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Jours tranquilles à Paris
4 décembre 2019

Au sein de l’OTAN, cette fois, les problèmes sont sur la table

Chronique - « Au sein de l’OTAN, cette fois, les problèmes sont sur la table, crus et évidents. Ce sont les grandes questions du monde de l’après-guerre froide »

Par Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde »

Les échanges tendus de Londres exposent crûment les enjeux de l’Alliance, du retrait du leadership américain à la montée en puissance de la Chine, en passant par le jeu trouble de la Russie, estime, dans sa chronique, l’éditorialiste au « Monde » Sylvie Kauffmann.

Ils sont vingt-neuf autour de la table, mercredi 4 décembre à Watford (Royaume-Uni), près de Londres, mais trois d’entre eux concentrent tous les regards. Ce sont les trois trublions, les professionnels de la disruption, les bad boys de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) : l’Américain Donald Trump, le Français Emmanuel Macron, le Turc Recep Tayyip Erdogan, ceux par qui le scandale arrive.

Et puis il y a les deux absents, qui ne font pas partie de la famille et sont pourtant dans toutes les têtes : le Russe Vladimir Poutine et le Chinois Xi Jinping. L’anglais a une belle expression pour eux : « les éléphants dans la pièce », ceux dont on aimerait ne pas parler mais qui sont trop gros pour qu’on les ignore.

Comme anniversaire, on aurait pu imaginer plus serein pour cette vénérable septuagénaire, l’OTAN, en d’autres temps parée de toutes les vertus. Depuis deux ans, les nuages se sont accumulés, le tonnerre a grondé de Washington, l’horizon turc s’est profondément brouillé et la foudre est tombée de Paris. Maintenant, la tempête parfaite est là, prête à exploser sur Londres, qui n’en demande pas tant.

Tout a été fait pour que l’explosion ne se produise pas. Eviter le drame et montrer que contrairement à ce qu’a dit le président américain en 2017, l’OTAN n’est pas « obsolète », ni en état de « mort cérébrale » comme l’a dit en novembre son homologue français, ni gravement dysfonctionnelle comme l’a montré le président turc en lançant ses troupes en Syrie sans consulter ses alliés sur place.

Crise ? « Il n’y a pas de crise ! », nous jurait son secrétaire général, Jens Stoltenberg, en sortant d’une explication de gravure avec Emmanuel Macron, le 28 novembre à l’Elysée.

« Chercher le plus petit dénominateur commun »

Les sherpas se sont affairés, ces dernières semaines, à préparer un communiqué final qui a été adopté sans bruit. Une « revue stratégique » sera lancée. L’OTAN survivra à cette épreuve. S’il y a une chose qu’on sait faire dans cette organisation, ironisait un haut diplomate français à la veille du sommet, « c’est éviter les problèmes et chercher le plus petit dénominateur commun » ; cette fois, le plus petit dénominateur commun, c’est « ne pas perdre les Turcs et ne pas énerver Trump ».

Pour la deuxième option, c’est raté, si l’on en juge par l’offensive du président américain mardi, en marge des premiers entretiens bilatéraux. La froide brutalité du long échange de MM. Trump et Macron devant la presse après que le premier eut jugé « insultantes » et « très, très méchantes » les déclarations du second sur la « mort cérébrale » de l’OTAN dans The Economist, la manière dont chacun a assumé publiquement ses différends, ont au moins abouti à un résultat : cette fois, les problèmes sont sur la table, crus et évidents. Ce sont les grandes questions du monde de l’après-guerre froide, qui n’en finit pas de se fracturer.

En voici une liste, non exhaustive.

Le retrait américain du leadership occidental.

Donald Trump a commencé à semer le trouble dans son propre camp dès son arrivée au pouvoir, en émettant le premier des doutes sur la validité de l’article 5 du traité de l’OTAN – il pose le principe de la défense collective d’un allié attaqué.

C’est lui aussi qui a annoncé, sur Twitter, le retrait des troupes américaines de Syrie, plantant là ses alliés français et britanniques. S’il est réélu en 2020, l’OTAN lui survivra-t-elle ? L’Alliance est-elle capable de redéfinir sa mission stratégique ?

La Turquie, puissance régionale, membre important de l’OTAN, a noué une relation militaire et diplomatique étroite avec la Russie sur la Syrie.

Ankara a acheté à Moscou un système de défense aérienne incompatible avec les équipements de l’OTAN. En Syrie, la Turquie est intervenue contre les intérêts de ses alliés de l’Alliance. « Nous n’avons pas la même définition du terrorisme », a accusé M. Macron, alors que Recep Tayyip Erdogan bloque un plan de l’OTAN pour la défense polono-balte si les alliés n’adoptent pas « sa » définition du terrorisme, anti-kurde. Jusqu’où le président turc peut-il jouer sur les deux tableaux ?

Que veut Vladimir Poutine ?

Mardi, le Kremlin s’est dit prêt à coopérer avec l’OTAN. Mais depuis 2014, la Russie a repris le chemin de l’interventionnisme militaire, avec la double agression de l’Ukraine puis l’envoi de troupes en Syrie. Elle est active en Afrique, en Libye.

Quant au régime de contrôle russo-américain des armements nucléaires de la guerre froide, il est dépassé. « Il y a un vide sécuritaire à combler », plaide l’Elysée, qui prône un dialogue « sans naïveté » avec Moscou. A quel prix ?

Jusqu’où ira Emmanuel Macron ?

Pour alerter ses partenaires sur l’insécurité du monde actuel, le président français provoque et force le trait. Il veut mobiliser l’Europe pour compenser l’imprévisibilité américaine.

Mais la plupart des dirigeants du Vieux Continent – en particulier les Allemands et ceux dont le pays est frontalier de la Russie – refusent de faire leur deuil des Américains, relèvent que l’OTAN a renforcé son dispositif chez eux, continuent de croire dans un après-Trump réparateur et se méfient des motivations françaises.

En s’abstenant d’associer Berlin à son initiative de rapprochement avec Moscou, M. Macron a alimenté les fantasmes dans une partie de l’Europe centrale : le ministre polonais des affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, a soupçonné publiquement la France, le 25 novembre à Berlin, d’être « le cheval de Troie de la Russie ». L’Europe doit « prendre son destin en mains », avait dit la chancelière Angela Merkel fin 2016 : mais comment faire ?

La Chine, désormais deuxième budget militaire mondial, doit-elle être considérée comme une menace ?

Pour Jens Stoltenberg, l’ascension de la puissance chinoise a « renversé l’équilibre mondial du pouvoir » ; elle offre aux dirigeants occidentaux « des opportunités, mais aussi de sérieux défis ». En fait, l’OTAN est née la même année que la République populaire de Chine : 1949. Un autre siècle. Un autre monde.

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