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Jours tranquilles à Paris
5 décembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin

Le vaisseau fantôme de la macronie

Telle une coque de noix ballottée par les vagues, le gouvernement tangue et roule dans la tempête. Après avoir clamé partout qu’il «maintenait le cap», il a abandonné soudain ses projets de hausse des taxes sur les carburants. Libération le raconte ce matin : le «moratoire» annoncé hier figurait déjà dans le texte du discours présidentiel de la semaine dernière. Il a été biffé au dernier moment, sans doute par crainte de mettre à mal le budget 2019. Erreur, selon toutes probabilités : annoncé une semaine plus tard, le même recul concédé trop tardivement n’éteint pas la contestation. Avec un président muet, un Premier ministre semi-zombiesque, des députés amateurs qui chancellent sous les coups, l’équipe macronienne a tout du vaisseau fantôme.

L’hésitation est révélatrice. Le gouvernement se retrouve devant le dilemme classique de tout pouvoir confronté à un vaste mouvement social (classique ne veut pas dire facile à résoudre). Tenir ? C’est courir le risque de nouvelles manifestations et des violences qui peuvent les accompagner, c’est encourager une extension du mouvement. Les gilets jaunes veulent continuer. Les syndicats de routiers se joignent au mouvement, ceux la fonction publique annoncent une grève reconductible, les blocages de lycées se multiplient

Céder encore ? C’est sacrifier plusieurs milliards supplémentaires, risquer sortir des clous européens, mécontenter le patronat par une augmentation du smic, et, surtout, rentrer dans rang des gouvernements humiliés par la bronca sociale, Chirac 1986, Juppé 1995, Villepin 2016, etc. Une bande de «fainéants» qui ne réforment pas par peur de l’opinion, comme dirait Macron. Sans être sûr, pour autant, que le mouvement s’arrêtera.

On ne voit guère, aujourd’hui, comment le gouvernement évitera des concessions de pouvoir d’achat. Les manifestants se battent depuis trois semaines, confortés par la solidarité qui se noue entre eux, toujours soutenus par l’opinion malgré les violences de samedi dernier. Comment délégitimer des Français aux maigres revenus qui demandent une rallonge leur permettant de faire face à des fins de mois difficiles ? Avec une difficulté supplémentaire : ce mouvement spontané formule des exigences que tout le monde comprend, mais ne parvient pas à s’organiser un tant soit peu pour participer à une négociation sérieuse. Ambiguïtés de ces gilets jaunes dont les revendications sociales sont convaincantes mais dont la défiance envers toute représentation confine au nihilisme politique. Mouvement égalitaire, progressiste dans sa face sociale, mais tirant vers un poujadisme très «ancien monde» dans sa détestation de la classe politique (renaissance du vieux «tous pourris»…) et dans son allergie paranoïaque dès qu’il s’agit de discuter (voir les menaces de mort qui frappent tous ceux des gilets jaunes qui font mine d’engager le dialogue), sur fond de complotisme larvé et de «fake news» complaisamment répandues (Macron «prépare la guerre», l’ONU dans une réunion à Marrakech prévoit de rendre l’immigration obligatoire, etc.).

Bientôt l’évidence s’imposera : le Président qui pour l’instant rase les murs devra bien monter en première ligne pour proposer une solution à la crise. Quand on est la cible principale, on ne peut pas rester immobile.

LAURENT JOFFRIN

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