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Jours tranquilles à Paris
13 décembre 2018

A Amsterdam, le Musée Anne Frank rénové pour entretenir la mémoire

Par Jean-Pierre Stroobants, Amsterdam, Envoyé spécial - Le Monde

Avec son 1,2 million de visiteurs annuels, la Maison Anne-Frank d’Amsterdam reste l’une des institutions les plus visitées des Pays-Bas. Pourquoi, dès lors, consacrer deux ans de travaux et 12 millions d’euros à sa refonte ? Sans doute parce que, pour les plus jeunes générations, le souvenir de la vie tragique d’« Annelein » – c’est ainsi que l’appelait son père, Otto – et de sa mort au camp de Bergen-Belsen en Allemagne, s’estompe.

« Nous voulions plus, et mieux, expliquer l’histoire », souligne Ronald Leopold, le directeur de la Fondation. Car les jeunes Européens ne se distinguent sans doute pas fondamentalement des Américains, dont une récente étude a indiqué qu’ils étaient désormais 70 % à ne jamais avoir entendu parler d’Auschwitz. Estimant que l’époque des « temps incertains » que nous vivons doit pousser à « se souvenir, réfléchir, agir », le directeur ne cache pas, par ailleurs, sa volonté de contribuer à la défense des valeurs et à l’acceptation des différences.

La célèbre « Annexe » du 263 Prinsengracht a donc été transformée pour devenir, au-delà du lieu emblématique où vécut, recluse, la famille Frank, de juin 1942 à août 1944, un lieu de témoignage, d’éducation et d’information sur la Shoah et les camps d’extermination. Sans être un autre Musée de l’Holocauste, insiste M. Leopold, mais « avec la volonté d’illustrer cette période sombre au travers du prisme d’une famille ».

Si, au premier abord, le bâtiment qui a abrité huit personnes dans des pièces situées au-dessus et à l’arrière des bureaux de l’entreprise Opekta d’Otto Frank, détaillées par Anne dans son célèbre Journal, n’a pas vraiment changé, la direction a osé quelques transformations notables.

Querelles d’héritage

Le sens du parcours a été inversé, le visiteur peut désormais bénéficier d’explications avec un audioguide – ce à quoi la Maison s’était refusée jusque-là –, la salle abritant le Journal a été totalement transformée afin de mettre celui-ci à l’abri de toute atteinte lumineuse et des vibrations. Un nouveau système permet aussi de réguler les entrées (de 80 à 90 personnes par quart d’heure) pour remédier à la longue file d’attente qui caractérisait le lieu.

L’émotion reste en tout cas très présente pour celui qui découvre, par exemple, les marques au crayon tracées sur un mur pour noter la croissance d’Anne et de sa sœur Margot, jusqu’à ce qu’elles soient dénoncées, arrêtées et promises à un voyage sans retour.

L’espace où vivaient les huit occupants, masqué par une armoire amovible, est, lui, resté intact. Et les pièces, vidées de leurs meubles après les arrestations de 1944 demeurent, elles aussi, telles quelles. Le vide marquant évidemment le départ des occupants et symbolisant aussi le sort d’une capitale qui se vida de 70 000 âmes durant la seconde guerre mondiale.

LA SALLE ABRITANT LE « JOURNAL » A ÉTÉ TOTALEMENT TRANSFORMÉE AFIN DE METTRE CELUI-CI À L’ABRI DE TOUTE ATTEINTE LUMINEUSE ET DES VIBRATIONS

Inauguré récemment par le roi des Pays-Bas Willem-Alexander, le « nouveau » musée devrait aussi faire oublier des épisodes tristes, ou nauséeux, survenus au cours des dernières années.

Comme la chute, après une violente rafale, du marronnier qui jouxtait l’Annexe, en 2010 : la jeune Anne avait décrit dans son livre cet arbre symbole vieux de cent cinquante ans. L’épisode avait plongé le royaume dans l’émotion, sans doute parce qu’il rappelait de trop mauvais souvenirs. Et il aura fallu, en 2010 également, attendre la mort de Miep Gies, 100 ans, pour que cessent les calomnies à l’encontre de cette réfugiée autrichienne, arrivée aux Pays-Bas à l’âge de 13 ans. Elle qui avait aidé les Frank et leurs amis fut accusée à tort de les avoir livrés aux nazis.

Présence très officielle du chef de l’Etat

Des querelles d’héritage sont par ailleurs survenues entre, d’une part, la fondation gérant la Maison et, d’autre part, le fonds établi à Bâle (Suisse), dirigé par Buddy Elias, un cousin d’Anne. Ils s’opposaient rudement sur la gestion des archives mais aussi sur la manière de continuer à évoquer au mieux le drame, par trop symbolique, de la famille Frank.

Une pièce de théâtre, montée en 2014 à Amsterdam, a elle aussi ravivé les polémiques, même si ce spectacle à grande échelle s’est finalement révélé très respectueux de l’esprit du Journal et de la volonté d’Otto Frank – le seul rescapé de la déportation – de protéger la mémoire de sa fille.

Au-delà, la relance du musée, rehaussée de la présence très officielle du chef de l’Etat, marque sans doute aussi un tournant dans l’histoire des Pays-Bas, cet Etat réputé philosémite parce qu’il a abrité, dès le XVIIe siècle, des juifs venus de partout, mais qui, entre 1940 et 1945, accepta des déportations massives. Les autorités de l’époque admirent rapidement d’exclure les juifs de la politique, de la fonction publique ou des universités, avant de tolérer la confiscation de leurs biens et leur complète spoliation.

Le fait que les Frank aient été plus que probablement dénoncés par un policier ou un indicateur néerlandais a toujours ajouté au malaise d’un pays qui a longtemps voulu ignorer cette part de son histoire. Celle qui s’est conclue par le fait qu’un quart seulement des juifs des Pays-Bas ont été sauvés de la déportation, contre la quasi-totalité d’entre eux au Danemark, les trois quarts en France et la moitié en Belgique.

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