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Jours tranquilles à Paris
24 août 2019

Enquête - Boris Johnson et sa famille, une drôle de dynastie

borissss

Par Eric Albert, Londres, correspondance

Dans la famille Johnson, il y a Boris, le premier ministre britannique, partisan du Brexit. Mais aussi trois frères et une sœur… opposés à la sortie de l’UE. Rassemblés autour de leur père, ils forment un clan d’ambitieux où la solidarité l’emporte sur les désaccords et les blessures.

En avril 1968, Robert McNamara, ancien secrétaire américain à la défense, devient président de la Banque mondiale. Pour l’occasion, Stanley Johnson, haut gradé de l’institution basée à Washington DC, lui prépare un poisson d’avril, qu’il raconte encore, l’œil pétillant, cinquante ans plus tard.

« Il y a un code de couleurs pour les propositions de prêts. Les dossiers complets, à soumettre au comité d’approbation, sont en gris. J’ai donc fait une proposition de couleur grise concernant un prêt de 100 millions de dollars à l’Egypte pour développer le tourisme. A l’intérieur, je suggérais de faire construire… trois pyramides supplémentaires. Et, dans les bénéfices indirects du projet, j’expliquais que l’armée égyptienne serait si occupée par leur construction que cela garantirait la paix au Moyen-Orient. »

Surenchère dans l’absurde, Stanley Johnson précisait que le « retour sur investissement » de chaque pyramide serait « approximativement de 9,762 % ». Seul indice de la supercherie, sous des apparences très sérieuses : le dossier était daté du 1er avril. Le père de Boris Johnson, 79 ans, ne peut pas résister. S’il y a une blague à faire, rien ne l’arrête.

Entre les Kennedy et les Kardashian

Cette affaire a failli lui coûter son poste. Robert McNamara, qui avait d’abord discuté avec intérêt l’idée du prêt, n’avait guère goûté la plaisanterie une fois celle-ci comprise. Qu’à cela ne tienne, le Britannique a immédiatement rebondi, grâce à un partenaire de squash qui lui a décroché un emploi auprès de John Rockefeller III, alors l’homme le plus riche des Etats-Unis.

Il faut rencontrer le père du nouveau premier ministre du Royaume-Uni, qui a pris ses fonctions fin juillet sur la promesse d’un Brexit dur, pour commencer à comprendre le fils. Tout y est, avec un quart de siècle de plus. La touffe de cheveux blonds devenus blancs en bataille, le nez pointu, l’incapacité à répondre directement à la moindre question, une pointe de noblesse oblige, dû à un nom de famille qui, derrière le commun « Johnson », est, dans sa version intégrale, « de Pfeffel Johnson », donc lointainement aristocrate.

Et un besoin insatiable de faire un bon mot. Cette personnalité larger than life, ancien député européen, connue du grand public britannique, qui a passé une partie de son mois d’août à nager avec les requins au large de l’Australie, qui passe d’émissions de télé-réalité trash à de sérieuses discussions politiques, a un besoin primaire : être au centre de l’attention. On n’écrit pas deux autobiographies sans être un brin mégalo.

Stanley Johnson dans de « Je suis une célébrité, sortez-moi de là ! »

Il a aujourd’hui un nouveau rôle : il est devenu « First Father », comme il se surnomme, et il trône sur une dynastie politique. Les Johnson sont une famille politico-médiatique à mi-chemin entre les Kennedy et les Kardashian, avec un appétit dévorant du pouvoir et un goût insatiable de la publicité. Quatre des six enfants de Stanley Johnson, ceux issus de son premier mariage avec l’artiste Charlotte Fawcett, sont connus, connectés, mariés à d’autres personnalités incontournables dans les beaux quartiers londoniens. Ils aspirent aux feux de la rampe. Ils évoluent depuis leur naissance dans le monde à l’air raréfié de la haute société anglaise, avec sa stratégie habituelle : placer ses rejetons dans les meilleurs – et les plus chers – pensionnats privés.

« Il faut comprendre le système britannique, explique le patriarche patiemment. Pour des familles comme la mienne, c’est très simple : l’éducation des enfants est bien trop importante pour la laisser aux parents. L’évidence est de les envoyer dans les meilleures écoles. Ils vont ensuite dans les meilleures universités et ensuite ils ont de très bons emplois. S’il se trouve qu’ils ont choisi comme métier la politique, et que tout se passe bien, ils peuvent être premier ministre. » On lui fait remarquer que seuls 7 % des Britanniques passent par ces écoles privées, les autres ne pouvant pas se les offrir, et que ce modèle ne s’applique qu’à une petite frange de la population. « C’est bien ce que je veux dire. »

Le mardi 23 juillet, la vision du monde de Stanley Johnson se trouve confirmée. Ce jour-là, dans l’auditorium sans fenêtre du palais des congrès Queen Elizabeth II Centre, à deux pas de Westminster, où siège le Parlement, le résultat du vote pour la direction du Parti conservateur est sur le point d’être annoncé.

Trois têtes blondes sont assises au deuxième rang, juste derrière Boris Johnson, 55 ans : Stanley, le père incontournable ; Rachel, 53 ans, la sœur journaliste-politicienne, qui a travaillé pour le Financial Times, The Daily Telegraph ou l’Evening Standard, à la fois figure et chroniqueuse de la jet-set londonienne ; et Jo, 47 ans, le frère ministre-député conservateur, le plus cérébral de tous. Les trois Johnson se passent un gobelet en plastique rempli d’une boisson sucrée, tirant sur la paille multicolore. Il faut afficher son soutien, bien sûr, mais surtout se montrer. Etre là où se trouve l’événement, devant les caméras du monde entier.

Mariés à des personnalités en vue

Le plus égocentrique de tous, sur qui tous les regards se jettent, celui qui voulait être « roi du monde » quand il était petit, est bien sûr Boris, qui goûte enfin la récompense suprême en cette journée caniculaire de juillet. L’aîné de la famille a été tour à tour remarquable journaliste et fabricant de fausses informations (à Bruxelles, notamment), drôlissime chroniqueur et sinistre pourvoyeur de messages haineux, maire centriste de Londres et partisan de la droite dure pendant la campagne du référendum sur le Brexit.

Ses convictions instinctives, bien que mal définies, sont relativement claires : libéralisme économique et libéralisme sociétal. Mais le vrai fil rouge de sa vie, qui a tout guidé depuis le début, est bien plus simple : son ambition personnelle.

Le seul absent de la famille Johnson en ce jour d’intronisation, le seul à ne pas être d’une blondeur éblouissante – il est châtain très clair –, est le troisième de la fratrie, Leo, 51 ans. Il mène une brillante carrière comme associé au cabinet de consultants PricewaterhouseCoopers, en tant que spécialiste du développement durable. Il tente d’échapper à la vie publique (« Je suis né sans le gène de l’autopromotion », déclarait-il en 2013), même s’il présente une émission de radio. Stanley a eu deux autres enfants d’un deuxième mariage, mais ceux-ci évoluent dans d’autres cercles : Julia, une chanteuse discrète, et Maximilian, un homme d’affaires qui habite Hongkong.

« En gros, on est comme les rats. A Londres, vous n’êtes jamais à plus de quelques mètres d’au moins deux Johnson », concluait Rachel en 2017, dans un de ses articles. Tous partagent leur vie avec des personnalités en vue. Jo vit avec Amelia Gentleman, une influente journaliste du Guardian ; Leo partage sa vie avec Taies Nezam, une Afghane qui travaille à la Banque mondiale ; Rachel est mariée à Ivo Dawnay, descendant d’une vieille famille noble anglaise, journaliste et écrivain.

Soif de célébrité

Quand on a dit à Rachel qu’on allait écrire un article sur sa famille, elle n’a pas pu s’empêcher un trait d’humour : « Assurez-vous que les photos de moi soient flatteuses. C’est tout ce qui m’intéresse. » Il s’agit évidemment d’une blague. Comme son père et ses frères, Rachel est redoutablement intelligente, vive et ambitieuse. Mais elle est aussi très sincère. La soif de célébrité est évidente. « Je dois me rendre à l’évidence, je suis aujourd’hui surtout connue pour être la sœur de Boris », lâchait-elle en soupirant lors d’une longue interview qu’elle nous avait accordée en novembre 2018.

Elle a écrit une demi-douzaine de romans, est chroniqueuse multicarte dans de nombreux journaux britanniques, a été une participante de l’émission de télé-réalité « Celebrity Big Brother » (un « Loft Story » pour célébrités) et a de quoi s’assurer un prénom. « C’est difficile d’avoir une existence propre parce que [Boris] est cette figure publique incontournable. Ce n’est pas facile, mais je l’aime. C’est ça, la famille. C’est toujours difficile. » Son mari, Ivo Dawnay, l’a confirmé à sa façon un jour dans un entretien : « Etre marié à une Johnson, c’est comme adopter une famille de chiots qui font beaucoup de bruit, qui sautent partout et dont la queue a tendance à faire tomber les objets délicats des tables. »

« An enormous catastro-fuck ! »

L’union sacrée de ce clan de pouvoir est pourtant mise à mal par le Brexit. A l’exception de l’actuel premier ministre, tous ont fait campagne pour rester dans l’Union européenne. Après le référendum, Rachel a rejoint le Parti des libéraux-démocrates, puis Change UK, deux partis à la pointe de la lutte contre le Brexit. Elle a même été candidate – malheureuse – à la députation européenne en mai, pied de nez évident à son frère, tout en évitant de le critiquer directement. Son point de vue sur le Brexit ? « It’s just an enormous catastro-fuck ! » Ça se passe de traduction.

Jo (qui a refusé de nous recevoir) a démissionné avec fracas de son poste de ministre en novembre 2018. Il s’opposait alors à l’accord proposé par la première ministre, Theresa May, pour sortir de l’Union européenne, et revendiquait… un deuxième référendum sur le Brexit, afin d’annuler le résultat du premier. Dans un article, il avertissait directement Boris des dangers du « no deal », une sortie de l’UE sans accord : « Mon message à mon frère et à tous les militants du Brexit est qu’infliger de tels dommages économiques et politiques au pays laisserait une impression indélébile d’incompétence dans l’esprit du grand public. »

« J’ÉTAIS UN EURO-ENTHOUSIASTE, ET LE TRAVAIL DE MON FILS EST DE DÉFAIRE LES LIENS AVEC L’EUROPE. » STANLEY JOHNSON

Quant au père, Stanley, il a consacré vingt ans de sa vie à la construction européenne. En 1973, quand le Royaume-Uni est devenu membre de la CEE, il a fait partie des tout premiers fonctionnaires européens britanniques. « J’étais chef de cabinet pour l’environnement et les nuisances », se rappelle-t-il dans un excellent français. En 1979, lors des premières élections au Parlement de Strasbourg, il devient député sous l’étiquette du Parti conservateur, qui était alors favorable à la construction européenne.

Alors, quand son fils est devenu premier ministre, Stanley Johnson était déchiré. « J’étais personnellement très content. Combien de pères ont vu leur fils devenir premier ministre ? Mais il y avait aussi une certaine ironie. J’étais un euro-enthousiaste, et le travail de mon fils est de défaire les liens avec l’Europe. »

Ces trois dernières années ont aussi été très douloureuses pour Rachel. Le 24 juin 2016 au matin, quand le résultat du référendum sur le Brexit a été connu, elle se trouvait à Nice, de retour d’une conférence sur la publicité. « Je me souviens qu’en traversant l’aéroport, rempli de représentants du monde de la publicité, des médias, de l’industrie du film, les gens s’écartaient de moi. C’était comme la mer Rouge qui s’ouvrait. Certains pleuraient. Personne ne m’adressait la parole après ce que mon frère avait fait au continent. J’étais très très triste. » Aujourd’hui, le cœur gros, elle demande une seule chose : « Play the ball, not the man. » En français : « Attaquez les idées, mais pas la personnalité de mon frère. »

Dans les faits, difficile de faire plus européens que les Johnson. La famille a passé de longues années à Bruxelles, quand Stanley était haut fonctionnaire puis député. En 1973, quand sa femme s’inquiétait de trouver une école en Belgique pour ses enfants, Stanley s’écriait, comme une évidence : « Ils peuvent aller à l’école européenne et devenir de bons petits Européens. »

La mère de Stanley était à moitié française, ce qui fait que le premier ministre britannique qui mène le Brexit est à un huitième français. Deux ou trois générations en arrière, on trouve des particules françaises et allemandes, des racines juives, musulmanes et chrétiennes, un ministre de l’intérieur du sultan de l’Empire ottoman, le traducteur anglais de Thomas Mann… En remontant quelques générations de plus, les Johnson deviennent même de vagues cousins d’Elizabeth II par le biais de leurs origines allemandes. Les quatre enfants parlent tous français couramment.

Jo dans les coulisses du pouvoir

A moins que la dispute autour du Brexit ne soit qu’une formidable mise en scène. Que derrière les apparentes frictions, les Johnson jouent un jeu de pouvoir où l’ambition dépasse la bataille des idées. « Ce qui compte pour eux est d’être au centre de l’attention, au cœur du pouvoir, et la raison en est finalement relativement secondaire », estime un ancien député conservateur qui les connaît bien.

Un ancien ministre, aujourd’hui député conservateur, qui a travaillé avec Boris et avec Jo, abonde. « Jo est en adoration devant son frère. Quand il a quitté le gouvernement de Theresa May, ça arrangeait bien Boris. Sa démission a profondément déstabilisé la première ministre. Je suis sûr que Jo avait consulté Boris avant de prendre cette décision. »

Le petit frère est aujourd’hui récompensé. Il a été nommé par son aîné secrétaire d’Etat au sein du département des affaires, de l’énergie et de la stratégie industrielle et du département de l’éducation. Avec le droit exceptionnel d’être présent au conseil des ministres. Dans la tempête qui a accompagné l’arrivée de Boris Johnson au 10 Downing Street, la nomination familiale n’a guère causé de remous. Pire encore, en acceptant de faire partie du gouvernement, Jo a dû promettre de soutenir une potentielle sortie de l’Union européenne sans accord, le fameux « no deal ». Aurait-il la mémoire courte ? ou ambitionnerait-il un jour de succéder à son grand frère ? Très prudent, il évite les interventions dans la presse, préférant jouer un rôle actif dans les coulisses du pouvoir.

Et que dire de l’omniprésence de Stanley ? A chaque discours important, à chaque tournant dans la carrière de ses fils, le père se montre. Quand Jo a démissionné, donnant une série d’interviews, son père était présent. On l’aperçoit sur une photo, à l’arrière-plan, devant la BBC. Quand Boris a lancé sa campagne pour être premier ministre, il était également là.

« STANLEY LEUR A INCULQUÉ CE SENS DE LA CONCURRENCE, DE TOUJOURS VOULOIR ÊTRE LE MEILLEUR, LE PREMIER. » SONIA PURNELL, BIOGRAPHE

« Les Johnson forment un clan, à la fois resserré et ultracompétitif », explique Sonia Purnell, auteure d’une biographie très fouillée de Boris Johnson (Just Boris. A Tale of Blond Ambition, édition Aurum Press, 2012, non traduit). « Stanley leur a inculqué ce sens de la concurrence, de toujours vouloir être le meilleur, le premier. Mais il n’y a pas de valeurs centrales. Ce qui compte est de gagner. »

Les Johnson, un clan organisé collectivement à la poursuite du pouvoir ? Stanley lève les yeux au ciel. « Ah, le mythe qu’il y a de grandes réunions de la famille Johnson ! On est tous tellement pris… On arrive parfois à se réunir dans le Somerset, où j’ai une ferme, mais on ne se voit pas souvent. Et on ne se met certainement pas d’accord entre nous sur la ligne officielle à tenir. » Il assure nous rencontrer sans en avoir informé son fils aîné. Rachel confirme. « Tout le monde me demande à quoi ressemblent les déjeuners du dimanche chez les Johnson. Eh bien, je vais vous dire : on ne parle pas du Brexit, parce que ça deviendrait juste trop tendu. Et puis ce ne serait pas juste, parce qu’on serait tous ensemble contre Boris. Ce serait du harcèlement ! »

Profonde dépression

Comme bien des familles de ce genre, il y a pourtant une immense déchirure à l’origine. L’indice se trouve dans un dessin d’enfants encadré sur une table basse du salon de Rachel Johnson. En feutres de couleurs, d’une écriture enfantine – fautes d’orthographe comprises –, le message est un mot d’excuses : « Mama, we are sory that we were so bad to day » (« Mama, on est désolé d’avoir été méchants aujourd’hui »). Signé : Leo, Rachel et Alexander. Jo était trop petit pour participer. Alexander Boris de Pfeffel Johnson était encore « Al », pour sa famille, bien avant de s’inventer son personnage de bouffon échevelé et de préférer son deuxième prénom. La famille habitait alors Bruxelles et la journée avait visiblement été difficile pour la mère.

Ces années-là ont été une tempête permanente. Charlotte, artiste-peintre, qui avait rencontré Stanley à l’université d’Oxford, souffrait d’une profonde dépression et de troubles obsessionnels compulsifs. « J’étais devenu phobique, a-t-elle expliqué au magazine britannique Tatler en 2015, dans une rare interview. J’étais terrifiée par toute forme de saleté. » Elle passe de longs séjours internée à l’hôpital de Maudsley, à Londres.

« N’OUBLIEZ PAS DE MENTIONNER MA MÈRE. ELLE EST UNE FEMME FORMIDABLE QUI NOUS A DONNÉ LE PEU D’HUMANITÉ QU’ON A EN NOUS. » RACHEL JOHNSON

Il faut dire que la vie qu’elle mène avec Stanley est chaotique. Le couple a quatre enfants en bas âge et déménage trente-deux fois en quinze ans : New York, Washington, Londres, Bruxelles… Et puis Stanley n’est pas l’homme qu’elle pensait connaître. « Les choses étaient difficiles avec [lui], poursuit-elle dans Tatler. Je croyais que j’avais épousé un poète, mais il s’était mis à s’intéresser à l’environnement, il voyageait beaucoup, il aimait ça, et puis un cher ami m’a parlé de ça… » « Ça », ce sont les maîtresses de Stanley, qui collectionne les infidélités. Son fils Boris, récemment divorcé pour la deuxième fois et père d’un ou deux enfants illégitimes (il en a reconnu un, pas l’autre), semble reproduire la même attitude des décennies plus tard.

La période est ardue. Deux jeunes filles au pair s’occupent des enfants Johnson. Stanley et Charlotte divorcent en 1979. Dans ses deux autobiographies, qui s’étirent sur quelque sept cents pages, Stanley en consacre tout juste trois à la rupture. L’introspection n’est pas vraiment son fort. « C’était une enfance étrange, difficile, explique Sonia Purnell, la biographe de Boris Johnson. Les parents étaient très absents. Les enfants semblent tous avoir des symptômes d’un trouble de l’attention. »

Charlotte se remettra progressivement, se remariant à un Américain et passant de longues années aux Etats-Unis. Aujourd’hui veuve, diagnostiquée dès l’âge de 40 ans de la maladie de Parkinson, elle se déplace avec difficultés et ne s’exprime que rarement dans les médias. Elle occupe une place énorme, non dite, dans l’histoire de la famille. « N’oubliez pas de mentionner ma mère, confie Rachel. Elle est une femme formidable qui nous a donné le peu d’humanité qu’on a en nous. »

Lutte des classes

A l’université d’Oxford, Annabel Eyre a partagé une maison avec Rachel Johnson entre 1986 et 1988. Trente ans plus tard, elle se souvient du clan Johnson comme très uni. « Les frères et sœur étaient vraiment proches. Boris passait souvent et il était charmant. Je me rappelle que Rachel pouvait être très maternelle envers les plus jeunes, et Boris était très paternel avec Rachel. » Stanley passait de loin en loin. Lui était clairement le modèle que suivaient les enfants. « Rachel était extrêmement ambitieuse. Boris aussi, bien sûr, mais il le dissimulait mieux. Il était toujours affable alors que sa sœur pouvait être intimidante quand elle le voulait. »

L’apport de Stanley à ses enfants est d’avoir su les pousser dans le monde. De les avoir fait intégrer le pensionnat d’Eton, le plus huppé de tous, puis l’université d’Oxford. Car, comme toute histoire anglaise, la vérité ne serait pas complète sans une question de lutte des classes. Les Johnson ne sont pas vraiment une famille upper class. Ils n’ont pas de fortune familiale, ne descendent pas d’une grande lignée noble issue de Guillaume le Conquérant et n’ont pas de château ancestral où se réunir, mais une ferme spartiate dans la région d’Exmoor (dans le sud-ouest du pays).

Bien sûr, leurs ancêtres sont souvent prestigieux et faisaient partie de l’élite. Mais, pour arriver à leur position, les Johnson ont toujours dû se battre. Boris est entré à Eton avec une bourse. Rachel et Jo ont gravi les échelons du Financial Times, où ils ont commencé tous les deux leur carrière, avant de vraiment décoller. La compétition permanente instaurée par Stanley, sous de faux airs de bonhomie, vient de cette ambition-là.

Mimiques et bons mots

A la rancœur sociale, l’élitisme, l’intelligence aiguë et la brisure intime, il convient enfin d’ajouter l’indispensable liant : l’humour. Ou plus exactement, le (faux) sens de l’autodérision. La blague de Stanley sur les pyramides égyptiennes l’illustre parfaitement. Plus tard, l’homme a consacré une large partie de sa carrière à la lutte contre la surpopulation et il a écrit six livres sur le sujet. « Un livre par enfant que j’ai eu ! », pouffe-t-il, conscient de l’évidente contradiction.

De même, l’actuel premier ministre s’est fait un nom grâce à son humour. Ses mimiques et ses bons mots, notamment dans des émissions de télévision satiriques sur l’actualité, ont largement contribué à sa popularité. Aujourd’hui, l’homme divise fortement, est comparé à Donald Trump, flirte parfois avec l’extrême droite, mais, pendant des décennies, il a réussi le tour de force d’unir gauche et droite en mettant les rieurs de son côté. « Dans notre enfance, je me souviens qu’on passait l’essentiel de notre temps à essayer de se faire rire », assure Rachel. Aujourd’hui, alors que l’aîné précipite son pays vers un Brexit sans accord, aux conséquences sans doute catastrophiques, le légendaire humour des Johnson est peut-être hors de propos.

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