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Jours tranquilles à Paris
10 décembre 2018

En Algérie, la cérémonie de béatification, « c’est aussi pour nos morts »

Par Zahra Chenaoui, Oran, envoyée spéciale - Le Monde

Samedi à Oran, la béatification des dix-neuf religieux catholiques tués dans les années 1990, dont les moines de Tibéhirine, a réuni chrétiens et musulmans.

Sur l’esplanade de la chapelle Notre-Dame de Santa Cruz, baptisée la veille « place du Vivre-Ensemble », près de 1 200 personnes sont assises sous le ciel bleu. Bâti en haut d’une colline, le site domine la Méditerranée et une statue de la Vierge surplombe le cloître. Un coffre en bois sculpté trône au milieu de l’estrade et fera office d’autel. L’évêque d’Oran, Jean-Paul Vesco, demande une minute de silence « en hommage au peuple algérien et à ses dirigeants qui ont réussi à retrouver le chemin de la paix malgré des blessures encore si douloureuses ».

Ce samedi 8 décembre est un moment exceptionnel. Une première : « dix-neuf martyrs d’Algérie », des religieux et des religieuses catholiques – quinze Français, deux Espagnoles, un Belge et une Maltaise – vont être béatifiés en terre musulmane. Tous, dont l’évêque d’Oran, Pierre Claverie, et les sept moines du monastère de Tibéhirine, ont été assassinés entre 1994 et 1996, en pleine période de terrorisme en Algérie.

Sur l’estrade, l’envoyé spécial du Vatican, le cardinal Giovanni Angelo Becciu, lit un message du pape François remerciant les autorités algériennes d’avoir « facilité cette célébration », avant de prononcer le décret de béatification.

« Que Monseigneur Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons, fidèles messagers de l’Evangile, humbles artisans de paix soient dès maintenant appelés bienheureux », déclare le cardinal tandis qu’une banderole avec les portraits des religieux est déroulée et accueillie par des youyous et des applaudissements.

Prières communes

Dans l’assistance, des imams sont présents aux côtés des représentants de l’Eglise catholique et des familles des religieux disparus. Côté politique, le ministre algérien des affaires religieuses, Mohamed Aïssa, est là, de même que Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’Etat français aux affaires étrangères. Ces célébrations sont « autant de symboles qui parlent au nom de l’Algérie au monde entier », a souligné M. Aïssa à l’agence de presse APS.

Les responsables catholiques avaient conscience dès le début du défi représenté par une telle cérémonie. L’affaire de la mort des moines de Tibéhirine, pour laquelle une enquête est toujours ouverte en France, demeure un point de tension entre Paris et Alger. En outre, les religieux béatifiés n’ont pas été les premières victimes de la décennie noire. Le bilan de la guerre civile des années 1990 s’élève à 200 000 morts, principalement musulmans. Pour éviter ces écueils, l’événement a fait en sorte de réunir les différentes sensibilités.

Dès la veille de la béatification, vendredi 7 décembre, la cathédrale d’Oran a accueilli une veillée de prières commune. Khaled Bentounes, le premier responsable de la confrérie soufie Alawiyya y assistait, aux côtés du cardinal Becciu. Henri Tessier, évêque émérite d’Alger et responsable de l’Eglise d’Algérie pendant la décennie noire, a évoqué la volonté profonde de ces dix-neuf religieux qu’il connaissait de rester dans le pays malgré les risques encourus : « Ils me répondaient : “Notre vie, on l’a déjà donnée.” »

« Ça montre que l’Algérie s’ouvre un peu »

Tout au long de la soirée, les proches des dix-neuf victimes se sont succédé au micro, comme Jean-Pierre Schumacher, survivant de l’enlèvement des moines de Tibéhirine, la sœur de l’évêque Pierre Claverie, le frère du moine Christian de Chergé ou encore la mère de Mohamed Bouchikhi, jeune chauffeur algérien tué dans l’attentat qui a coûté la vie à Pierre Claverie. « Plus que leur mort, ce que nous célébrons aujourd’hui, c’est l’exemplarité de leur vie et leur choix de vivre avec les Algériens », a souligné Modeste Niyibizi, prêtre de la paroisse d’Oran.

Les évêques de l’Eglise d’Algérie avaient annoncé que celle-ci rendrait hommage aux victimes algériennes du terrorisme. El Hachemi, 34 ans, fait partie des Algériens venus aider l’Eglise à organiser l’événement. Il a tenu à assister aux célébrations religieuses.

« J’ai grandi à Chlef où il y avait des moines qui vivaient dans la montagne et ils ont été attaqués pendant les années 1990. L’histoire des moines de Tibéhirine me touche, parce qu’à l’époque où tout le monde fuyait l’Algérie, ces gens-là ont choisi de rester et de vivre ces horreurs avec nous. C’est un devoir d’assister à cette cérémonie à leur mémoire. »

« Hier, à la télévision, ils ont montré le ministre des affaires religieuses avec l’évêque, ça montre que l’Algérie s’ouvre un peu », se félicite de son côté Amina, la quarantaine, employée à l’année par l’église. Voile violet serré autour du visage, elle explique en riant que lorsqu’elle a obtenu cet emploi, sa belle-famille était persuadée qu’elle allait se convertir. « La société a du mal à comprendre qu’on puisse discuter avec des chrétiens. De toute façon, cette cérémonie, c’est aussi pour nos morts », insiste-t-elle.

Dans le pays, la charte de réconciliation nationale, adoptée en 2005 pour mettre un terme aux violences, empêche l’organisation d’hommages publics aux victimes des années 1990. « Là, j’ai pu pleurer, partager mon émotion avec d’autres et me recueillir », explique une Algéroise de 49 ans.

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