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Jours tranquilles à Paris
19 octobre 2018

Ministère de la culture : « Franck Riester sera-t-il l’oiseau rare qui bousculera ce petit mammouth ? »

Par Michel Guerrin - Le Monde

Dans sa chronique hebdomadaire, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », revient sur les défis qui attendent le nouveau ministre.

Franck Riester est le 13e ministre de la culture en trente ans. Environ deux ans, c’est une rotation rapide, mais qui se retrouve ailleurs. En étant un peu taquin, et pour signifier la difficulté du poste, disons que celle qui a duré le moins longtemps, Audrey Azoulay, est aussi celle qui en est le mieux sortie, occupant ses quinze mois à régler les affaires courantes et à rebondir à la tête de l’Unesco.

Pourquoi un ministre de la culture s’en va souvent avec un goût amer ? Certains n’ont pas les armes, comme Françoise Nyssen, qui s’est jetée dans la mare sans savoir nager – avec sincérité, elle a confié ne pas avoir été préparée. Car beaucoup pensent que la culture, c’est fun, facile, sympa. « Tous les soirs, il faut que tu te tapes des spectacles et dire que c’est bien », a conseillé François Hollande à Fleur Pellerin, qui débarquait tel un ovni. Elle a fini concassée par un procès en illégitimité. Car la culture devient vite un enfer pour qui n’est pas de la partie, ne maîtrise pas les rouages, croit – à tort – que c’est plus aisé de la bouger que de réformer la SNCF, ne sait pas tenir tête aux artistes.

La culture flatte un ministre mais ce dernier est vite tétanisé par un secteur qui, au moindre dérapage, le méprise. Au point que Franck Riester, à peine nommé, et comme d’autres avant lui, s’est cru obligé de manier le mot ronflant et de dire que « la culture est le ministère essentiel », alors qu’elle ne l’est pas – sinon on lui donnerait plus que 1 % du budget de l’Etat.

Un boutiquier qui gère la pénurie

La réalité, c’est que 85 % des crédits alloués à la création sont engloutis dans les établissements, événements et personnels avant même que le ministre ne bouge le petit doigt. Comme son budget est stable, donc en baisse puisque tout augmente, il devient un boutiquier qui gère la pénurie et doit affronter les jérémiades du milieu. Les fins diplomates y parviennent. Mais tous vacillent quand le président de la République leur demande d’aller plus loin, bref de faire plus avec moins.

Justement, Emmanuel Macron, qui se comporte depuis un an en véritable ministre de la culture (discours, nominations, décisions), est champion pour lancer des idées tout en laissant au ministre régler la note avec un portefeuille vide. Il y a, par exemple, la restauration du château de Villers-Cotterêts (Aisne) pour 100 à 200 millions, sans trop savoir où les trouver, qui deviendra ensuite un laboratoire de la francophonie au prétexte que c’est dans cet ancien pavillon de chasse que François 1er a fait du français la langue des textes officiels. Mais cinq siècles plus tard, la francophonie a-t-elle besoin d’un machin pareil et comment le financer ?

Il y a surtout le Pass culture, qui est le projet culturel phare de Macron. Chaque jeune, le jour de ses 18 ans, recevra, grâce à une application géolocalisée, 500 euros en bon d’achat pour aller au musée, au théâtre, à l’opéra, acheter un roman, etc. Le projet est en phase d’essai mais déjà la quasi-totalité du monde culturel est contre. Parce que ses vertus éducatives sont incertaines : des expériences similaires ont montré que ce sont surtout les jeunes de milieux aisés qui profitent d’un tel pass, et que ce sont les œuvres populaires et ludiques qui sont les plus demandées (films à gros budget, jeux vidéo, etc.).

Le Pass culture pourrait devenir un boulet

Et puis ce Pass culture, comment le financer ? Des millions ont déjà été engloutis pour le mettre au point, avant un lancement prévu en 2019. Il coûtera alors 400 millions par an. A trouver chaque année. Comme il n’y a pas d’argent, le mécénat pourrait donner un coup de main. Une piste serait de demander aux fournisseurs, publics comme privés, d’offrir leurs œuvres, en leur disant : c’est bon pour vous, vous allez capter un nouveau public. La réponse fut froide, certains hurlant au racket. Bref, ce Pass culture pourrait devenir un boulet.

La priorité des quatre derniers ministres, Françoise Nyssen en tête, était de lutter contre la ségrégation culturelle. Idée louable. Sauf que le ministère de la culture est organisé autour de son offre, beaucoup moins sur l’élargissement des publics. Et puis aller chercher ceux qui ne mettent pas les pieds au théâtre, au musée ou à l’opéra coûte très cher. On ne voit qu’une solution : supprimer des actions existantes pour renflouer les caisses, revoir de fond en comble la cartographie des subventions, lutter contre le gaspillage, casser les corporatismes d’une administration enkystée.

Personne n’a osé lancer un tel chantier en trente ans, pour une raison simple : il faudra affronter une tempête. Entre des artistes à l’ego aussi (voire plus) élevé que le talent, qui savent trouver les relais politiques et médiatiques pour jouer les indignés, des responsables de théâtre ou de festival qui défendent avec acharnement leur action, une administration où l’on pense souvent plus à soi qu’au public, et des syndicats souvent très chauds, il faut être sacrément armé et avoir une vraie légitimité pour monter au feu.

Franck Riester sera-t-il l’oiseau rare qui bousculera ce petit mammouth ? D’autres personnes ont été approchées, aux profils très divers, ce qui laisse à penser que la compétence pour mener à bien des dossiers complexes n’était pas le critère prioritaire. Mais l’élu a des qualités. Il est un spécialiste de l’audiovisuel public, qui attend sa réforme et qui pèse plus (3,9 milliards) que la culture (3,6 milliards). Il aime aussi la culture, à laquelle il a consacré une belle part de son action, et il rêvait de devenir ministre. Maintenant, il est face à un choix : boutiquier ou réformateur. S’il opte pour la voie difficile, celle d’une culture ouverte à tous, il lui faudra trouver beaucoup d’argent pour irriguer le territoire, et beaucoup de temps pour que les résultats se fassent sentir. Ses prédécesseurs n’ont eu ni l’un ni l’autre.

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