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Jours tranquilles à Paris
9 octobre 2018

CINEMA : La vie (séparée), mode d’emploi

Par Laurent Carpentier - Le Monde

Les comédiens Romane Bohringer et Philippe Rebbot sont les mêmes à la ville que dans leur film, « L’Amour flou », dans les salles mercredi : drôles et profonds.

RENCONTRE

On a sonné à la porte et on s’est retrouvé dans le film. Sur le plateau, c’est-à-dire dans leur appartement, ou plutôt dans leurs appartements, avec les comédiens, c’est-à-dire avec eux. Parce que – et c’est tout le sujet de leur film, L’Amour flou – Romane Bohringer et Philippe Rebbot, après s’être aimés éperdument et avoir donné naissance à deux enfants, ont perdu, comme cela arrive si souvent, « le sens de ce pourquoi ils s’aimaient ».

Mais devant le vide absolu de la promesse d’une séparation, après trois ans de cohabitation triste, ils ont décidé de tenter un truc : emménager dans deux petits logements communicants, et les enfants au milieu.

Montreuil (Seine-Saint-Denis). Philippe Rebbot a répondu à l’interphone et a ouvert la porte. Bêtement on s’est trompé et, empruntant le deuxième escalier, on est arrivé chez elle. Romane Bohringer sortait de la douche. Il nous a hélé depuis l’autre bout, on a traversé et il a préparé un café dans sa cuisine à lui, pendant qu’elle s’habillait fissa dans sa salle de bains à elle.

« Feel good movie »

Sur la table, un bouquet de fleurs, un large cendrier et un bordel de bouquins qui débordent des rayonnages tapissant les murs. Parmi eux, un récit de Charles Bukowski : Shakespeare n’a jamais fait ça. Philippe Rebbot y est tombé ce matin sur une phrase qu’il veut nous lire : « Cette fille aimait tout ce qui m’ennuyait, et tout ce que j’aimais l’ennuyait. Nous étions le couple parfait : ce qui sauvait notre relation, c’était cette distance à la fois tolérable et intolérable entre nous. On se retrouvait chaque jour – et chaque nuit – sans avoir rien résolu et avec zéro chance de résoudre quoi que ce soit. La perfection. »

Romane Bohringer a cette voix grave, presque rauque, qui rappelle son père, Richard : « Le projet de nouvel appartement a agi comme une sorte de pansement sur la séparation. Toute cette perspective de se quitter, de faire nos cartons, d’un seul coup, c’est devenu joyeux. »

Et comme, autour d’eux, cela questionnait et faisait rire, elle a eu l’idée d’en faire un film : une autofiction, un « feel good movie », une comédie du non-remariage. « J’aime ça, moi, les comédies sentimentales tendres et drôles. Je me voyais dans un personnage à la Bridget Jones. » Il rigole : « Moi, je croyais faire un DVD pour les mômes. »

Tandem

Achat de l’appartement en novembre 2016, début de tournage en janvier 2017, avec autour d’eux – directeur de la photographie, ingénieur du son, perchman – la même équipe qui les a vus se tomber dans les bras une douzaine d’années plus tôt sur le plateau de la série de Benoît Cohen Nos enfants chéris (2007).

Avec le recul, le titre ferait sourire Lacan. Car, disent-ils, ce qui les lie, c’est « eux » : Rose, 10 ans, et Raoul, 7 ans. « Une semaine sans les voir, sans les toucher, im-po-ssi-ble », déclame-t-il, en faisant des moulinets avec ses bras : « J’ai dit à ma fille : tu ne sortiras pas de la baraque avant 35 ans. »

amour flou

Dans leur tandem, ils ont distribué les rôles : il est le poète, l’homme des formules à l’emporte-pièce, des pensées en vrac dont il gonfle ses carnets. Elle est l’intellectuelle « hypersynthétique », qui mène les projets au bout. « Elle est une bouffeuse de vie, un tank, moi, je suis le petit soldat qui marche derrière le tank », affirme-t-il. Et de glousser : « Elle est l’intelligence, je suis la beauté. »

Drôle de faux couple

« La névrose de Philippe, c’est ce sentiment d’illégitimité inouïe qui le ronge, dit-elle. Cette fragilité, c’est ce que j’aime le plus chez lui, et c’est ce qui m’a le plus décontenancée. » La comédienne – qui joue du 4 octobre au 2 décembre un texte d’Annie Ernaux, L’Occupation, au Théâtre de l’Œuvre, à Paris – pose la main sur le bras de son ex devenu son coloc. Jaillissement d’icelui : « Enlève ta main, vieux pédé ! » L’humour toujours, qui sourd de partout, comme un torrent, joyeux et mélancolique : « J’aime cette fille ! »

Drôle de faux couple qui continue à partir en vacances ensemble. « A quatre. Ça pourrait même être à six… Quand, à un moment, Romane a eu un gars dans sa vie, ça ne m’a pas gêné, au contraire, je le trouvais sympa, raconte le comédien : de toute façon, un mec que Romane aime ne peut être que sympa. Moi, après Romane, je ne ferai plus que des hôtesses de l’air qui font du long-courrier », dit-il en fredonnant, clope au bec, la chanson de Pierre Vassiliu, Dans ma maison d’amour.

Elle sourit : « J’ai toujours peur qu’il embrouille, qu’il digresse… Moi, je suis classico-classique. J’adore le couple, la vie à deux. La maternité était pour moi un Graal absolu, j’ai cherché le père de mes enfants. Je l’ai trouvé avec Philippe. Politiquement, intellectuellement, il y a peu de monde qui m’intéresse autant que lui. »

Un chant d’amour

La vérité, c’est qu’ils auraient du mal à se passer l’un de l’autre. « Heureusement que je ne flotte pas tout seul », dit Rebbot. Il allume une nouvelle cigarette : « C’est un film qui ment par omission. On n’y a pas mis nos cavaliers noirs… Mes moments de solitude… » Elle soupire en écho : « Ça me rassure que Philippe soit là. »

Entre eux se tisse un chant d’amour, alors que d’une même voix ils jurent ne plus pouvoir s’aimer, qu’entre eux au moins ça, c’est réglé. Regards croisés comme pour guetter une approbation. L’amour ?

« Une forme de reconnaissance, un truc qui vient de l’enfance, la part manquante de soi », dit-elle. « Il suffit de regarder les photos de nous gamins, on voit qu’on arrive du même endroit. Physiquement, c’est hallucinant. Elle a de grosses lunettes, elle louche. Moi aussi. Pas compliqué à voir que ce sont des enfances de grande solitude, un peu délicates. Romane dit de nous “la revanche des moches”. C’est vrai. On trimballe les mêmes mélancolies, même si on y répond différemment. » Lui, dépressif avoué sous le masque du clown. Elle, toujours en action.

Ils passent leur temps à se couper la parole. Deux bavards impénitents, deux pensées qui s’entrechoquent, s’enlacent et s’affrontent.

« On est capables de se foutre sur la gueule », prévient-il.

« Tu ne vas pas ?

– … Angoulême !

– Ah oui, le festival [du film francophone] d’Angoulême, le mois dernier, on reçoit le Prix du public… Et monsieur, bourré, pieds nus, est perdu dans la ville.

– Je n’étais pas bourré, j’avais rencontré des gens…

– Et moi, je dois m’occuper des enfants… Bénéfice : le film nous oblige à réévaluer les choses… Non, le projet n’était pas un prétexte à se remettre ensemble. Mais il nous a fait entrer dans notre propre légende », analyse-t-elle en désignant sur le mur l’affiche où trônent John Cassavetes et Gena Rowlands, ce couple mythique dont son père lui rebattait les oreilles lorsqu’elle était petite. « Au fond, ça nous a apporté une autre manière d’être ensemble. On a retrouvé notre complicité.  

Lady, le basset et l’un des personnages principaux de L’Amour flou, jappe en traînant sa bedaine. Rose débarque pour dire qu’on a sonné à la porte de l’autre appartement. On est dans le film.

« L’Amour flou », film français de Romane Bohringer et Philippe Rebbot. Avec Romane Bohringer, Philippe Rebbot, Reda Kateb (1 h 37).

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