Sur et sous les océans, dans les airs... L'armée russe multiplie les provocations, notamment au large de la Bretagne. Il y a douze jours, deux bombardiers stratégiques russes y ont à nouveau été interceptés. Du jamais vu depuis... la fin de la Guerre froide.
L'incident.
Révélé sur le site du ministère de la Défense français, le 23 septembre, l'incident s'est produit jeudi 22 septembre et a duré plusieurs heures, de 9 h jusqu'en milieu d'après-midi, de la Norvège jusqu'en Espagne (voir infographie). Un incident similaire s'était produit en février dernier (lire ci-contre), toujours au large de la Bretagne, mais par la Manche. Selon nos sources, le comportement des avions russes - des bombardiers stratégiques -, qui ont ostensiblement mis le cap sur la Bretagne et ont flirté avec la limite de notre espace aérien, des côtes bretonnes jusqu'au pays basque, relevait clairement de la provocation. Quels avions ? Il s'agit de deux bombardiers lourds Tu160 Blackjack (dénomination Otan ; « Cygne blanc » en russe). Conçu à la fin des années 1970, cet avion a été construit pour des frappes longue distance et pour transporter l'arme nucléaire. Il peut accueillir dans ses soutes de 12 à 24 missiles de croisière. Cet impressionnant bombardier, dont la Russie relance la production, n'a connu son baptême du feu qu'en novembre 2015, en Syrie. Lors de l'incident de septembre, la Norvège, le Royaume Uni, la France et l'Espagne ont mobilisé dix avions.
La guerre froide : le retour ?
Au travers de ces incidents apparus après l'annexion de la Crimée (Ukraine) en 2014, la Russie adresse un triple message. À l'Occident et à l'opinion publique russe : notre armée est de nouveau sur pied et est capable de frapper n'importe où et à tout moment. Nous ne plions pas face à l'Occident. Le rapport de forces a changé et il faut compter sur nous. La Russie a, depuis 2008, entrepris de gros efforts en ce sens (plus de 20 % du budget total 2015 consacré à la Défense). N'oublions pas que, pour Vladimir Poutine, la dissolution du Pacte de Varsovie et l'éclatement de l'Union soviétique reste « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». C'est enfin un signal adressé aux pays de l'Est qui comptent sur l'aide occidentale : c'est avec nous que vous devez rester. Ces incidents permettent aussi à l'armée russe de tester nos défenses et nos temps de réaction. L'Otan (dont la France) procède exactement de la même manière. Pas sans risques. Ces incidents restent peu agressifs, mais des intrusions dans des espaces aériens nationaux ont cependant été signalées en Suède, Finlande et dans les pays baltes (avions russes « invisibles » n'ayant pas communiqué leur plan de vol et ayant désactivé leur transpondeur ; incidents avec des avions de ligne civils...).
Les risques de dérapage existent, comme l'a démontré la destruction d'un avion russe par deux chasseurs turcs, à la frontière turco-syrienne, le 24 novembre dernier. Ouest : Tours, Evreux, parfois Lorient. La gestion de tels incidents aériens, en France, fait partie de la posture permanente de sûreté aérienne, mission interministérielle confiée à l'armée de l'Air. Quatre bases aériennes (sur la vingtaine de bases aériennes de l'armée de l'Air, et quatre de la Marine) assurent, chaque semaine, cette permanence opérationnelle. Ces bases sont capables de projeter en quelques minutes, à toute heure et en tout point du territoire, jusqu'à huit avions et cinq hélicoptères. Cette mission mobilise 414 militaires. Pour l'ouest de la France, les bases assurant la permanence opérationnelle sont souvent Tours, Lann-Bihoué (Lorient où stationnent alors, spécialement, des avions de l'armée de l'Air) ou Evreux. Les bases aéronavales de Landivisiau et Lanvéoc n'assurent pas de permanences opérationnelles, qui restent des missions « très contraignantes » (avion armé, hangars et zones dédiés, équipages en combinaison, relèves...).
L'Ile Longue.
Quid de la sécurité aérienne du coeur de la dissuasion nucléaire française : l'Ile Longue, face à Brest ? « Il n'y a pas de défense aérienne de l'Ile Longue, mais une défense aérienne du territoire, de la Bretagne, dont l'Ile Longue. Et elle est assurée par l'armée de l'Air », répond très sobrement le ministère de la Défense. Alerte et interception : comment ça marche ? 90 radars civils et militaires scrutent l'espace aérien français et ses abords, empruntés chaque jour par près de 11.000 aéronefs. Les trois centres de détection et de contrôle de l'armée de l'Air et le Centre national des opérations aériennes de Lyon sont capables de gérer 1.400 avions en simultané et de détecter tout écart de route ou de comportement (aéronefs en détresse, pannes, survols interdits, menaces, pertes de contact...)., et de déclencher l'alerte. Officiellement, aucune alerte n'a été déclenchée, en 2015, pour des avions russes évoluant à proximité de notre espace aérien. En cas d'alerte, les avions intercepteurs se mettent au niveau de l'avion repéré, tentent d'entrer en contact avec lui (de manière visuelle et/ou par radio) et/ou se placent à ses côtés pour lui « indiquer » la route. Seul le Premier ministre peut donner l'ordre d'un tir de semonce ou de destruction. Source : Le Télégramme