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Jours tranquilles à Paris
12 octobre 2018

Retraites : une réforme explosive aux multiples inconnues

Par Raphaëlle Besse Desmoulières, Bertrand Bissuel

Le gouvernement va-t-il préciser ses intentions sur la réforme des retraites ? L’occasion lui en est, en tout cas, offerte avec la reprise des concertations sur ce chantier parmi les plus sensibles du quinquennat.

Mercredi 10 octobre, le haut-commissaire chargé du dossier, Jean-Paul Delevoye, a reçu, pour la première fois depuis sa prise de fonctions, à l’automne 2017, l’ensemble des partenaires sociaux, alors qu’il les avait rencontrés séparément jusqu’à présent.

La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, qui défendra le projet de loi lorsqu’il sera examiné au Parlement – en 2019, en principe –, ne sera finalement présente qu’à l’ouverture de la rencontre alors qu’elle devait, là aussi une première, être autour de la table. Mais son cabinet a précisé, mardi, qu’elle devait filer en conseil des ministres, décalé pour cause de remaniement.

Lundi soir, la réunion a même été reportée avant d’être maintenue. Selon M. Delevoye, elle a pour objectif de tirer « le bilan » des discussions conduites au premier semestre et de faire « une proposition de calendrier pour les six prochains mois ».

Un véritable big bang

Contrairement à la transformation du système ferroviaire, adoptée à la fin du printemps, ou à la réécriture du code du travail, en 2017, la réforme des retraites concerne tous les actifs : fonctionnaires, salariés du privé, professions libérales ou agriculteurs. Un véritable big bang qui ambitionne de rendre plus équitable et plus lisible un système devenu indéchiffrable, avec sa quarantaine de régimes soumis à des règles différentes. De ce projet, peu de choses sont connues, à ce stade, mise à part une profession de foi très générale : il s’agit de bâtir un dispositif universel où chaque euro cotisé apportera les mêmes droits à tous.

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de ne toucher ni à l’âge légal de départ à la retraite ni à la durée de cotisation. Lors de son discours devant le Congrès, le 10 juillet à Versailles, le chef de l’Etat a, de nouveau, exprimé sa volonté d’instaurer « un système (…) juste, unique, transparent ». Il a aussi redit son attachement à un « régime par redistribution », « reposant sur la solidarité entre les générations », où les cotisations de ceux qui travaillent financent les pensions des personnes à la retraite.

De son côté, le premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé, le 27 septembre, que la réforme n’aura aucun « impact sur les personnes qui sont à la retraite et sur les personnes qui vont prendre leur retraite » dans les prochaines années.

Terrain miné

En dehors de ces quelques grands principes, l’exécutif s’est peu avancé. Quant à M. Delevoye, « il a noté ce que nous voulons », comme le résume Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC.

Mais, de ces multiples face-à-face entre le haut-commissaire et les partenaires sociaux, il n’en est ressorti aucun arbitrage. De ce fait, l’impatience commence à poindre chez plusieurs protagonistes. « On n’en sait pas plus qu’il y a un an », soupire un haut gradé du Medef. « Ça fait six mois qu’on tourne en rond, renchérit un syndicaliste. Il serait bienvenu qu’ils nous exposent leurs orientations, au moins sur les thèmes abordés durant la concertation. »

« J’ai dit à Jean-Paul Delevoye que si on n’avait pas d’éléments concrets [mercredi], on ne viendrait plus », met en garde Pascal Pavageau, secrétaire général de FO. « Il faut qu’ils fassent état de choix tangibles, pour que leur parole puisse susciter la nôtre », affirme également Frédéric Sève (CFDT).

L’exécutif se montre prudent car il sait que le terrain est miné. Impossible, en effet, d’oublier la polémique qui a éclaté, au printemps, sur les pensions de réversion : il a suffi d’une phrase, dans un document officiel, pouvant laisser penser que celles-ci seraient sur la sellette pour que les esprits s’enflamment.

Des centaines de milliers de personnes ont cru qu’elles risquaient de perdre une partie de leurs revenus. Une crainte attisée par une communication approximative : à l’époque, Agnès Buzyn avait tenu des propos imprécis qui pouvaient être interprétés comme une remise en cause de la réversion au détriment des personnes n’ayant pas travaillé ; elle a ensuite très vite corrigé le tir mais l’épisode a contribué à entretenir le trouble.

Ne pas « cogner » avec des échéances politiques

« Ce débat s’est révélé emmerdant car ils ne se sont pas investis dedans, c’est très révélateur d’un dossier mal porté, mal préparé, déplore un dirigeant syndical. Les retraites, ce n’est pas son truc, à Buzyn. Il y a une carence de portage politique. »

Un avis très tranché qui ne reflète pas celui de toutes les organisations syndicales et patronales. Le fait que le dossier soit piloté par une personnalité extérieure à l’organigramme gouvernemental – M. Delevoye en l’occurrence – ne pose « pas de difficulté », aux yeux d’Alain Griset, le numéro un de l’Union des entreprises de proximité (artisans, commerces, professions libérales). « Jean-Paul Delevoye a le poids politique nécessaire et la confiance du président de la République », juge-t-il. « On a vraiment l’impression que c’est un ministre bis », complète Michel Chassang, patron de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL). Qui plus est, le haut-commissaire est entouré d’une dizaine d’experts « qui connaissent parfaitement la question », souligne Serge Lavagna (CFE-CGC) : « On parle du fond des sujets. »

L’une des inconnues, maintenant, se situe dans la date à laquelle le gouvernement abattra ses cartes. Dans son discours devant le congrès de la Mutualité, le 13 juin, M. Macron avait fait part de sa volonté de voir « une loi (…) présentée au début de l’année 2019 et [qui] sera votée dans le premier semestre » de la même année. Mais cette fenêtre de tir pourrait être repoussée, pour ne pas « cogner » avec des échéances politiques.

« La mère de toutes les batailles »

Alors que les élections européennes auront lieu en mai 2019, le gouvernement n’a pas forcément envie de présenter, en amont du scrutin, un texte susceptible d’agréger les mécontentements. La CGT et FO ne demandent qu’à en découdre. Idem pour une partie de l’opposition de gauche. Le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a d’ailleurs promis d’en faire « la mère de toutes les batailles ».

A un moment donné, l’exécutif devra trancher et sortir du flou. Cette étape sera délicate car, comme l’a lui-même reconnu M. Macron, on verra qui seront les gagnants et les perdants.

Interpellé lors de sa visite à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne), le 4 octobre, le chef de l’Etat a, de nouveau, martelé que le système actuel « n’est pas juste ». « C’est pour ça que je veux en faire un nouveau. Il y en a qui vont râler, car ils touchent plus avec le système actuel », a-t-il lancé. Une manière de montrer qu’il s’attend, lui aussi, à livrer bataille.

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