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Jours tranquilles à Paris
10 décembre 2018

Comment le pacte migratoire de l’ONU a déraillé

Par Marc Semo, Marie Bourreau, New York, Nations unies, correspondante - Le Monde

De nombreux pays, dont les Etats-Unis, l’Italie, l’Autriche ou la Pologne, rejettent ce texte non contraignant qui doit être soumis pour approbation, à Marrakech, les 10 et 11 décembre.

Lorsque les Nations unies (ONU) ont lancé, en février, six mois de consultations pour parvenir à l’adoption d’un pacte mondial pour une « migration, sûre, ordonnée et régulière », Louise Arbour, la représentante spéciale pour les migrations de l’organisation onusienne, avait déjà senti poindre les germes de la contestation. « Il va falloir du courage politique et faire preuve de pédagogie », avait-elle alors expliqué au Monde.

A l’heure d’un retour en force des nationalismes et des populismes, les « vents ne nous sont pas favorables », s’était-elle inquiétée. Les Etats-Unis ont choisi, en décembre 2017, de se retirer des négociations en affirmant qu’elles esquissaient des dispositions contraires à la politique d’immigration de Donald Trump. Cette décision avait alimenté les craintes d’un désengagement d’un plus grand nombre d’Etats.

« Guide des bonnes pratiques »

Les digues auront tenu moins d’un an. Depuis plusieurs semaines, l’ONU fait face à une vague de retraits, alors que le texte doit être officiellement adopté lors d’un mini-sommet à Marrakech (Maroc), lundi 10 et mardi 11 décembre. Seuls deux tiers des quelque 190 pays qui l’avaient validé ont, pour l’instant, confirmé leur présence, avec des niveaux très disparates de représentation.

En plus des Etats-Unis, l’Italie, l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie, la Suisse, l’Australie, Israël et la République dominicaine ont décidé de ne pas se rendre au Maroc et de se désengager d’un texte pourtant non contraignant présenté comme un simple « guide des bonnes pratiques » en matière migratoire. La Belgique connaît aussi une crise majeure qui fragilise son gouvernement depuis que son premier ministre, Charles Michel, à annoncer vouloir se rendre à Marrakech, contre l’avis de son partenaire de coalition, le parti nationaliste flamand (N-VA).

« LE PACTE N’A AUCUNE VALEUR JURIDIQUE. CE PACTE NE MODIFIE PAS LES LOIS NATIONALES ET QUE LES ETATS RESTENT SOUVERAINS EN MATIÈRE DE DROIT MIGRATOIRE », MARTÈLE UN DIPLOMATE

Dans les couloirs de l’organisation, les diplomates ne cachent pas leur sidération face à l’ampleur et à la soudaineté de la crise politique née du soupçon que l’ONU s’est accordée en secret sur un « droit à la migration ».

« Le pacte n’a aucune valeur juridique, martèle l’un d’eux. Les appels aux référendums qu’on entend de-ci, de-là sont un non-sens, puisque ce pacte ne modifie pas les lois nationales et que les Etats restent souverains en matière de droit migratoire. »

Thèses complotistes

Cela n’a pas empêché les partis d’extrême droite d’instrumentaliser ce texte dans la perspective des élections européennes de mai 2019 pour alimenter les thèses complotistes dénonçant un présumé appel à des flux migratoires incontrôlés.

Les Etats-Unis sont jugés en partie responsables de cette déroute de dernière minute. « Washington a diffusé son narratif anti-pacte depuis plusieurs semaines, explique un officiel. Ils ont ciblé les Etats les plus perméables à leur discours populiste sur la perte de souveraineté. »

Dans un communiqué, transmis le 7 décembre, la mission des Etats-Unis à l’ONU a une nouvelle fois exposé ses arguments repris en boucle par les contempteurs du pacte. Washington assure craindre « un effort des Nations unies pour faire avancer la gouvernance mondiale aux dépens du droit souverain des Etats de gérer leurs systèmes d’immigration conformément à leurs lois nationales, politiques et intérêts ».

Un argument « absurde » pour Louise Arbour. « Comment imaginer que 190 pays auraient accepté de renoncer à leur souveraineté ? C’était notre ligne rouge depuis le départ ! Et la mention de la souveraineté des Etats figure dès le préambule. »

Paris fait profil bas

Cette offensive est jugée d’autant plus incompréhensible que ce pacte – le premier à s’attacher à la question migratoire dans son ensemble – a fait l’objet de discussions classiques dans un cadre multilatéral, chaque négociateur « prenant ses ordres directement auprès de sa capitale ».

Résultat, le sommet qui devait être « historique » à Marrakech ressemble à une débâcle. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, et Angela Merkel, la chancelière allemande, seront présents. La France sera représentée par le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne. Emmanuel Macron, grand défenseur du pacte, auquel il avait apporté un soutien appuyé lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, a préféré renoncer.

La crise des « gilets jaunes » mais plus encore le caractère politique pour le moins sensible de la question migratoire ont incité les autorités françaises à faire profil bas. « Ce n’est pas un sommet. Nous aurions pu être aussi bien représentés par le chef de l’Etat que par le premier ministre, le ministre des affaires étrangères ou même l’ambassadeur chargé de l’émigration », justifie-t-on de source diplomatique.

Malgré ces désistements en série, Louise Arbour assure être confiante sur l’avenir de ce texte « essentiel ». Les pays présents à Marrakech sont « du bon côté de l’histoire », estime-t-elle. « Les autres finiront par y venir car la migration est un sujet qui va nous interpeller pendant des décennies. Le pacte, ce n’est pas la fin, mais le début de la nécessité d’une meilleure coopération internationale. »

Les Etats membres auront l’occasion de confirmer leur soutien à ce pacte, le 19 décembre, lors d’un vote à l’Assemblée générale où ils l’endosseront officiellement. Un vote qui n’aura, là encore, qu’une portée symbolique et aucune valeur juridique.

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