricard entre les pages dArtforum, soit la plus prestigieuses des revues d’art. Avant même d’avoir vu les toiles, le critique reconnaît dans les tags une singularité rayonnante. D’où ce titre pour celui qui accompagnait toujours le nom de SAMO d’un sigle copyright mais aussi d’une couronne : "The Radiant Child", l’enfant radieux. La même année, Basquiat s’offre sa première exposition solo. Alors que SAMO taggait l’extérieur des galeries downtown, Basquiat y pénètre enfin. 1981 n’est pas qu’une évolution, pas uniquement la première étape mais marque une rupture nette. Pour que Jean-Michel Basquiat devienne vraiment Basquiat, SAMO doit mourir.

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Il entame alors une série de "Têtes" et d’autoportraits en dessin et en peinture, d’abord sur des matériaux de rebut puis sur toile. S’y retrouvent son amour pour les mots et la musique, son énergie fluide et solaire, sa rage de vivre et surtout de vaincre. L’exposition rétrospective que lui consacre actuellement la Fondation Lois Vuitton s’ouvre ainsi sur un ensemble exceptionnellement réuni de trois grandes "Têtes" (Heads). Dans le style néo-expressionniste qui déferle alors sur la scène US, mâtiné de l’énergie de la rue et des pulsations frénétiques du jazz qu’il écoute en travaillant à même le sol, éclate déjà l’aura du demi-dieu que deviendra celui qui n’a pourtant encore peint moins de toiles qu’il n’a sur la tête de dreads.

L’art du sampling

En 1982, il a 22 ans. A l’âge où d’autres rentrent à peine aux Beaux-Arts, celui qui a grillé toutes les étapes s’offre une exposition chez Larry Gagosian, soit le galeriste le plus puissant de l’époque – c’est toujours le cas. Il enchaîne également les expositions institutionnelles, aux Etats-Unis et en Europe. Il participe à la Documenta 7 de Kassel en Allemagne organisée tous les cinq ans, et devient le premier artiste afro-américain à exposer au Whitney Museum de New York. Dès le début, il est à la fois reconnu, révéré même, par les institutions, la critique et le marché. C’est-à-dire aux antipodes de l’artiste maudit que les films et biographies s’attachent désormais à donner de lui. Certes, avec Keith Haring, il fait partie des premiers artistes à passer de la rue au musée. Mais surtout, Basquiat connaît l’histoire de l’art sur le bout des doigts.

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Tout autant que le sacré, biblique ou vaudou, et que la culture populaire, le jazz ou la BD, il se nourrit de la tradition européenne d’après-guerre (CoBrA, Jean Dubuffet) mais aussi des grands peintres américains de la génération précédente (Robert Rauschenberg ou Cy Twombly). Surtout, il participe, conscient à la fois de sa singularité et de ses racines, au mouvement néo-expressionniste qui émerge alors au début des années 1980 à New York, aux côtés notamment de Julian Schnabel et David Salle. L’un des buts de l’exposition à la Fondation Vuitton, loin d’être la première rétrospective, est d’ailleurs selon sa directrice Suzanne Pagé de "mettre fin à la fable du supposé autodidacte sauvage". Comment ? En alignant une série de 120 chefs d’œuvres.

Warhol et Basquiat, frères solitaires

Résumons. A 22 ans, Basquiat a le monde a ses pieds. Que faire ensuite, lorsqu’on est animé d’une inextingible énergie de créer ? Tout en continuant à peindre avec la fougue qu’on lui connaît, la vie lui paraît trop simple. Comme le relate le film que lui consacrera en 1996 le peintre Julian Schnabel, son ami et rival, Basquiat s’ennuie. Il se met à trahir ses proches, lâche ses galeristes et grille ses soutiens, préfère la compagnie des groupies à celle de sa copine. Quelque chose manque, quelque chose comme une amitié désintéressée, une émulation aussi brutale et sincère que les valeurs du sport qu’il adule : la boxe.

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Le salut ne viendra pas du sport mais de la nuit. La nuit glacée tapissée de feuilles argent, la nuit éternelle des lunettes noires portées H24. D’un autre pape donc, d’une autre figure aussi stellaire et solitaire que lui : Andy Warhol. Très tôt, Warhol a du flair. Il lui achète plusieurs croquis, l’encourage et le soutient financièrement. Peu à peu, une véritable amitié naît. Et surtout des œuvres. Entre 1983 et 1987, ils co-produiront une soixantaine de toiles. A la Fondation Vuitton, la toile Dos Cabezas (1982), signée de la seule main de Basquiat, les montre côte à côte, frères solitaires que tout oppose, l’un sinistre, l’autre éructant ; l’un dandy retiré dans sa Factory aseptisée, l’autre enfant de la rue, du bruit et de la fureur.

Représenter l’identité afro-américaine

En 1988 à 27 ans, Basquiat meurt d’une overdose. Il est difficile de découper une œuvre resserrée en une poignée d’année en périodes distinctes comme on le fait pour tant d’autres artistes. Cependant, l’une des évolutions majeures reste l’affirmation à la fin de sa vie d’une tonalité militante. Après les « Têtes » de la jeunesse, puis les peintures intermédiaires sur panneau laissant la part belle au grand remix des sources et références, s’y prononce de plus en plus une dimension toujours contenue en germe : la représentation, de plus en plus militante, d’une identité afro-américaine.

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Tout en ayant toujours clamé sa volonté d’être reconnu comme un artiste, le plus grand, et non un artiste afro-américain, il peint des personnages noirs historiques ou contemporains et les événements qui leurs sont liés. Au point d’entamer, à la toute fin de sa vie vers 1986, une période plus figurative, plus directe. A la Fondation Louis Vuitton, on assiste à l’apparition de cette veine à travers la figure du "negro policeman", le policier noir, qu’il considère comme profondément ambiguë voire ironique. Un traite à sa propre classe, illustrant l’absurdité de faire volontairement appliquer des lois iniques écrite par la classe dominante blanche. D’où ce portrait traité d’un bloc, au rictus grimaçant et aux yeux vides, n’ayant en guise de visage qu’un masque surmonté d’un chapeau surmonté de grilles rigides comme l’est le totalitarisme.

• Jean-Michel Basquiat, du 3 octobre au 14 janvier à la Fondation Vuitton à Paris

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