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Jours tranquilles à Paris
9 décembre 2018

Le vélo électrique, nouvelle petite reine branchée

vae

Par Pascale Krémer

En une petite décennie, le vélo à assistance électrique s’est imposé à la campagne comme en ville. Ecolo, rapide et bon pour la santé, le VAE pourrait bien être le mode de transport du futur.

Longtemps, dans les dîners, on s’est un peu fichu de lui. Partir au bureau à vélo ? Quelle idée ! « J’étais l’écolo, le bobo, je devais sentir en arrivant… » Fabien ­Bagnon vit à une dizaine de kilomètres de Lyon, où il travaille. A Saint-Genis-Laval précisément, « dans le péri­urbain, à la limite des champs ». Depuis quelques mois, toutefois, l’ingénieur quadragénaire à barbe brune a noté un sérieux changement d’ambiance, à table.

« Plus personne ne rigole » lorsqu’il raconte qu’en vingt-cinq minutes de vélo à assistance électrique (VAE), vêtu comme un cadre fringant, il est possible de s’épargner les kilomètres d’embouteillages, le stress du retard, la hausse des carburants et l’abonnement à la salle de gym. « Autour de moi, j’entends même les uns demander aux autres : “T’es encore en voiture ?” C’est devenu chic de se balader à vélo électrique. Il faut dire qu’avec son écran, son côté techno et ludique, il ne fait pas vélo de décroissant… »

Le VAE, vélo branché, au propre comme au figuré. Cadeau de Noël commandé, ou juste fantasmé – trop cher, mais on y viendra. Objet iconique du moment. Deux signes ne peuvent tromper : Inès de La Fressange, reine des élégances parisiennes, a daigné associer son image à une autre petite reine, électrique (Gitane). Et Florence Foresti en fait ses choux gras, dans son dernier spectacle. « Je ne suis pas adaptée à ce qui vient. Je ne veux ni vélo électrique ni bouffer des grillons », se rebelle l’humoriste, qui hume si bien l’air (pollué) ambiant.

Des ventes en hausse exponentielle

En 2017, il s’est écoulé 255 000 de ces vélos à moteur électrique dotés d’une batterie rechargeable sur secteur et d’une autonomie de 50 à 70 kilomètres. Soit quasiment deux fois plus que l’année précédente, selon l’Union sport & cycle. Autant que scooters et motos réunis. « Dans sept ans, les ventes atteindront le million », parie Jérôme Valentin, président de cette union professionnelle ainsi que créateur et fabricant des vélos Cycleurope France (Gitane, Peugeot).

Comment, en une petite décennie, le biclou à batterie a-t-il pris une telle côte ascendante ? « Avant de répondre, je vous propose d’en essayer un », suggère, à Lyon, le vendeur d’un magasin Cyclable, l’air de savoir comment gagner du temps.

Il n’a pas tort. Grisant de s’extraire de la circulation du soir pour filer à 25 kilomètres/heure sur les bords du Rhône, joues fouettées par le vent, puis grimper, s’envoler plutôt, sur les pentes de la Croix-Rousse en toisant les autres cyclistes qui ahanent. L’engin fait de nous une cycliste augmentée. Une Superwoman qui, de retour en boutique, est prête à s’endetter pour ne pas rendre la cape rouge et le VAE à 2 000 euros.

« NOUS AVONS UN PROBLÈME AVEC LES SENIORS : ILS ARRIVENT À GRIMPER LE GALIBIER, MAINTENANT, IL FAUT LEUR APPRENDRE À LE DESCENDRE », S’AFFOLE-T-ON À LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DES USAGERS DE LA BICYCLETTE.

Dans les 51 magasins Cyclable de France, sept vélos vendus sur dix sont motorisés. « L’électrique monte. Ce n’est pas un phénomène de mode, pour le patron, Boris Wahl. C’est une tendance de fond. » Près de la moitié des Français (42 % exactement) seraient intéressés par l’achat d’un VAE (sondage Ipsos-Mobivia de septembre).

Rétropédalons, pour saisir l’emballement. Les longues grèves de 1995 puis l’apparition des Vélib’ parisiens, douze ans plus tard, ont redonné à la bicyclette des balades, que le tout-auto des « trente glorieuses » avait ringardisée, sa fonction première d’instrument de mobilité.

Au début des années 2010, la technologie des VAE devient fiable. S’ajoutent une prime nationale de 200 euros, en 2017, les subventions des collectivités locales, tout une communication à l’avenant. Et le vélo électrique change de braquet.

Fait exceptionnel, les trentenaires barbus n’ouvrent pas la route. Les éclaireurs seraient plutôt leurs parents qui, grâce à la Fée électricité, s’adonnent de nouveau au tourisme à vélo et au VTT en montagne. « Nous avons un problème avec les seniors : ils arrivent à grimper le Galibier, maintenant, il faut leur apprendre à le descendre », s’affole-t-on à la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB).

Bouche-à-oreille

Ensuite seulement, la révélation du VAE vint aux périurbains, las de perdre leur temps à gagner les centres-villes. Puis aux chanceux qui y résident. A Paris, Christophe Najdovski, l’adjoint (Europe Ecologie-Les Verts) aux transports, « sent particulièrement l’engouement, ces derniers mois ». Près de 11 000 aides à l’achat (de 400 euros maximum) depuis dix mois, contre 11 400 durant tout 2017 et 5 700 en 2015. Le bouche-à-oreille fonctionne à pleine vitesse. « Une personne qui s’équipe en ramène deux ou trois », observe Mathieu Froger, depuis ses dix magasins Ecox.

A les écouter, les détenteurs de vélo électrique ont vu la Vierge au tournant de la piste cyclable. « Miraculeux ! », « Ma vie a changé ! », « Ça me rend heureuse, je ne pourrais plus m’en passer… » Au point de convertir au moteur pédalier les conjoints, copains, collègues. Et mê­me le curé. « Je lui avais prêté le mien en partant en vacances, raconte Marylène Millet, 51 ans. J’en viens à penser que je ­devrais me lancer dans la vente ! »

Depuis six ans, elle parcourt matin et soir une douzaine de kilomètres entre sa banlieue vallonnée de l’ouest lyonnais et le quartier de la Part-Dieu, en une demi-heure. « Imbattable, à part la nuit en voiture. Franchement, c’est super ! On file, on a l’impression d’être en vacances. » « Ça change à 100 % l’état d’esprit » d’une autre utilisatrice lyonnaise, Véronique Bertrand, directrice achats de 49 ans : « On évite le métro-boulot-dodo. C’est une respiration bienfaisante dans la journée, physiquement et mentalement. »

« LES PÉRIURBAINS DOUBLÉS CHAQUE MATIN PAR LES CYCLISTES DANS LES BOUCHONS FINISSENT PAR COMPRENDRE L’INTÉRÊT DE LA MICROMOBILITÉ, QUI ÉLIMINE TOUS LES TEMPS MORTS. » BORIS WAHL, PATRON DES BOUTIQUES CYCLABLE

Pas le genre militants vélocipédiques, c’est le confort moderne de l’électrique qui les a menés jusqu’au VAE, par pur pragmatisme. Certes, se déplacer sans polluer compte à leurs yeux, tout comme l’instauration récente d’une filière de recyclage des batteries. Il est urgent de « faire sa part », comme dit Christine François, professeure de yoga, qui circule à vélo cargo électrique autour d’Igney (Vosges), près d’Epinal. « Depuis l’achat, en août, je n’ai pas pris la voiture plus de trois fois. » Certes encore, côté santé, l’on se doute bien que pédaler deux fois par jour au grand air, même sans forcer, ne peut pas faire de mal.

Florence Roux-Faivre, près de Clermont-Ferrand, n’avait pas sorti son VTT du garage depuis un bail. « A 50 ans, j’avais pris un peu de poids, je montais difficilement la côte. Quand j’ai évoqué le vélo électrique, le cardiologue m’a encouragée. “Des gens comme vous ne feraient pas de vélo, sinon.” Cet été, j’ai même converti mon mari, on a roulé 165 km le long du canal de Bourgogne. »

Mais, dans ses boutiques Cyclable partout en France, Boris Wahl voit maintenant affluer les gens pressés. « Des périurbains doublés chaque matin par les cyclistes, dans les bouchons. Ils finissent par comprendre l’intérêt de la micromobilité, qui élimine tous les temps morts et permet le porte-à-porte. » Nicolas Louvet, du bureau d’études 6T, le confir­me : « C’est le mode de transport métropolitain le plus rapide. On va à 19 km/h, contre 18 km/h en métro ou en voiture, 15 km/h à vélo, 5 km/h à pied. »

Pourtant, le vélo compte pour à peine 3 % des déplacements quotidiens en France (contre 10 % en Allemagne, 28 % aux Pays-Bas), piètre statistique que le plan vélo national du gouvernement, présenté en septembre, entend tripler d’ici à 2024. Il y a bien d’efficaces applications pour éviter ondées et routes dangereuses, de nouveaux modèles électriques (vélos rallongés ou cargos) pour embarquer enfants, courses et matériel. Mais manque l’essentiel : les aménagements de qualité (pistes cyclables, box sécurisés…) qui bouteraient hors des esprits la peur de l’accident et du vol.

Un hic, le prix

Parmi la dizaine de pratiquants sollicités, une bonne part a « pris une gamelle », « une portière », en tout cas l’habitude d’un gymkhana périlleux, sur engin rapide, hors pistes cyclables continues et protégées. Les métropoles mettent les bouchées doubles, traçant de nouveaux réseaux express – les 50 millions d’euros annuels du plan vélo devraient aider. « Le jour où les gens n’auront plus peur de mourir à vélo, ils s’y mettront. Il y a une appétence formidable », assure le président de la FUB, Olivier Schneider.

Oui, mais l’objet du désir est onéreux. Les VAE à 600 euros de la grande distribution ? Leurs batteries ne tiennent pas le coup, avertissent les spécialistes. « Il faut mettre 1 500 euros, admet Jérôme ­Valentin. Mais ensuite, c’est 17 centimes les 1 000 km ! » Pour que le désir devienne réalité, le patron de Cycleurope prépare une offre de location avec option d’achat – 25 euros par mois, entretien et assurance compris. La région Ile-de-France, aussi, y va de sa location longue durée, espérant mettre en selle 200 000 Franciliens à partir de septembre 2019.

Il est encore question d’élargir aux VAE la prime à la conversion des véhicules polluants, de pousser les employeurs à verser un « forfait mobilités durables » de 400 euros annuels…

« Outil de démotorisation des ménages, qui vient en suppression de la deuxième voiture, voire de la première en milieu urbain », selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, le vélo à assistance électrique mérite assistance financière. Sans trop le dire, pour éviter tout soupçon de renvoyer les pauvres au vélo du grand-père, les pouvoirs publics imaginent là une piste pour tous ceux qui se disent dépendants de l’essence – la part de la voiture étant prépondérante même pour les trajets domicile-travail inférieurs à 5 km.

« Presque tout le territoire se trou­ve à une dizaine de kilomètres de l’une des 3 000 gares, complète le président de la FUB. On ne pédalera pas 30 kilomètres pour aller travailler, mais, pour plein d’autres déplacements quotidiens, on peut économiser, à vélo électrique, les litres de carburant qui compensent la hausse des prix. » Dans le futur, les cyclistes seront les rois du pétrole.

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