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Jours tranquilles à Paris
14 octobre 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin

prsident tunisie

Pour la Tunisie

La nouvelle n’est pas très bonne. Mais à y réfléchir, elle n’est pas si mauvaise. A une forte majorité, les électeurs tunisiens ont porté au pouvoir un juriste austère et conservateur, Kaïs Saïed, qui présidera désormais aux destinées du pays où s’est déclenché le printemps arabe. Ce président, qui veut marier, pour faire court, la démocratie à l’occidentale avec «l’identité arabo-musulmane», suscitera difficilement l’enthousiasme des progressistes. Il défend des conceptions sociétales plutôt réactionnaires, par exemple en approuvant les lois prohibant l’homosexualité ou celles qui prévoient que la femme reçoit en héritage la moitié des biens dévolus aux hommes. On fait mieux en matière de modernisme.

De la même manière, la participation a été faible, et lors des élections législatives qui ont eu lieu entre-temps, le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête (avec 18% des voix et une participation encore plus faible qu’à la présidentielle).

Mais si l’on s’arrêtait là, on appliquerait à la jeune démocratie tunisienne des critères européens quelque peu iréniques et condescendants. Comme si la Tunisie était une vieille République à la suisse où les coutumes démocratiques et laïques sont à l’œuvre depuis des générations. La République française, pour prendre un exemple, a mis un bon siècle à se stabiliser, après d’innombrables soubresauts et retours en arrière. Elle est mal placée pour donner des leçons à un pays longtemps colonisé (par la France), puis soumis au nationalisme autoritaire d’un Bourguiba et, surtout, à la dictature cruelle et minutieuse de Zine el-Abidine Ben Ali.

En comparaison des pays voisins, la Tunisie est un havre de paix et de liberté. La Constitution est respectée, la campagne électorale, quoique baroque (l’un des principaux candidats est resté en prison jusqu’à trois jours du scrutin), a été pacifique, la presse est diverse, les différents concurrents ont tenu meeting sans violence, ils se sont librement exprimés à la télévision, etc. Rien à voir avec la Libye voisine, en guerre civile, ou avec l’Egypte, soumise à une dictature militaire. Quant à l’Algérie et le Maroc, ces pays ont le plus grand mal à se débarrasser des scories autoritaires de l’oligarchie militaire (à Alger) ou de la monarchie traditionnelle (à Rabat). Ne parlons pas des théocraties osbcurantistes d’Arabie Saoudite ou d’Iran. La Tunisie offre l’exemple rare d’un pays musulman qui laisse sa place au pluralisme, à la liberté d’expression, à l’Etat de droit et à la liberté de conscience.

Le nouveau président est conservateur en matière de mœurs. Mais il a aussi un programme de démocratisation décentralisée et jure solennellement que lui, constitutionaliste respecté, compagnon de route du printemps tunisien, respectera scrupuleusement la Loi fondamentale. Si tel est le cas, il reviendra à l’opposition progressiste de s’organiser pour convaincre une majorité de Tunisiens de la suivre. Ce qui est le jeu normal. On pourra légitimement critiquer tel ou tel aspect du mandat qui commence. On se gardera de le juger de haut.

LAURENT JOFFRIN

president tunisien

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