Attentat de Conflans : le terroriste était en contact avec au moins deux présumés djihadistes en Syrie
Par Elise Vincent, Nicolas Chapuis - Le Monde
L’exploitation du téléphone d’Abdouallakh Anzorov a révélé des échanges avec deux interlocuteurs localisés près d’Idlib, dont un russophone. Leurs comptes sont en cours d’analyse et leur rôle éventuel dans le projet d’assassinat de Samuel Paty reste à préciser.
L’enquête sur la décapitation de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie d’un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) assassiné le 16 octobre, après avoir montré lors de ses cours des caricatures de Mahomet, progresse. Principale nouveauté ces dernières heures : l’identification de contacts entre l’assaillant abattu par les forces de l’ordre, Abdouallakh Anzorov, et la zone irako-syrienne. Ces messages découverts après l’exploitation de son téléphone révèlent désormais, selon nos informations, des échanges avec non plus un, comme révélé par Le Parisien mercredi 21 octobre, mais au moins deux présumés djihadistes se trouvant dans la région d’Idlib, dans l’est de la Syrie.
Cette région est aujourd’hui l’un des derniers bastions importants des djihadistes de tous horizons, qu’ils appartiennent aux rangs d’Al-Qaïda sous l’émanation locale de l’organisation baptisée Hayat Tahrir Al-Cham, ou aux reliquats de l’organisation Etat islamique.
Leur identité n’est pas encore connue à ce stade ; l’un d’eux est russophone. Leurs comptes sont en train d’être analysés. Il n’est toutefois pas certain, à ce stade, qu’ils aient piloté le Tchétchène de 18 ans dans son projet d’assassiner Samuel Paty.
Message posté sur Instagram en langue russe
Comme en témoigne le compte Twitter d’Abdouallakh Anzorov, dont Le Monde a pu analyser l’intégralité du contenu, le jeune homme était très radicalisé depuis six mois à un an. Il envisageait même de tenter la hijra, l’émigration en pays musulman. Qu’il ait eu dans ce cadre des échanges avec des djihadistes sur zone, qui plus est à Idlib, un endroit où ces derniers bénéficient aujourd’hui d’une certaine liberté de mouvements, n’est pas surprenant.
Par ailleurs, a pu recouper Le Monde, l’exploitation du téléphone de l’assaillant a permis d’exhumer un message audio posté notamment sur Instagram, en langue russe, dans lequel on l’entend, essoufflé, justifier son geste après la décapitation de Samuel Paty. Dans ce message versé à la procédure, il déclare notamment avoir « vengé le prophète ». « Frères, priez pour qu’Allah m’accepte en martyr », ajoute-t-il aussi selon l’AFP, qui a révélé l’information.
Alors que la justice a procédé aux mises en examen de sept personnes dans ce dossier, dont six pour « complicité d’assassinat terroriste », leurs avocats ont commencé à contester, pour certains, les chefs de mises en examen qui leur ont été signifiés ou leur placement en détention provisoire. Le cas de Brahim C., le père de l’élève de 13 ans qui avait pour enseignant Samuel Paty et dont les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont contribué au drame, selon l’enquête, devrait notamment être débattu vendredi 23 octobre.
Contacts avec Brahim C. en amont de l’attentat
Le profil de Brahim C. est particulier à plus d’un titre. Cet homme d’origine algérienne, âgé de 48 ans, évolue depuis longtemps dans les cercles musulmans très pratiquants, voire salafistes. Il est notamment très engagé dans une association, Aide-moi, qui organise des pèlerinages à la Mecque pour les personnes handicapées.
L’exploitation de son téléphone a démontré qu’il avait eu un certain nombre de contacts avec Abdouallakh Anzorov en amont de l’attentat. Mais quelle en a été la teneur ? Il manque encore des éléments aux enquêteurs pour avoir une vision globale de leurs échanges. En garde à vue, il a en tout cas nié avoir eu connaissance du projet mortifère de l’assaillant.
Selon nos informations, en 2014, c’est d’ailleurs lui qui était venu dénoncer aux autorités sa demi-sœur handicapée partie dans la zone irakienne. Il s’était manifesté en appelant le centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, le numéro vert mis en place à l’époque par le gouvernement, pour aider les familles dans cette situation. Aujourd’hui, cette dernière est toujours en vie et se trouve dans le camp d’Al-Hol, en Syrie.
Concernant les deux mineurs âgés de 14 et 15 ans mis en examen dans le dossier pour avoir désigné contre de l’argent Samuel Paty, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a expliqué, jeudi matin, devant le Sénat où il était auditionné, que le rapport commandé auprès de l’inspection générale de l’éducation nationale pour établir l’enchaînement des faits au collège de Conflans-Sainte-Honorine devrait lui être remis « en début de semaine prochaine ».
Cette intervention était précédée d’une rencontre dans la matinée avec les syndicats d’enseignants pour évoquer la rentrée du 2 novembre, après les vacances de la Toussaint. Interrogé sur le contenu de cette journée, M. Blanquer a d’ores et déjà demandé à « tous les élus de la République, les conseillers municipaux, les maires, les sénateurs, d’être présents auprès des professeurs le jour de cette rentrée ».