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Jours tranquilles à Paris
13 novembre 2018

Michelle Obama : « La politique ne m’a jamais passionnée, et mon expérience n’y a rien changé »

obama

« Le Monde » publie en exclusivité les bonnes feuilles de « Devenir » (Fayard), les Mémoires de l’ex-première dame des Etats-Unis, qui sort simultanément, mardi 13 novembre, dans le monde entier.

Bonnes feuilles. Evénement dans le monde de l’édition, les Mémoires de Michelle Obama sortent en 31 langues, mardi 13 novembre. En France, Devenir est publié aux éditions Fayard, qui ont également négocié les droits en français des Mémoires de Barack Obama, encore à venir. L’ex-première dame va aussitôt entreprendre une tournée de promotion digne d’une rock star aux Etats-Unis, où 3 millions d’exemplaires de Becoming sont mis en vente. Le Monde a lu le livre et en publie les bonnes feuilles en exclusivité.

La convention démocrate de 2004

C’était un nouveau venu, un Noir dans ce qui était historiquement la chasse gardée des Blancs. Il surgissait du néant avec un nom bizarre et une histoire étrange, espérant toucher une corde sensible chez les électeurs démocrates. Comme le reconnaîtraient plus tard les experts du parti, choisir Barack Obama pour prendre la parole devant des millions d’auditeurs était un pari pour le moins risqué. (…)

« Faut croire que c’était un bon discours » est devenu mon leitmotiv. C’était une boutade entre Barack et moi, un refrain que j’ai souvent répété, non sans ironie, après cette soirée du 27 juillet 2004. (…)

Plus il était sous pression, plus il semblait calme. Il avait passé plusieurs semaines à prendre des notes, peaufinant son texte entre les votes du Sénat de l’Illinois. Il l’avait appris par cœur et l’avait répété soigneusement, au point qu’il n’aurait pas besoin du téléprompteur, sauf si ses nerfs le lâchaient et qu’il avait un trou de mémoire. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Barack a regardé le public, il a regardé les caméras de télévision et, comme s’il faisait démarrer un moteur interne, il a souri et s’est mis en marche. (…)

L’énergie était électrique, le bruit assourdissant. Tout le monde avait pu se convaincre que Barack était un type bien, doté d’un esprit remarquable et d’une foi inébranlable dans la démocratie. (…)

Rétrospectivement, je pense que c’est à cet instant que j’ai doucement cessé d’imaginer pouvoir lui faire faire machine arrière, cessé de croire qu’il pourrait un jour n’appartenir qu’à nous, les filles et moi. Je l’entendais presque dans la pulsation des applaudissements. On en veut encore, encore, encore. La réaction des médias au discours de Barack a été dithyrambique. « Je viens de voir le premier président noir », a déclaré Chris Matthews aux autres reporters de NBC. (…)

Que nous arrivait-il ? J’avais du mal à suivre. En novembre, Barack a été élu au Sénat des Etats-Unis, remportant 70 % des voix au sein de l’Etat, le plus confortable score de l’histoire de l’Illinois et la victoire la plus écrasante de toutes les courses au Sénat du pays cette année-là. Il avait obtenu une importante majorité parmi les Noirs, les Blancs, les Latinos ; les hommes et les femmes ; les riches et les pauvres ; les citadins, les banlieusards et les ruraux. Quand nous nous sommes réfugiés dans l’Arizona pour souffler un moment, il a été assiégé, là aussi, par des sympathisants. C’est ce qui m’a donné la pleine mesure, la mesure étrange, de sa célébrité : même les Blancs le reconnaissaient, maintenant.

Se présenter ou non, le dilemme

Mon mari était sénateur, mais, allez savoir pourquoi, les gens semblaient incapables de s’en contenter. Tout le monde voulait savoir s’il serait candidat à l’élection présidentielle en 2008. (…)

Je n’ignorais pas que Barack en discutait en privé avec des amis, des conseillers, de futurs donateurs, faisant ainsi savoir à tous qu’il y réfléchissait. Mais il y avait une conversation qu’il évitait soigneusement : celle qu’il devait avoir avec moi. (…)

J’étais femme de sénateur, mais aussi, et surtout, j’avais un métier qui m’intéressait. Au printemps, j’avais obtenu de l’avancement et j’étais devenue vice-présidente du centre hospitalier de l’université de Chicago. (…)

« IL VOULAIT SE PRÉSENTER. IL LE VOULAIT, ET MOI PAS. JE VOULAIS BARACK POUR NOTRE FAMILLE. TOUS LES AUTRES SEMBLAIENT LE VOULOIR POUR NOTRE PAYS »

J’aimais mon boulot et, même si elle n’était pas parfaite, j’aimais ma vie. Alors que Sasha s’apprêtait à entrer à l’école primaire, j’avais l’impression d’aborder une nouvelle phase de mon existence, d’être sur le point de pouvoir réveiller mes ambitions et d’envisager une nouvelle série d’objectifs. Quelle serait la conséquence d’une campagne présidentielle ? Elle torpillerait tous ces projets. J’avais assez de bouteille pour le comprendre dès à présent. Barack et moi avions déjà vécu cinq campagnes en onze ans, et chacune m’avait obligée à batailler un peu plus dur pour m’accrocher à mes priorités. Chacune de ces campagnes avait laissé une petite cicatrice à mon âme, et à notre couple. J’avais peur qu’une campagne présidentielle ne nous porte le coup de grâce. (…)

J’espérais qu’un jour ou l’autre Barack lui-même mettrait fin aux spéculations et se déclarerait hors course, incitant les médias à porter leurs regards ailleurs. Mais il ne l’a pas fait. Il voulait se présenter. Il le voulait, et moi pas. (…) Je voulais Barack pour notre famille. Tous les autres semblaient le vouloir pour notre pays. (…)

Consciente qu’il allait bien falloir que j’y réfléchisse, j’ai fini par ouvrir la porte et par laisser cette éventualité s’imposer. Nous en avons discuté, Barack et moi, à maintes reprises, examinant la question sous tous les angles jusqu’à notre voyage de Noël à Hawaï où nous allions rendre visite à Toot [la grand-mère de Barack Obama], et même au cours de notre séjour. Certaines de nos conversations ont amené larmes et crispations, d’autres nous ont permis de parler franchement et d’avancer. Elles ne faisaient en réalité que poursuivre un dialogue engagé depuis déjà dix-sept ans : « Qui étions-nous ? Qu’est-ce qui comptait pour nous ? Que pouvions-nous faire ? »

En définitive, j’ai dit oui parce que je pensais que Barack pourrait être un grand président. Il était sûr de lui comme peu de gens le sont. Il avait l’intelligence et la discipline nécessaires pour assurer cette charge, le tempérament pour encaisser les coups, et ce rare degré d’empathie qui lui permettrait d’être entièrement à l’écoute des besoins du pays. Il était entouré de gens bien, de gens intelligents, prêts à l’aider. De quel droit l’aurais-je arrêté ?

J’ai dit oui, tout en nourrissant au fond de moi une conviction douloureuse que je n’étais pas prête à partager : je l’ai soutenu pendant sa campagne, mais j’étais persuadée qu’il n’irait pas jusqu’au bout. Il parlait si souvent et avec tant de passion de combler les fractures de notre pays en faisant appel à de nobles idéaux, qu’il croyait innés chez la plupart des gens. Mais j’avais observé ces fractures d’assez près pour refréner mes propres espoirs : Barack était, après tout, un Noir en Amérique. Je ne croyais pas vraiment à sa victoire. (…)

Trump et les femmes

Depuis l’enfance, j’ai toujours été convaincue qu’il fallait dénoncer les petites brutes, mais sans s’abaisser à leur niveau. Or, pour être claire, nous avions maintenant affaire à une petite brute, à un homme qui, entre autres choses, dénigrait les minorités, exprimait ouvertement son mépris pour les prisonniers de guerre, bafouait la dignité de notre pays pratiquement à chacune de ses déclarations. Je voulais que les Américains comprennent que les mots ont leur importance – que le langage de haine qu’ils entendaient à la télévision ne reflétait pas l’esprit authentique de notre pays et que nous pouvions voter contre. C’était à la dignité que je voulais en appeler – à l’idée que, en tant que nation, nous pouvions nous accrocher à cette valeur essentielle qui avait porté ma famille, depuis des générations. La dignité nous avait toujours permis de tout surmonter. C’était un choix, pas toujours le plus facile, mais c’était celui que faisaient inlassablement, chaque jour, les gens que je respectais le plus dans ma vie. (…)

Quand j’ai entendu cet extrait [un enregistrement, diffusé en 2016, dans lequel Donald Trump se vante en termes grossiers d’aborder les femmes comme des proies sexuelles], je n’en ai pas cru mes oreilles. Et pourtant, il y avait quelque chose de douloureusement familier dans le ton menaçant et l’outrecuidance machiste de ces propos. Je peux te faire du mal et m’en tirer à bon compte. C’était une expression de haine qui n’avait généralement pas sa place dans les milieux convenables, mais elle restait terriblement vivante dans la conscience collective de notre société supposément éclairée – vivante et suffisamment acceptée pour que quelqu’un comme Donald Trump puisse l’exprimer avec une telle désinvolture. Chaque femme de ma connaissance la reconnaissait. (…) C’est la forme la plus sordide du pouvoir. Je tremblais de rage après avoir entendu cet enregistrement. (…)

J’avais si souvent été moquée et menacée, rabaissée pour être noire, femme et franche. J’avais senti peser les regards sarcastiques sur mon physique, sur la place que j’occupais littéralement dans le monde. (…)

J’ai reçu les propos de Trump comme un coup de plus. Je ne pouvais pas laisser passer ça. (…) Devant une foule électrisée, j’ai clairement dit ce que je pensais : « Ce n’est pas normal. Ce n’est pas la politique comme on la conçoit habituellement. C’est honteux. C’est intolérable. » (…) Puis je suis rentrée à Washington, priant d’avoir été entendue. (…)

Epilogue

Barack et moi avons franchi pour la dernière fois le perron de la Maison-Blanche le 20 janvier 2017, avant d’accompagner Donald et Melania Trump à la cérémonie d’investiture. Ce jour-là, j’éprouvais un mélange confus de sentiments – j’étais fatiguée, fière, désemparée, impatiente. J’essayais surtout de faire bonne figure, sachant que les caméras de télévision scrutaient chacun de nos mouvements. Barack et moi tenions à effectuer cette transition avec grâce et dignité, à achever nos huit années sans entamer nos idéaux ni notre sang-froid. Nous abordions la dernière heure. (…)

Assise pour la troisième fois à la tribune d’investiture devant le Capitole des Etats-Unis, je m’efforçais de maîtriser mes émotions. La diversité éclatante des deux dernières investitures avait disparu, remplacée par un panorama qui me paraissait d’une uniformité désespérante, le type de scène dominée par des Blancs et par des hommes que j’avais si souvent vu au cours de mon existence – surtout dans les sphères les plus privilégiées, les coulisses du pouvoir auxquelles j’avais pu accéder depuis que j’avais quitté le foyer de mes parents. Ce que je savais, pour avoir travaillé dans des milieux professionnels – pour avoir recruté des avocats pour Sidley & Austin et du personnel à la Maison Blanche –, c’était que l’uniformité engendrait l’uniformité, tant qu’on ne prenait pas d’initiative réfléchie pour y remédier. En regardant les trois cents personnes assises à la tribune d’honneur ce matin-là, les éminents invités du président entrant, j’ai tout de suite compris que, au sein de la nouvelle Maison Blanche, on ne prendrait pas ce type d’initiative. Un conseiller de l’administration de Barack aurait dit que ce n’était pas bon pour l’image – que ce que voyait le public ne reflétait pas la réalité ou les idéaux du président. Mais, dans ce cas précis, peut-être que si. En réalisant cela, j’ai opéré un ajustement : j’ai réglé la focale sur l’image que j’avais sous les yeux. Et j’ai cessé de me forcer à sourire. (…)

« PARCE QU’ON ME POSE SOUVENT LA QUESTION, JE LE DIS ICI TRÈS CLAIREMENT : JE N’AI AUCUNE INTENTION DE ME PRÉSENTER UN JOUR À LA PRÉSIDENCE »

Quand votre mandat s’achève, quand vous quittez la Maison Blanche ce tout dernier jour, il vous reste, à bien des égards, à vous retrouver. (…) Pour la première fois de ma vie, je suis dégagée de toute obligation d’épouse d’homme politique, libérée de toutes les attentes d’autres personnes. J’ai deux filles presque adultes qui ont moins besoin de moi qu’autrefois. J’ai un mari qui ne porte plus le poids d’un pays sur ses épaules. (…) A 54 ans, je suis toujours en devenir, et j’espère l’être indéfiniment. (…)

Parce qu’on me pose souvent la question, je le dis ici très clairement : je n’ai aucune intention de me présenter un jour à la présidence. La politique ne m’a jamais passionnée, et mon expérience des dix dernières années n’y a rien changé. Je continue d’être agacée par la mesquinerie partisane – la ségrégation tribale entre le rouge républicain et le bleu démocrate, cette idée que nous devrions choisir un camp et nous y tenir, sans se donner la peine d’écouter et de trouver des compromis, voire même de se montrer courtois. Je suis convaincue que, sous sa forme la plus noble, la politique peut être un vecteur de changement positif, mais cette arène n’est tout simplement pas faite pour moi. (…)

Il est désespérant d’observer que le comportement et le programme politique du président actuel ont poussé beaucoup d’Américains à douter d’eux-mêmes, à se méfier et à avoir peur les uns des autres. Il a été très douloureux de voir systématiquement détricotées des mesures politiques humaines soigneusement élaborées, de constater que nous nous sommes aliéné certains de nos plus proches alliés et que nous avons rendu plus vulnérables et déshumanisé nos citoyens les plus fragiles. Il m’arrive de me demander si nous pouvons tomber plus bas. (…)

Il y a aujourd’hui des portraits de Barack et de moi accrochés à la National Gallery de Washington, ce qui nous touche tous deux énormément. Je doute que quiconque, à considérer notre enfance, nos origines, aurait pu prédire que nous nous retrouverions un jour dans ces salles. Les tableaux sont magnifiques, mais ce qui importe le plus est qu’ils sont là pour être vus par les jeunes, pour que nos visages contribuent à battre en brèche l’idée qui voudrait que, pour s’inscrire dans l’histoire, il faut avoir une certaine apparence. Si nous avons notre place dans ce pays, alors beaucoup d’autres peuvent aussi y trouver la leur.

« Devenir », de Michelle Obama (éditions Fayard, 450 pages, 24,50 €). | FAYARD

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