Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 février 2019

Au Venezuela, le système sanitaire s’est effondré, « plus rien ne marche »

Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance

Ce secteur est devenu la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point d’être au cœur de la polémique sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido.

Dans une ruelle de Caracas, près du centre-ville historique et ses quelques rares magasins encore ouverts, l’endroit tient de la forteresse moderne. Derrière les grilles, l’entrée est gardée par un militaire en uniforme, l’arme à la main et le regard dilettante sur un hall entièrement vide. Devant la sortie, à l’autre bout de cet hôpital pédiatrique JM de Los Rios, le plus grand des quatre établissements pour enfants de la capitale vénézuélienne, un autre soldat est assis aux côtés d’un membre de la milice bolivarienne, ce corps spécial créé par le gouvernement et armé par les militaires.

Ici, chaque visiteur doit montrer patte blanche avant de quitter l’hôpital. Officiellement pour éviter les vols de médicaments et d’équipements. « Une aberration », souffle Laura, infirmière trentenaire, officiant depuis plusieurs années dans l’établissement et qui ne dira pas son vrai nom par peur de représailles : « C’est simple, nous manquons de tout, il n’y a plus rien, ni antibiotiques, ni ustensiles. Les gardes sont là dans tous les centres hospitaliers pour nous montrer que le pouvoir continue à contrôler la situation, et surtout pour éviter les fouineurs et les journalistes. »

En 2016, déjà, le New York Times avait publié un long reportage sur l’état catastrophique du système de santé au Venezuela. Il pointait l’indigence, l’état de délabrement et la situation catastrophique des soins dans plusieurs établissements de la capitale, la ville de Mérida et sur le littoral. Le papier rappelait comment la crise économique avait provoqué une situation d’urgence sanitaire où le taux de mortalité des jeunes mères était multiplié par cinq. L’article, illustré par des photos bouleversantes et amplement partagé sur les réseaux sociaux, avait provoqué un choc national. « Nous savions que la situation était désastreuse, que des enfants mourraient de dénutrition et d’autres par manque de personnel médical, mais pas à ce point et de cette manière globale », insiste la soignante.

A l’époque, le président Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez, avait écarté d’un revers de la main les critiques. Il affirma que « nulle part ailleurs au monde, excepté à Cuba, il n’existe un meilleur système de santé que le vénézuélien ».

« Le système s’écroulait de l’intérieur »

Depuis, et malgré les dénégations du régime, la situation a empiré. La santé est même devenue la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point de s’être installée au cœur de la polémique qui secoue le Venezuela ces dernières semaines sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido, président autoproclamé en janvier.

« Le système s’est effondré, plus rien ne marche », affirme le docteur Alejandro Risquez. Médecin pédiatre et épidémiologiste, il est une des voix critiques du système depuis plusieurs années. Reconnu dans le milieu, il a plusieurs fois participé aux réunions avec les représentants étrangers des Nations unies (ONU) pour dresser le diagnostic annuel des services de santé vénézuéliens.

« A partir de 2015, les officiels du régime ont commencé à ne plus divulguer leurs chiffres, affirme-t-il. L’année suivante, ils n’ont donné que le taux de mortalité infantile. Alors qu’il baissait chez nos voisins, il avait augmenté de 30 % au Venezuela. »

Pendant les premières années du régime chaviste, nombreux ont été les spécialistes à reconnaître que la mise en place des programmes gouvernementaux comme les Missions Barrio Dentro, touchant les zones les plus pauvres du pays, ont permis d’obtenir des avancées en matière de santé publique. Avec les accords signés par Fidel Castro, au début des années 2000, environ 35 000 médecins ou aide soignants cubains se sont installés dans les quartiers. Les Missions Barrio Dentro II sont ensuite venues en aide aux cliniques, aux petits dispensaires, les CDI.

« Jusqu’au mitan des années 2010, une époque où les dollars entraient, tout allait apparemment pour le mieux, explique le médecin. Mais la corruption s’est enracinée, et de manière endémique. Au ministère, les militaires ont pris les commandes. Les projets ont commencé à capoter. Des sommes colossales ont été investies dans les hôpitaux, de 2008 à 2013, mais rien n’a marché. En 2012, nous sommes soudainement devenus la risée du monde entier parce que nous n’avions plus de papiers toilettes. C’était un signe que le système s’écroulait de l’intérieur. »

En 2012, une année avant le décès d’Hugo Chavez, le prix du pétrole commence à dévisser. Sous Nicolas Maduro, le baril passe de 120 à 40 dollars, une catastrophe pour le pays qui possède les plus grandes réserves de la planète. C’est la chute. « La machine s’est arrêtée, dit M. Risquez. Soins défaillants, hyperinflation et pénuries : les gens ont fini par ne plus se soigner ou sont partis. Jusqu’en 2015, j’avais entre soixante et cent patients par jour. Ils ne sont plus que trois. »

Corruption, vols, trafics et détournements

Un rapport rédigé en novembre 2018 par Medicos por la Salud, un réseau de médecins qui récolte des données sur la crise sanitaire depuis 2014, est à ce titre cruellement révélateur. Selon l’enquête, la moitié des services de rayons X du pays ne fonctionnent plus, et 18 % ne marchent que par intermittence.

Plus de la moitié des laboratoires sont fermés. Plus de la moitié des hôpitaux ont des pannes électriques, trois-quarts manquent d’eau courante et deux-tiers connaissent des pénuries de médicaments – le chiffre monte à 83 % dans la capitale.

« C’est révoltant d’avoir autant de pétrole enfui sous nos pieds et de voir les gens mourir parce qu’il n’y a plus de médicaments », souffle Castro Mendez, professeur et docteur spécialisé en infectiologie à Caracas. D’après les statistiques de ce spécialiste proche de l’opposition, le pays a enregistré un excédent de décès de 180 000 individus sur dix ans, soit un mort toutes les vingt minutes pour des raisons dites « anormales » (traitement interrompu, dysfonctionnement de machine à dialyse ou respiratoire, absence d’oxygène dans une ambulance, etc.). « On meurt de malaria au Venezuela plus qu’ailleurs, ajoute-t-il. Les cas de tuberculoses et de diphtérie se multiplient. Il n’y a plus de traitement contre la leishmaniose dans tout le pays et que dire des traitements contre le cancer que l’on ne trouve plus que sur le marché noir… »

Corruption, vols, trafics et détournements : les histoires sordides finissent par constituer le lot quotidien le plus banal de ce Venezuela au bord de la consomption. A Barcelone, une ville sur la côte, les autorités ont arrêté le directeur de l’hôpital public parce qu’il a volé les machines respiratoires utilisées pour traiter les personnes aux poumons malades ainsi que des solutions d’intraveineuses pour les revendre. Il y a encore deux mois, raconte de son côté la jeune infirmière Laura, un camion entier de médicaments, envoyé par une fondation, était parvenu jusqu’à l’hôpital JM de Los Rios. Les caisses ont été déchargées. Puis tout a disparu. « Des enfants sont morts pour ça », glisse-t-elle.

Suivre cette jeune femme dans les couloirs de l’hôpital, c’est se laisser dériver sur une mer de souffrance et de solitudes. Ici, seules deux salles d’opération sur neuf sont encore en état de marche. « Et encore, il faut pour cela que les parents des enfants achètent tout, même les gants et le savon, pour l’opération et les traitements. »

Aux étages, les vitres sont cassées, les murs écaillés, les plafonds défoncés. Certains lits n’ont pas de matelas. Les fauteuils sont usés à l’os. Des couloirs entiers sont condamnés. Les quelques rares dessins d’enfants sont impuissants à consoler l’extrême désolation alentour.

Laura dit enregistrer une mort tous les quatre, cinq jours, parfois plus. « Mais les gens ne viennent plus, ils préfèrent mourir chez eux. »

Dans la première chambre, Luiza, 4 ans. Elle est ici depuis un mois avec une infection respiratoire. Elle a attrapé une maladie nosocomiale. Plus loin, dans une autre chambre, José, 3 ans. Il dort seul dans un lit sale, les yeux à moitié ouverts. Il est atteint de macrocéphalie. Opéré une première fois, il attend une deuxième intervention. « Je me souviens d’Ismaël, glisse Laura, il avait attendu un an pour une opération du cœur. »

Bien sûr, la jeune infirmière voudrait que l’aide humanitaire promise par l’opposition arrive au plus vite au Venezuela et ce malgré l’envoi, par Nicolas Maduro, de l’armée à la frontière. Elle sait que cette aide ne représente qu’une goutte d’eau. « Mais elle permettra peut-être de révéler enfin l’ampleur de cette catastrophe. »

Publicité
Commentaires
Publicité