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Jours tranquilles à Paris
23 avril 2019

Entretien - Catherine Deneuve : « On tourne trop de films en France aujourd’hui »

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Par Jacques Mandelbaum

L’actrice est, pour la huitième fois, à l’affiche d’un film d’André Téchiné. A 75 ans, elle porte un regard critique sur l’évolution du cinéma.

Une relation exceptionnelle s’est nouée, depuis Hôtel des Amériques, le film qu’elle a tourné, en 1981, en compagnie de Patrick Dewaere, entre Catherine Deneuve et André Téchiné. Huit films en quarante ans de création les réunissent aujourd’hui, dans les affres d’une passion auxquelles le hiératisme de l’actrice confère l’épaisseur et le mystère de la fatalité. Elle interprète dans le dernier en date, L’Adieu à la nuit, la propriétaire d’une ferme équestre dans le sud de la France, qui se trouve du jour au lendemain confrontée à la radicalisation de son petit-fils, Alex (Kacey Mottet Klein), converti à l’islam. L’occasion d’évoquer ce virage résolu vers la vie que l’actrice, en ses soixante-quinze printemps, négocie désormais crânement au cinéma.

Le film a un sujet pour le moins délicat. Comment vous a-t-il été présenté ? Vous a-t-il fait hésiter ?

André m’avait tout d’abord parlé du sujet, la radicalisation de certains jeunes en France qui partent faire le djihad, et qui était évidemment inspiré d’une réalité que nous vivons aujourd’hui. Et non, je n’ai pas hésité. D’abord grâce à André, dont je sais qu’il est un vrai cinéaste. Et aussi parce que je savais que cela se passerait, pour mon personnage, dans le cadre d’une relation familiale, avec un enjeu essentiellement affectif. Le sujet est ici traité à travers quelques personnages, c’est un film intimiste.

Vous a-t-il semblé nécessaire de vous préparer de manière particulière pour ce rôle ?

Non, pas du tout. Au contraire, je crois que ce qui intéressait André était l’opacité de ce type de comportement, et mon rôle consistait justement à me confronter, comme grand-mère du personnage, à quelque chose de totalement nouveau, à quoi elle ne sait pas exactement comment répondre. Elle essaie de comprendre et de réagir…

C’est votre huitième collaboration avec André Téchiné. Une telle fidélité est rarissime au cinéma…

Ce n’est pas de la fidélité. C’est une rencontre. André et moi, on a le même âge, on a tourné notre premier film à Biarritz, en extérieur, où on se lie plus qu’à Paris, où tout le monde rentre chez soi, et puis on a continué de se voir après le film, et une relation d’amitié est née.

Est-ce à dire que vous ne pouvez pas refuser un film d’André Téchiné ?

Si, c’est envisageable. Notre rendez-vous est toujours possible, mais jamais obligatoire.

On compte quatre Demy, deux Truffaut, deux Buñuel… Etes-vous, sous le regard de ces cinéastes, une autre à chaque fois ?

Oui, évidemment. Les vrais cinéastes mettent toujours beaucoup d’eux-mêmes dans leurs films, et ils mettent en vous ce qu’ils croient savoir de vous. Demy était quelqu’un qui faisait des films gais en apparence, mais profondément mélancoliques, mais avec qui j’étais transporté. Truffaut, c’est différent, c’est quelqu’un avec qui j’ai eu une relation personnelle très forte, et que j’ai revu jusqu’à la fin. Quant à André, je dirais que c’est une histoire qui s’écrit au fur et à mesure de nos vies.

François Truffaut vous définissait comme une actrice secrète, pudique, ambiguë, qui donnait toujours la sensation d’une « double vie »…

Oui, peut-être qu’il y a quelque chose comme ça chez moi…

Vous êtes tout de même l’une des dernières stars du cinéma français ?

Non, je ne crois pas que ce mot soit juste en France et à notre époque. C’est quelque chose qui était valable du temps de la splendeur d’Hollywood, mais qui n’existe plus tellement à mon sens, et encore moins en France. Je crois que les gens, maintenant, se déterminent plus sur un sujet.

Disons alors que vous êtes dépositaire d’une aura qui vous rapproche un peu de ce statut mythique. Au-delà du cinéma, vous êtes devenue une sorte d’incarnation idéalisée de la France… N’est-ce pas lourd à porter à la longue ?

Si, et je m’en dégage autant que je peux parce que, au fond, ce n’est pas moi. Ce n’est pas une tactique. C’est juste que ce statut ne me convient pas, ce n’est pas comme cela que j’envisage mon métier. J’ai vu trop d’excellents acteurs qui se sont empêchés d’évoluer parce qu’ils se sont enfermés dans leur propre image, ou peut-être parce que la lassitude a fini par les saisir.

Longtemps, dans vos plus grands rôles, l’amour et la beauté étaient rattrapés par la mort. Depuis une dizaine d’années – depuis « Un conte de Noël », d’Arnaud Desplechin –, un mouvement inverse se produit : vous êtes devenue une source de vie, une force de résilience…

Mais oui, c’est peut-être le sens de ma lutte contre la mort ou, si ce n’est de la mort, de la vieillesse.

C’est ce qui se passe dans « L’Adieu à la nuit ». Pour tenter d’infléchir la marche à la mort de votre petit-fils, vous lui présentez un garçon qui a fait le chemin inverse, qui est revenu à la vie après avoir aspiré au sacrifice ?

Absolument. Elle est tellement dépassée qu’elle va chercher ce garçon qui a vécu dans sa chair l’expérience à laquelle aspire son petit-fils. J’aime d’ailleurs beaucoup ce personnage.

Vous qui connaissez si bien ce milieu du cinéma, qui l’avez vu évoluer, quel regard portez-vous sur lui ?

Je trouve, pour aller à l’essentiel, qu’on tourne trop de films en France aujourd’hui. La simplification des moyens techniques, la plus grande mobilité, ont facilité le passage à l’acte. Il y a, en parallèle, moins d’exigence dans l’écriture. Beaucoup des films qui sortent en salle n’y ont pas forcément leur place. Au final, le spectateur est noyé dans la masse. Qui peut voir autant de films ? Ils apparaissent pour disparaître aussitôt. Je me demande ce que serait la carrière en salle d’un film comme Fanny et Alexandre, de Bergman, aujourd’hui ?

Vous prenez régulièrement position sur des sujets de société tels que la peine de mort, l’IVG, le climat, la cause paysanne… Récemment, sur les dangers du mouvement #balancetonporc, à l’occasion d’une retentissante tribune cosignée dans « Le Monde ». Qu’est-ce qui vous incite à le faire ?

L’envie de m’engager sur des choses qui me tiennent à cœur. Mais cela reste toujours ponctuel et symbolique, je ne m’estime pas assez compétente pour devenir militante d’une cause. En même temps, il est certain que c’est à double tranchant, parce que, pour ce qui concerne #balancetonporc, les réactions ont été extrêmement violentes. Mais je crois en la liberté de penser.

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