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Jours tranquilles à Paris
23 avril 2019

A Londres, l’incendie de Notre-Dame ravive les craintes sur l’état de délabrement de Westminster

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant - Le Monde

Fuites d’eau, rats, départs de feu : le siège du Parlement britannique souffre. Une gigantesque rénovation doit débuter cet automne… si le Brexit ne la repousse pas à nouveau.

LETTRE DE LONDRES

A Westminster, une sourde inquiétude s’est mêlée à la tristesse et à la consternation devant le spectacle de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Pas besoin de mauvais esprit pour dresser un parallèle : bâtiment emblématique de la démocratie britannique, centre de la vie politique et lieu éminemment touristique, le palais est dans un état de délabrement si avancé, le risque d’incendie si élevé, qu’une escouade de pompiers patrouille 24 heures sur 24 à la recherche de départs de feu. Rien qu’entre 2008 et 2012, quarante débuts d’incendie ont été enregistrés.

« C’est un peu comme conduire une voiture dont les freins n’auraient pas été révisés depuis quarante ans. Vous ne pouvez pas dire quand ils vont lâcher. Mais le risque est vraiment élevé », a déclaré Tom Healer, le responsable de la restauration.

L’état des canalisations, dont certaines datent de la construction – achevée en 1870 –, est à l’avenant. En plein débat sur le Brexit, début avril, une trombe d’eau a jailli du plafond de la Chambre des communes, arrosant les députés. « Il ne s’agit pas d’eaux usées », ont cru bon de rassurer les communicants du palais. Comme en France, personne ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre l’état d’un bâtiment icône et celui du pays.

Depuis le sinistre qui a partiellement détruit la cathédrale parisienne, le 15 avril, tous les yeux sont tournés vers le palais néogothique des bords de la Tamise dont les énormes travaux de réhabilitation, reportés depuis des décennies, doivent être précédés, à partir de l’automne, par le déménagement progressif des députés. Une gigantesque opération qui doit s’achever dans les années 2030 mais que ses répercussions multiples – politiques, financières, architecturales, touristiques – rendent hautement aléatoire en ces temps d’instabilité liés au Brexit.

Un bâtiment largement construit en bois

L’écho britannique du drame de Notre-Dame n’a pas échappé au chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn. Le drame parisien « devrait servir d’avertissement au gouvernement, a-t-il déclaré. Si l’un des magnifiques bâtiments que nous possédons était détruit par le feu, que ressentirions-nous ? L’état de Westminster est très mauvais et le risque d’incendie dans ce bâtiment largement construit en bois est à l’évidence élevé. »

Les images des Parisiens terrifiés devant le brasier renvoient au Londres de 1834, lorsque le précédent palais de Westminster, datant partiellement du Moyen Age, était parti en fumée sous les yeux des Londoniens impuissants.

Il suffit d’avoir circulé de nos jours dans le dédale de couloirs, de galeries et de passages non couverts du labyrinthique palais de Westminster pour se faire une idée du degré de décrépitude des lieux qui n’ont pas été rénovés depuis 1945-1950 et les destructions par les bombes nazies. Morceaux de pierre détachés, vapeur s’échappant de tuyaux, filets de protection, rats. Un rapport parlementaire de 2016 y ajoute l’amiante, un antique réseau de vapeur, l’enchevêtrement de tuyaux d’eau plus ou moins étanches et de 250 miles (400 km) de câbles électriques, des installations encastrées totalement inaccessibles.

Le document assure que, faute d’une « intervention rapide » pour une rénovation d’ampleur, on assistera, « soit à un accident brutal et catastrophique, soit à une dégradation progressive qui finira par rendre le bâtiment inhabitable ». En attendant, insistaient les députés, maintenir le palais néogothique en état de recevoir du public, « c’est comme tenter de remplir une baignoire avec un dé à coudre pendant que l’eau en sort par la vidange ».

Un complexe jeu de dominos

Cette réalité a longtemps été niée. Les touristes n’ont généralement d’yeux que pour la tour Elizabeth coiffée de la célèbre horloge Big Ben (actuellement en rénovation et recouverte d’échafaudages). Les visiteurs du palais n’accèdent souvent qu’à des lieux prestigieux apparemment en bon état : l’impressionnant Westminster hall et sa charpente en bois du XIVe siècle – qui a échappé à l’incendie de 1834 – et le lobby central où convergent les couloirs et galeries menant aux 1 100 salles du palais.

Le coût d’une réhabilitation totale, les implications pour la vie politique et surtout l’inertie, ont fait le reste. Longtemps reporté pour cause de Brexit, le vote sur le mode et le calendrier de la rénovation a eu lieu début février 2018. Les fuites d’eau et les plafonds qui s’écroulent « ne sont rien en comparaison de l’opprobre qui s’abattrait sur nos responsables politiques s’ils laissaient détruire le bâtiment le plus important du pays. Il est probable que Mme May ne souhaite pas ajouter la destruction du Parlement à son héritage déjà enviable », ironise Matt Chorley, plume politique du Times.

Les députés avaient le choix entre un maintien dans les lieux pendant les travaux, qui auraient alors duré quarante ans et coûté 5,7 milliards de livres (6,6 milliards d’euros), et un déménagement général mais temporaire, réduisant la facture à 3,5 milliards de livres, plus acceptables pour les contribuables. Ils ont opté pour cette seconde formule, sachant que chaque année de retard alourdit la facture de 100 millions de livres.

Les travaux de toiture ont démarré, mais la suite suppose de résoudre un complexe jeu de dominos. Les 650 députés doivent être relogés à Richmond House, un bâtiment des années 1980 ayant abrité le ministère de la santé, situé sur Whitehall, la grande avenue sur laquelle donne Downing Street. Quant aux 780 lords, ils s’installeront au Queen Elizabeth Centre, le palais des congrès qui fait face à l’abbaye de Westminster.

Pour loger tout ce monde, d’autres bâtiments historiques doivent être au préalable vidés et rénovés. Le déménagement, qui concerne aussi les 6 000 employés du Parlement, ne devrait se terminer qu’en 2025 et l’installation provisoire durer ensuite six années. Une nouvelle salle de débat devrait être aménagée dans une cour intérieure de Richmond House, mais le permis de construire n’a pas encore été accordé.

Des dorures aux préfabriqués

D’autres dilemmes restent à trancher. Le principal, comme pour Notre-Dame, porte sur le type de restauration : à l’identique ou adapté au temps présent ? Dans le cas de Westminster, le casse-tête est autant politique que patrimonial. Des députés s’inquiètent des conséquences de leur abandon d’un lieu si cher aux Britanniques, véritable cœur de la démocratie, et de leur dispersion dans des bâtiments sans âme au moment où le Parlement, incapable de ratifier l’accord sur le Brexit, est la cible de l’ire populaire.

Certains se demandent si quitter les dorures pour des préfabriqués ne risque pas d’affaiblir leur capacité d’impressionner les lobbyistes et les visiteurs étrangers à un moment où, Brexit oblige, le pays est censé négocier des accords commerciaux avec le monde entier. Et puis, à quoi ressemblera, sous des néons, l’ouverture en grande pompe de la session par la reine ?

Pourtant, le grand déménagement n’offre-t-il pas une occasion de dépoussiérer, voire de réformer la démocratie parlementaire ? Bronwen Maddox, directrice de l’Institute for Government, un cercle de réflexion sur l’efficacité du gouvernement, estime que les députés, privés de mètres carrés à Westminster, pourraient passer davantage de temps dans leurs circonscriptions et voter électroniquement. Elle ose même imaginer la transformation de la salle rectangulaire des Communes, conçue pour le bipartisme – le gouvernement et l’opposition s’y font face –, en un hémicycle, plus adapté à la diversité des partis.

Cette transformation architecturale traduirait une révolution institutionnelle, avec l’abandon du scrutin à un tour (qui lamine les petits partis), déjà bousculé par la tornade du Brexit. D’ailleurs, argue la politologue, le temps que s’achève cette réhabilitation complexe du palais de Westminster – probablement une décennie –, qui sait où en sera le système politique britannique ? Lorsque les députés regagneront leurs pénates néogothiques, la « citadelle de la liberté britannique », selon le mot de Winston Churchill, ne sera plus la même.

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