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Jours tranquilles à Paris
22 août 2019

CINÉMA Reportage sur le tournage de "La Possibilité d'une île"

A80 kilomètres à l’ouest de Séville, dans la province de Huelva, Michel Houellebecq a trouvé la fin du monde. C’est là, dans le paysage apocalyptique des mines de fer abandonnées de Rio Tinto, qu’il achève, serein et presque joyeux, le tournage de son premier long métrage. Tous les lecteurs de La Possibilité d’une île reconnaîtront immédiatement le lieu – ils l’ont déjà lu. D’où cette impression d’évidence, de quasi-familiarité à mesure que le 4x4 s’enfonce sur le chemin défoncé qui serpente entre la vieille voie ferrée et la rivière vraiment rouge.

Autour, des reliefs érodés en dégradé d’ocre, des blocs de roches noir mat et des vestiges industriels rouille composent une gigantesque installation trouvée, sublime parc d’attractions d’art contemporain qu’on imagine conçu par James Turrell, l’artiste qui dort sous un volcan, Anish Kapoor, l’homme aux pigments profonds, et les Becher, entomologistes des usines en ruine. Seuls quelques lauriers en fleurs réfutent, çà et là, l’hypothèse d’une récente explosion nucléaire. Quelques kilomètres plus loin, en contrebas, sur la grève grise de la rivière plus rouge encore, un groupe d’hommes et de femmes en laines polaires sombres s’affaire. Au centre, accroupie derrière une caméra, une silhouette apparaît nettement comme celle de Michel Houellebecq – le port de la main, cigarette coincée entre majeur et annulaire, ne trompe pas. A quelques mètres de lui, assis sur un rocher, les pieds dans l’eau, un homme vêtu de noir semble chauve. Il faudra s’approcher beaucoup plus près pour discerner sous les quatre heures de maquillage les traits de son acteur principal, Benoît Magimel. Dans le film, il incarne la lignée des Daniel, du numéro 1, notre contemporain, jusqu’au numéro 25, vingt-cinquième itération clonée de l’original. Pour l’écran, Houellebecq a resserré l’intrigue autour de trois personnages, Daniel (Benoît Magimel), Marie (Ramata Koite, actrice espagnole d’origine sénégalaise), le prophète (Patrick Bauchau, l’homme de L’Etat des choses, le film de Wim Wenders), et d’une interrogation : vaut-il mieux une vie avec des désirs ou une vie de plante ? Une question irrésolue qui s’incarne dans le contraste entre Daniel 1 et Daniel 25. “Peut-être le montage tranchera-t-il”, lance sérieusement Michel Houellebecq. Après sept semaines de tournage aux quatre coins de l’Espagne, l’écrivain devenu réalisateur s’avoue rassuré que tout se soit passé sans encombre. Sa détermination méthodique aura triomphé des difficultés économiques pour s’assurer désormais la possibilité d’un film à venir pour 2008.

"CE FUT AU TOTAL ASSEZ ANGOISSANT”

Impressions de tournage,par Michel Houellebecq

“Plutôt que de dire ce qu’on veut,mieux vaut le faire”

“Lors de ce tournage, je me suis trouvé obligé de réfléchir plus que prévu, d’improviser davantage. J’aurais préféré que tout soit minutieusement préparé et qu’on applique scrupuleusement un plan. Mais cela semble difficile, sauf peut-être en augmentant considérablement le temps de préparation. Ce fut au total assez angoissant parce que le temps était compté : sept semaines pour un film d’environ deux heures, c’est peu. Deux fois seulement j’ai démarré une journée en me disant qu’on arriverait facilement à faire ce qui était prévu. En pratique, j’ai assez souvent dû changer de plan dès que j’étais sûr d’avoir une prise vraiment bien. Je ne pouvais pas m’en autoriser deux. Ce fut possible parce que l’équipe caméra était très sécurisante. J’ai beaucoup cadré moi-même. Pour un plan fixe, c’est la meilleure solution. Plutôt que de dire ce qu’on veut, mieux vaut le faire. Mais je trouve très difficile de se concentrer à la fois sur le jeu des acteurs et sur un mouvement, je n’ai donc pas cadré les plans en mouvement. Sauf à une ou deux exceptions lorsqu’on ne pouvait pas être trop nombreux en voiture. J’ai commencé à monter l’histoire avec les cassettes combo, le soir ou le matin tôt. Je visionnais les plans sur mon PC et je les réarrangeais. Ça m’a permis de structurer un peu. Les décors, c’est précis, mais parfois les acteurs font basculer les choses. Celui qui joue le rôle de Gérard, par exemple. Il était censé être l’ami d’enfance du prophète mais pas s’intéresser spécialement au message de la secte. Or il se trouve que l’acteur a produit une interprétation assez bouleversante, en rapport avec le livre écrit par le prophète. Nécessairement, il est devenu l’un des premiers adeptes. C’est le genre de choses dont on se rend compte en revoyant les prises. On se rend à l’évidence : il faut changer l’histoire. C’est très proche de l’écriture d’un livre en fait.”

“Ma référence pour Daniel 25, c’était les photos de Kraftwerkà l’époque Robots”

“Le choix des acteurs est déterminant. Après on ne peut plus faire ce qu’on veut des personnages, on ne peut que les pousser dans la direction où ils peuvent donner le meilleur. Les personnages s’autonomisent, une logique propre se met en oeuvre, comme pour un roman en fait. Cela contraint à adapter l’écriture. Je n’ai pas eu le temps de parler beaucoup avec les comédiens avant le tournage. Et sur le tournage je les ai surtout écoutés à propos des dialogues. Quand ils ont une idée, elle est souvent bonne. En revanche, pour la mise en scène, il ne faut pas les écouter. Ils ont trop la tentation de se mettre en avant. Avec les chiens, c’est plus facile… Au départ ma seule référence pour Daniel 25, c’était les photos de Kraftwerk à l’époque Robots, ces photos étranges où l’on ne sait pas s’il s’agit d’eux ou de mannequins. Mais j’ai consulté un spécialiste du maquillage effets spéciaux qui m’a soumis une meilleure idée. Il proposait d’évoquer la peau d’un bébé, fine, avec des veines assez apparentes pour donner une impression de fragilité.”

“L’artiste allemande Rosemarie Trockel avait une passion pour mon chien,Clément”

“J’avais été très impressionné lors d’une visite touristique impromptue au musée de la préhistoire de Tautavel, dans les Pyrénées-Orientales. Ce sont des vitrines, des dioramas, un peu comme au Museum d’histoire naturelle de New York, mais plongés dans la pénombre. J’en ai gardé un souvenir extraordinaire. Je suis donc retourné à Tautavel pour vérifier, et avec l’idée de concevoir la même chose non pas avec des hommes ou des animaux préhistoriques mais avec des contemporains. A la même époque, j’ai rencontré le curateur Hans-Ulrich Obrist à qui j’en ai parlé. Dans le cadre de la Biennale de Lyon, dont il est l’un des commissaires, il a accepté de coproduire ces vitrines. J’avais appris par ailleurs que l’artiste allemande Rosemarie Trockel avait une passion pour mon chien, Clément, qu’elle avait des photos de lui… Je lui ai proposé de réaliser une sculpture réaliste de mon chien, ainsi que d’autres personnages, un homme et une femme d’aujourd’hui assez âgés… Nous les avons placées dans des vitrines, aux côtés d’animaux empaillés. Tout cela est censé être l’œuvre du prophète, exposée dans une salle où il tient ses discours auprès de ses adeptes. Deux autres artistes sont associés au film. Le grand architecte Rem Koolhaas dont la mission est de concevoir une mégalopole détruite en images de synthèse. Il m’a déjà envoyé des premiers dessins mais il faut qu’il voie les images déjà tournées. J’ai aussi fait appel à Renaud Marchand qui avait réalisé une sculpture chimique d’Esther et Daniel lors du Salon du livre. Je lui ai confié la réalisation de la partie appareillage du laboratoire, des clones… Il est très bon pour produire un chaos de produits chimiques. Excellent aussi avec les câbles informatiques…”

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