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Jours tranquilles à Paris
7 décembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin - Démocratisme contre démocratie

Il arrive un moment où l’excès de démocratie tue la démocratie. On l’a dit plusieurs fois : les revendications sociales des gilets jaunes sont légitimes et méritent une négociation nationale sur les bas revenus, les petites retraites, la fiscalité, etc. En revanche la méthode soi-disant démocratique dont ils usent confine à la farce surréaliste.

Pris plus ou moins au hasard, leurs représentants écument les plateaux télévisés. Souvent leur parole est juste et raisonnable. Mais souvent aussi on découvre que ces représentants qui ne veulent représenter personne représentent en fait tout autre chose que le mouvement initial. L’un des porte-parole autodésignés est en fait un militant éprouvé de La France insoumise. L’autre est un activiste d’extrême droite bruni sous le harnais. Le troisième est un farceur qui pousse une association que personne ne connaît. L’autre encore est un fonctionnaire territorial plutôt bien payé qui n’a pas de mission et touche son salaire sans rien faire, autrement dit un oisif prospère pour représenter les travailleurs pauvres. N’importe qui venu de n’importe où pour dire n’importe quoi.

Le résultat de ce refus de toute délégation s’étale sous nos yeux : des manifestations négociées avec personne qui s’éparpillent, se rétractent en nombre et augmentent en violence (même en 1968, les leaders étudiants négociaient les itinéraires de manifestation avec le préfet Grimaud et les syndicats réussissaient à encadrer la grève générale) ; un gouvernement qui prend le chemin de la discussion mais qui ne trouve pas d’interlocuteur et finit par lâcher des concessions sans que personne n’en fasse le compte ni même ne réponde pour demander plus ou autre chose. Les syndicats, qui ne sont pas moins représentatifs de la société que les gilets jaunes, proposent une négociation globale, mais celle-ci tournera à vide si aucun délégué du mouvement n’y participe. Ses résultats, même s’ils sont appréciables, apparaîtront comme des faveurs tombées d’en haut.

Tout cela a une origine : le refus maladif de toute politique, au sens le plus large du terme, c’est-à-dire, comme le mot l’indique, le refus de toute discussion sensée sur l’avenir de la cité. Le gouvernement, qui a déclenché ce mouvement vindicatif à force de maladresse verbale et de réformes trop favorables à la classe dirigeante, porte une lourde responsabilité. Mais le démocratisme confus qui sert de doctrine au mouvement en porte une également. Sauf à se réunir sur une agora géante qui devrait contenir des millions de personnes, la démocratie d’aujourd’hui suppose la représentation. Rien n’empêche de l’organiser, grâce à la ductilité des réseaux sociaux. Certains gilets jaunes l’ont proposé mais on ne voit rien venir. Arrivera un moment où l'opinion, lasse de la cacophonie, exigera un pouvoir fort et un leader autoritaire. Voilà une aporie dangereuse, sur laquelle les thuriféraires de la démocratie directe devraient réfléc hir.

LAURENT JOFFRIN

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