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Jours tranquilles à Paris
14 novembre 2018

La SNCF tire un trait sur les cars Macron

Par Éric Béziat

Le groupe ferroviaire vend à BlaBlaCar sa filiale de cars longue distance Ouibus – qui va supprimer 44 % de ses effectifs – tout en nouant une alliance capitalistique avec le leader européen du covoiturage

Nouveau départ ou simple lâchage ? La SNCF et BlaBlaCar ont annoncé lundi 12 novembre être entrés en négociations exclusives en vue de la cession de Ouibus, la filiale d’autocars longue distance du groupe public ferroviaire, au leader européen du covoiturage. Dans le même temps, la SNCF a pris part à une augmentation de capital de BlaBlaCar d’un montant total de 101 millions d’euros. Le groupe dirigé par Guillaume Pepy entre par conséquent au capital de l’entreprise de covoiturage mais à un niveau « très minoritaire » selon Nicolas Brusson, directeur général et l’un des cofondateurs de BlaBlaCar. La SNCF disposera d’un siège – et non d’un poste d’administrateur – au conseil de son nouvel allié.

Une page se tourne donc dans l’aventure française des cars Macron, ces services de transports par autocar sur longue distance libéralisés en 2015 par le ministre de l’économie d’alors, un certain Emmanuel Macron. L’un des leaders du secteur (55 millions de chiffre d’affaires en 2017 et environ 40 % de parts de marché) quitte le giron de la SNCF pour celui de BlaBlaCar, fleuron français de cette nouvelle économie dite de plate-forme, où le savoir-faire est essentiellement numérique et dans laquelle tout l’art consiste à faire porter le risque opérationnel à des prestataires ou même parfois à ses clients.

Deux façons de voir ce chambardement

Il y a deux façons de voir ce coup à plusieurs bandes. La première correspond au message officiel résumé dans le communiqué annonçant la nouvelle : la création d’une alliance stratégique gagnant-gagnant pour les deux parties. Du point de vue de la SNCF, l’opération est destinée à développer la multimodalité de son offre puisque BlaBlaCar va intégrer pleinement le site de e-commerce de la SNCF, Oui. sncf. Le géant du ferroviaire pourra ainsi proposer l’an prochain à ses clients des combinaisons train + bus ou bus + covoiturage ou train + covoiturage. Le but ultime, étant d’arriver à construire à l’été 2019 un assistant numérique personnel de mobilité capable d’offrir à chacun une offre de déplacement sur mesure et de porte à porte.

Vu de chez BlaBlaCar, ce « deal » dote le roi du covoiturage d’un nouveau piston à son moteur. « Nous avons expérimenté avec succès une offre d’autocars pendant les grèves du printemps, explique M. Brusson. Au Brésil, en Russie, nous avons déjà noué des partenariats avec des autocaristes. Notre ambition est d’aller au-delà du covoiturage, d’être un acteur global. »

Le but est, clairement, de favoriser une expansion rapide à l’international de l’activité de Ouibus. Avec un changement de marque à venir. « Nous conserverons dans un premier temps le nom Ouibus en France où il s’est imposé, précise Nicolas Brusson. Mais en Allemagne, en Russie, au Brésil… c’est BlaBlaCar qui est connu. » Le « BlaBla » ayant déjà été décliné en BlaBlaLines, la marque de covoiturage de courte distance de l’entreprise, le nom BlaBlaBus se pose en candidat sérieux.

Mais il y a aussi une autre façon de considérer ce chambardement. Dans l’opération, la SNCF se soulage d’un fardeau financier. Depuis sa création en 2012, IDBus devenu Ouibus à la faveur de la libéralisation, n’a jamais réalisé le moindre profit. Il a plutôt accumulé les pertes : près de 190 millions d’euros en tout, dont 36 millions au titre de l’exercice 2017 et, selon nos informations, autour de 20 millions cette année.

« Aboutissement d’une transformation de l’entreprise »

Alors pourquoi BlaBlaCar fait-il le choix de de s’alourdir de tels déficits ? D’abord parce que la plate-forme de covoiturage récupérera en 2019, lors du bouclage de l’opération, une entreprise restructurée. Le jour même de la proclamation de la vente, la direction de Ouibus a annoncé à ses salariés l’ouverture d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) portant sur 102 postes, soit 44 % de ses effectifs. Parmi les emplois supprimés, figurent ceux des 89 derniers conducteurs salariés travaillant encore pour Ouibus.

« Tous les salariés touchés par le PSE seront reclassés au sein du groupe SNCF, assure Roland de Barbentane, directeur général de Ouibus, qui comme l’ensemble du management, va passer avec armes et bagages dans la maison BlaBlaCar. Ces décisions sont l’aboutissement d’une transformation de l’entreprise qui, dans un marché très concurrentiel, ne peut plus embaucher de conducteurs en propre. »

Les salariés de Ouibus, eux, encaissent ces nouvelles « abasourdis et écœurés », selon un responsable syndical. Fini le temps des autocars façon modèle SNCF et ses plus de 200 chauffeurs bien rémunérés. C’était juste avant la libéralisation Macron. Depuis, les effectifs de conducteurs ont fondu, au gré des licenciements pour faute, des incitations au départ ou de cette cession du dépôt de Lyon (46 salariés) aux autocars Faure en juin 2017.

Côté BlaBlaCar, on se dit « pas directement concernés » par ces discussions. Et pas préoccupés non plus par le fait d’acquérir une entreprise qui fait des pertes. « Il n’est pas choquant d’être en déficit lors des phases d’expansion, rassure M. Brusson. Nous sommes une entreprise de long terme et nous allons continuer à accompagner le développement de Ouibus, comme celui de toutes nos activités. »

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