Affaire Balkany
Un gestionnaire de fortune est venu expliquer à la barre comment il a appris que le maire de Levallois serait bien le propriétaire du fameux riad de Marrakech. https://t.co/2V4cFPcduW
— L'Obs (@lobs) 5 juin 2019
Marc Angst, le témoin venu de Suisse qui accable Patrick Balkany
Par Henri Seckel
Ce financier impliqué dans l’achat de la villa de Marrakech affirme avoir entendu Jean-Pierre Aubry, bras droit du maire de Levallois, affirmer qu’il lui servait de prête-nom.
Il aura été l’unique témoin invité à s’exprimer en six semaines d’audience devant le tribunal correctionnel de Paris, et on a vite compris pourquoi le parquet n’en avait pas fait citer d’autres : Marc Angst suffit à son bonheur.
Il a fallu un quart d’heure à ce financier suisse, mercredi 5 juin, pour démolir la défense de Patrick Balkany, poursuivi pour corruption, et de ses co-prévenus, Jean-Pierre Aubry et Arnaud Claude, poursuivis pour complicité de corruption, et rendre intenable la position du trio au sujet de la villa Dar Gyucy de Marrakech (Maroc).
Patrick Balkany a toujours nié être le propriétaire de cette luxueuse demeure, dont l’enquête a prouvé qu’il était le principal occupant. Le maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) affirme qu’elle appartenait à Mohamed Al-Jaber, promoteur immobilier saoudien un temps engagé dans un projet pharaonique sur sa commune – les « Tours de Levallois », qui ne verront finalement pas le jour.
Mais selon l’accusation, cette villa à l’abri du fisc français appartenait bien à Patrick Balkany, qui en aurait fait l’acquisition en 2010 grâce à un montage offshore complexe réalisé depuis la Suisse par la société fiduciaire Gestrust. Montage dans lequel Jean-Pierre Aubry et l’avocat Arnaud Claude, deux fidèles du maire de Levallois, auraient servi, le premier, de prête-nom, le second, de chef d’orchestre.
Actions au porteur, donc anonymes
Marc Angst est le directeur de Gestrust. Le montage offshore complexe, c’est son œuvre. Mercredi, ce svelte quinquagénaire en costume pénètre dans la salle d’audience où règne un silence impatient, suspend son parapluie à la barre, et raconte avec précision comment, un jour de février 2009, MM. Aubry et Claude ont débarqué dans son bureau à Genève.
« Ils m’ont présenté un immense projet immobilier de 950 millions d’euros, à Paris. Aubry disait qu’il allait présenter ce projet à un riche Saoudien et toucher une commission de 5 millions d’euros. Donc ils nous ont demandé de créer une société offshore de droit panaméen », ce qui permet d’avoir des actions au porteur, donc anonymes.
La société Himola est créée et reçoit, quatre mois plus tard, 5 millions d’euros sur un compte à Singapour – en provenance non pas de Mohamed Al Jaber, mais d’un homme d’affaires belge, basé au Congo, en lien avec Patrick Balkany. Six autres mois plus tard, la villa de Marrakech est acquise avec l’argent d’Himola, par le biais d’une autre structure panaméenne, Hayridge, créée par Gestrust.
« M. Aubry ne comprenait pas grand-chose, c’est Me Claude qui structurait tout ça. » L’avocat, qui deux jours plus tôt s’attribuait un rôle minime dans l’affaire, passe un très mauvais moment. Encouragé par le président du tribunal ou le procureur, Marc Angst insiste : « On traitait exclusivement avec Me Claude », « toutes les instructions venaient de Me Claude », « chaque année, Me Claude venait à Genève payer les frais en cash, environ 15 000 euros ».
Bruissement d’inquiétude
Grain de sable en décembre 2013 : Mediapart révèle que la villa de Marrakech appartiendrait en fait aux Balkany. « Je n’avais jamais entendu parler d’eux, parce que je suis la politique étrangère au niveau national, pas au niveau départemental, explique Marc Angst. On a découvert que MM. Aubry et Balkany étaient des amis proches. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Est-ce qu’on ne m’aurait pas trompé sur l’identité du client ? »
Le financier « soupçonne un blanchiment d’argent » et dénonce les transactions aux autorités suisses. Puis se renseigne auprès de Me Claude, qui « jure sur la tête de son fils » que la villa appartient bien à Jean-Pierre Aubry.
Marc Angst décide néanmoins de démissionner de la structure, et va l’annoncer quelques jours plus tard à Me Claude, dans son cabinet, à Paris. « A ce moment-là, raconte-t-il, Jean-Pierre Aubry entre dans la pièce, et dit : “Je présume que Marc sait tout, n’est-ce pas ?” M. Claude répond : “Je pense que oui.” Aubry me dit : “Marc, vous savez que je porte pour mon ami Balkany ?” J’ai dit non. Aubry m’a dit : “Je sais que j’ai fait une erreur. Mais c’est un ami, je lui dois énormément. Même si je vais en prison, je le défendrai jusqu’au bout.” »
En 2015, Marc Angst et Jean-Pierre Aubry se sont retrouvés ensemble dans le bureau du juge d’instruction. « M. Aubry a dit : “J’ai pas souvenir d’avoir dit ça. Il a peut-être mal compris parce qu’il est Suisse allemand”, raconte M. Angst, qui parle très bien français.
– Et vous, demande le président, vous certifiez aujourd’hui, sous serment, que Jean-Pierre Aubry vous a bien dit, le 12 février 2014 : “Marc, vous savez que je porte pour mon ami Balkany ?”.
– Tout à fait. »
Au premier rang, les prévenus se retournent frénétiquement pour se concerter avec leurs avocats dans un bruissement d’inquiétude. Patrick Balkany, si prompt depuis le début du procès à prendre la parole, se fait discret.
Un témoin serein et imperturbable
La défense se débat en vain. L’avocat de Patrick Balkany, Me Eric Dupond-Moretti, tente de déstabiliser le témoin en l’accusant de « subornation de témoin » pour avoir briefé ses collaborateurs avant leurs interrogatoires, ou en suggérant qu’il se serait arrangé avec le juge d’instruction pour charger Patrick Balkany et sauver sa peau.
Rien à faire : plus l’avocat s’époumone, plus le témoin semble serein, coude droit sur le pupitre, main gauche dans la poche. L’agressivité de l’un se fracasse sur le lent débit à l’accent suisse allemand de l’autre. Marc Angst est imperturbable, contrairement aux avocats de la défense, qui cherchent la faille sans jamais la trouver, et finissent systématiquement par se prendre le bec entre eux, sous l’œil circonspect du témoin.
L’audience touche à sa fin. Le président souhaite encore lire le procès-verbal de la confrontation de 2015 entre MM. Angst, Claude et Aubry. Il est question d’instructions envoyées par fax à Gestrust par Me Claude, indiquant les virements à effectuer depuis le compte d’Himola (pour l’achat de meubles pour la maison de Marrakech, par exemple) et les numéros de compte des bénéficiaires, fournis par Jean-Pierre Aubry.
« Question du juge d’instruction à M. Aubry : qui vous remettait ces numéros ?
– Je ne suis pas propriétaire de cette maison et je n’ai pas pris un sou. C’est ma réponse.
– Monsieur ou Madame Balkany vous ont-ils remis ces références bancaires ?
– Je ne suis pas propriétaire de cette maison et je n’ai pas pris un euro. C’est ma réponse.
– Pouvez-vous seulement répondre par la négative, c’est-à-dire : non, ce n’est pas Monsieur ou Madame Balkany ?
– Je ne suis pas propriétaire de cette maison et je n’ai pas pris un sou. »
La salle glousse. L’audience est suspendue. Les prévenus quittent la salle en silence.