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Jours tranquilles à Paris
21 octobre 2018

L’épouse de l’ex-président d’Interpol, arrêté en Chine, demande des comptes

Par Harold Thibault, Lyon, envoyé spécial, Richard Schittly, Lyon, correspondant - Le Monde

Grace Meng dénonce le fonctionnement de la justice dans son pays et prend à partie l’organisation de coopération policière qui a accepté la prétendue démission de son mari.

La voix est ferme, le regard dur. « C’est dingue. Ce n’est pas raisonné », nous lance Grace Meng, dans une salle au sous-sol d’un hôtel lyonnais. L’épouse de l’ancien président d’Interpol, Meng Hongwei, est désormais seule à Lyon avec ses deux enfants de 7 ans. Son mari a été arrêté lors d’un séjour en Chine, fin septembre. Mme Meng dénonce aujourd’hui la situation des droits de l’homme dans son pays, semblant faire abstraction du fait que son mari, vice-ministre de l’intérieur depuis 2004, a tant participé à ce système : « Ça a choqué toute la planète. Personne ne peut imaginer pourquoi ils font ces choses, folles, cruelles, sales. »

La famille Meng s’est installée à Lyon il y a tout juste deux ans. La Chine venait d’obtenir un de ses premiers postes à la tête d’une organisation internationale. La présidence d’Interpol est un poste aussi prestigieux qu’utile, en pleine campagne de traque des fugitifs chinois à l’étranger. Les organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, s’inquiètent de voir un Etat autoritaire se saisir d’une telle fonction. La femme de Meng Hongwei, qui se fait appeler Grace en anglais, le suit avec leurs jumeaux.

Puis arrive l’automne 2018. Le monde se retourne pour la famille Meng, piégée par un système chinois qui se mord en permanence la queue : les officiels qui faisaient arrêter sont arrêtés à leur tour. Meng Hongwei, parti en voyage de travail en Chine, envoie un message à sa femme sur WhatsApp, le 25 septembre : « Deng wo dian » (« Attends mon appel »). Puis une émoticône représentant un poignard, signe qu’il est en danger.

Grace Meng se rend à la police française, malgré des menaces, notamment un anonyme lui disant par téléphone que « deux équipes avaient été envoyées » par les « autorités chinoises » pour « s’occuper d’elle ». Les autorités françaises jugent ces menaces suffisamment crédibles pour la placer sous protection policière. La Chine confirme le 7 octobre l’arrestation de son mari, écornant au passage sa propre crédibilité au sein des institutions internationales.

« Je vous ai donné le nom d’une personne »

A l’heure où la Chine gagne en stature, Mme Meng demande : « Si ça arrive au président d’Interpol, pourquoi ça n’arriverait pas à vous, ou vous, ou vous ? », pointant du doigt chacun de ses interlocuteurs.

Le contexte, c’est le resserrement radical sous les six années de Xi Jinping au pouvoir. Comment imaginer d’ailleurs que le président de la République et secrétaire du parti n’ait pas été consulté sur une telle arrestation ? Mais Mme Meng se garde bien de s’en prendre à l’homme fort de la Chine populaire : « Je ne veux pas parler de ce genre de choses du fait de la situation de mon mari, parce que c’est très sensible. Mais je vous ai donné le nom d’une personne. »

Cette personne que Mme Meng accuse, c’est le directeur de la coopération internationale du ministère de la sécurité publique, Liao Jinrong : « C’est lui qui pilote cette action, dénonce-t-elle. Ce qu’il fait est très mal, très sale. » Quand certains à Interpol ont demandé à ce cadre des informations sur le sort de son mari, il aurait répondu, selon elle, qu’il était impossible d’en savoir davantage « car c’était les vacances de la fête nationale chinoise », le 1er octobre.

Dans le communiqué annonçant son arrestation, les autorités chinoises ont accusé Meng Hongwei de corruption. Ils ont aussi fait référence à l’influence résiduelle de Zhou Yongyang, ex-tsar de l’appareil sécuritaire, arrêté en 2015 et condamné ensuite à perpétuité. Il a été l’une des plus grosses prises de la purge menée par le président et ses proches. M. Meng avait été promu vice-ministre en 2004, deux ans après que M. Zhou ait été fait ministre de l’intérieur – il montera ensuite à des postes clés à la tête du parti.

Grace Meng soutient que son mari n’était pas corrompu mais au contraire « clair comme le soleil, toujours dans le droit » et qu’il n’était pas non plus un protégé de Zhou. « C’est ridicule. Je peux dire la vérité. Mon mari avait travaillé dans ce ministère pendant si longtemps. Ce Zhou Yongkang, je ne connais pas son visage. Nous n’appartenions à aucune faction, nous appartenions aux réformateurs, à la liberté, à la démocratie. Nous appartenions à notre patrie, à la Chine ouverte. » Une fibre réformatrice bien enfouie… En 2014, M. Meng lançait aux agents chinois partant en Libye pour contribuer au maintien de la paix : « La politique d’abord, le parti d’abord, et l’idéologie d’abord ! »

« Interpol dit avoir reçu un mail. Moi, je n’ai rien vu »

Meng Hongwei a chuté moins d’un an après la nomination, fin 2017, d’un nouveau ministre de l’intérieur ultra-loyal à Xi Jinping. « Je ne veux pas me focaliser sur des figures politiques », répète-t-elle, arguant de la sécurité de son mari aux mains des autorités. Mais elle dénonce ce système dans lequel chacun, y compris au plus haut de la police, peut se volatiliser aux mains de l’Etat : « Personne n’aime vivre dans cette situation, dans cet environnement. »

Grace Meng en veut aussi à Interpol. Le 6 octobre, le secrétaire général, l’Allemand Jürgen Stock, qui est chargé du fonctionnement au quotidien de l’organisation, a demandé « une clarification » aux autorités chinoises sur le « statut » du président Meng. Mais dès le lendemain, Interpol a pris acte de la démission « avec effet immédiat » de son président.

Mme Meng s’offusque que l’organisation internationale ait pu se satisfaire d’un document sans source, ni garantie. « Interpol dit avoir reçu un mail. Moi, je n’ai rien vu. Qui l’a envoyé ? Est-il vrai ou faux ? L’organisation mondiale est composée de grands professionnels de la police, elle doit vérifier cela », s’insurge-t-elle. Grace Meng ne décolère pas.

Choquée, Grace Meng s’interroge sur la validité juridique de cette démission. La dame à la silhouette fluette questionne, au fond, le cœur de métier de l’organisation, rassemblant 192 pays, qui doit notamment s’assurer de la fiabilité des fiches de recherches qu’elle diffuse. « L’opinion publique doit se demander pourquoi l’organisation mondiale de police agit avec une telle légèreté. Comment pourrait-on croire plus tard à ses actions, si elle laisse son propre président disparaître dans ses fonctions dans de telles conditions ? Peut-on faire confiance à cette organisation ? », interroge-t-elle

Interpol a annoncé aussitôt le remplacement temporaire de Meng Hongwei par son vice-président, le Sud-Coréen Kim Jong-yang, et a précisé que la prochaine assemblée générale, prévue à Dubaï du 18 au 21 novembre, élirait un nouveau président pour achever les deux ans de mandat qui restaient à M. Meng. Pas un mot de plus sur la situation de son ex-président, retenu en Chine dans des conditions inconnues.

« Savoir s’il est en vie »

« Nous demandons des clarifications sur le document qui vaut prétendument démission du président d’Interpol avec effet immédiat, il est important d’en connaître précisément l’origine », précise Patrice Le Houelleur, avocat de Mme Meng. Contacté, vendredi 10 octobre, le service des relations presse d’Interpol n’a souhaité faire aucun commentaire. « Il n’y a rien à ajouter, un nouveau président va être élu jusqu’en 2020 », se contente de dire l’institution.

L’épouse du président déchu demande également à l’organisation internationale d’obtenir des nouvelles de son mari : « Ce qui importe c’est au moins de savoir s’il est en vie ».

Improbable militante vu le parcours de son époux, Grace Meng exige donc des comptes. « Mme Meng va saisir les institutions traitant des questions de droits de l’homme rattachées à l’ONU à Genève », ajoute son avocat. Elle devra aussi clarifier son statut, car elle était jusqu’à présent en France dans le cadre de l’expatriation de son mari – ce qui ne manquera pas de poser des questions aux autorités françaises. Va-t-elle garder sa protection et sa résidence dans le pays ? « Son combat implique qu’elle sécurise sa position et celle de ses enfants. Il lui faut des fondations pour ensuite se battre pour son mari, dit Me Le Houelleur. Toutes les options sont sur la table, y compris la demande d’asile. »

Grace Meng est de ces gens qui, face aux événements, ne peuvent se résigner et se dressent. Cette diplômée de l’université de Pékin, meilleur établissement de Chine, ne peut ignorer l’ironie tragique de son discours. Après tant de temps dans les cercles officiels chinois, elle doit aussi savoir que chaque mot qui, depuis l’étranger, embarrasse publiquement la Chine, est un risque de plus pour son mari détenu au pays. « Ce qui se passe actuellement en Chine est très particulier, lance-t-elle malgré tout. Tant de gens disparaissent ainsi, même si la plupart des familles ont peur de parler. C’est le cadre de la Chine d’aujourd’hui. »

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