Par Raphaëlle Bacqué
Les visages de Karl Lagerfeld (5/6). Dans le milieu, l’apparition du sida a sonné la fin d’une époque. Adieu les années d’insouciance, bonjour les années fric. Contrairement à d’autres, Lagerfeld s’adapte.
La plupart de ses collaborateurs sont au courant, mais Karl Lagerfeld n’en parle à personne. Vers la fin des années 1980, tous ont vu Jacques de Bascher s’étioler peu à peu. Dix fois, le compagnon du couturier est arrivé ivre avenue des Champs-Elysées, où la maison « KL » a son studio, pour réclamer de l’argent.
Depuis quelques mois, il est clairement malade. Lors d’un défilé, un ami le croise et l’aide à enfiler son manteau. « Ma main a glissé et j’ai senti le tranchant de son omoplate. Il était d’une maigreur effrayante. » A Monaco, où Jacques de Bascher passe une partie de l’hiver, la famille princière – Caroline, Stéphanie, Albert – le retrouve, un soir de Noël, en compagnie de Karl Lagerfeld pour la messe de minuit. « Jacques était venu avec l’Enfant Jésus de sa crèche pour le faire bénir », se rappelle Caroline de Monaco.
Depuis l’apparition du sida, le monde de la mode et de la nuit – c’est souvent le même – compte ses morts. Liberté sexuelle, drogue, homosexualité se portaient en étendard dix ans plus tôt, et voilà que celles et ceux qui arpentaient les podiums et dansaient au Palace quittent la scène prématurément. Gia Carangi, une beauté qui faisait les couvertures de Vogue, est morte à 26 ans, dès 1986, contaminée en s’injectant de l’héroïne entre deux défilés.
Le métier change
Le génial illustrateur Antonio Lopez, compagnon de tant de soirées et de vacances joyeuses à Saint-Tropez avec Karl Lagerfeld, a disparu l’année suivante, à 44 ans. L’ex-amant de Lopez, Juan Ramos, lui aussi un ancien du clan Lagerfeld, est séropositif. Comme Dennis Thim, le correspondant à Paris du Women’s Wear Daily, la bible de la mode, et Xavier de Castella, le compagnon de Kenzo. Et Jacques de Bascher, donc.
Le dandy, qui incarnait tant la liberté des années 1970, meurt le 3 septembre 1989, à 38 ans. Lagerfeld et son amie Diane de Beauvau-Craon, cette aristo déjantée qui se défonçait autrefois avec Jacques, l’ont veillé jusqu’au bout. Il sera incinéré, comme il l’avait demandé, avec son ours en peluche. L’ancien amant, Yves Saint Laurent, désormais fâché avec Karl Lagerfeld, n’a envoyé aucun message.
Pour la mode, c’est la fin d’une époque. L’insouciance s’est enfuie, ne laissant que des paillettes sur les podiums des défilés. Ce ne sont pas seulement les esprits qui sont moins légers, c’est le métier même qui change. L’argent s’est insinué partout. Il faut vendre. Dix ans auparavant, on donnait une soirée pour le plaisir de danser, de rire, de se droguer, de coucher avec les invités. Maintenant, les fêtes servent à lancer des parfums.
« Nymphomane du travail »
Dès la fin 1983, Karl Lagerfeld a signé, avec le fabricant américain Bidermann Industries, un contrat afin de créer une ligne de prêt-à-porter et une autre de sportswear sous son nom. Bidermann veut en faire « le Ralph Lauren français ». Désormais, le couturier dessine chaque année huit collections : deux de haute couture et deux de prêt-à-porter pour Chanel, deux collections de prêt-à-porter pour Fendi, et enfin deux collections en son nom.
Ce travail harassant l’oblige à des voyages incessants. Il dessine ses modèles, déjeune avec des journalistes, supervise les essayages. Est-ce lui qui s’inflige seul cette pression permanente ou est-ce sa peur de disparaître dans la mutation annoncée ? « Au milieu des années 1990, les grands groupes financiers ont racheté les maisons de couture indépendantes, la mode s’est industrialisée et les mots en “é”, comme créativité ou féminité, ont été remplacés par des mots en “ing”, comme marketing », résume Jean-Jacques Picart, légendaire attaché de presse devenu conseiller pour quelques grands patrons de la mode. Plus que jamais, les couturiers doivent rendre des comptes à leurs actionnaires.
« Avant, tu invitais Saint Laurent, Lagerfeld et Givenchy à dîner, et ta soirée était réussie. Maintenant, il faut convier Arnault et Pinault »
Ira de Furstenberg, princesse mondaine
Mieux qu’un autre, Karl Lagerfeld l’a senti. C’est l’une de ses qualités d’être doté d’un remarquable instinct de préservation. Jacques de Bascher avait un goût assumé pour la destruction flamboyante, lui pour la survie dans la tempête. Huit fois par an, le propriétaire de Chanel, Alain Wertheimer, réunit à New York, où il vit, ou à Paris, les cinq patrons de région de son groupe et ses chefs de métier : mode, parfumerie, beauté.
Il suffit de regarder les chiffres d’affaires et les bénéfices pour comprendre. La haute couture est un monde englouti, qui n’a plus rien à voir avec ce que Lagerfeld a connu à ses débuts, en 1954. Trop élitiste et, surtout, tellement déficitaire… Mais c’est la vitrine idéale pour vendre des sacs, des chaussures, des rouges à lèvres et des parfums. Avec un sac, plus de problèmes de taille 34 ou 50 pour les clientes, et la rentabilité est excellente.
« Lorsque j’entre dans une boutique, je cherche les vêtements… Aujourd’hui, ils sont au premier étage et les accessoires sont en bas », regrette en privé Hubert de Givenchy, qui décide, en 1995, de prendre sa retraite. Karl Lagerfeld, lui, ne pleure jamais les mondes disparus et assume parfaitement de faire de ses collections un outil de communication. « La mode, c’est regarder devant », a coutume de dire la patronne de Vogue, Anna Wintour. Le couturier en a fait une philosophie : « Le changement, est la façon la plus saine de survivre. »
A la fin de l’été 1992, Lagerfeld est sollicité pour reprendre en main Chloé, qu’il avait quitté fin 1982 pour Chanel. En perte de vitesse, la griffe de prêt-à-porter veut renouer avec la période faste des années 1970, lorsque le couturier produisait ces robes légères et vaporeuses qui avaient contribué à bâtir sa renommée. Après des semaines de négociations secrètes, il est nommé directeur artistique de la marque. Le groupe Vendôme, propriétaire de Chloé, lui propose un contrat en or de quatre ans et rachète Karl Lagerfeld SA pour quelques dizaines de millions d’euros.
Chanel, Fendi, KL, Chloé : désormais, il dessine, crée et oriente la communication de quatre maisons, entouré d’une armada de financiers et d’avocats. Jamais il ne paraît rassasié. « Rien ne me fait plaisir, je suis frigide. Je suis comme un nymphomane du travail », confie-t-il alors dans les journaux.
Capitaines d’industrie
C’est aussi une manière de durer. Car le monde autour de lui subit un lifting radical. En 1993, l’homme d’affaires Pierre Bergé, qui se targuait d’avoir construit avec Yves Saint Laurent son propre groupe, vend à Sanofi. Le duo Bergé-Saint Laurent garde le contrôle de la maison de couture, mais il a cédé – à prix d’or – les secteurs lucratifs du parfum et des cosmétiques.
La même année, Bernard Arnault, déjà à la tête de Dior et de Louis Vuitton au sein du groupe LVMH, rachète Berluti et Kenzo. Puis, l’année suivante, les parfums Guerlain. En 1996 et 1997, ce sont, tour à tour, Loewe, Marc Jacobs et Sephora qui tombent dans son escarcelle. En 1999, Arnault rachète également le chemisier britannique Thomas Pink, les cosmétiques Make Up For Ever et l’Italien Emilio Pucci, le « Prince des imprimés », puis Fendi en 2000, la maison de la styliste américaine Donna Karan, DKNY, et la Samaritaine en 2001.
« Je ne suis actionnaire de rien, mais je prends un pourcentage sur tout »
Karl Lagerfeld
Dès 1995, l’industriel François Pinault se lance dans l’industrie du luxe. Avec son groupe PPR (Pinault Printemps Redoute), il acquiert peu à peu les marques Gucci, Yves Saint Laurent, Boucheron, Bottega Veneta, Alexander McQueen. Les journaux économiques ont maintenant des experts « industrie du luxe » pour mieux suivre ce tourbillon étourdissant.
Au-delà de la mutation industrielle, c’est un changement intellectuel et affectif, une transformation des mœurs. « Avant, tu invitais Saint Laurent, Lagerfeld et Givenchy à dîner, et ta soirée était réussie. Puis ce fut Claudia Schiffer, Inès de la Fressange et Cindy Crawford. Maintenant, il faut convier Arnault et Pinault », confie la mondaine Ira de Furstenberg à ses amis.
Lagerfeld a atteint la soixantaine en 1993, mais, aux yeux de ces nouveaux tycoons de la mode, il est une sorte de modèle préfigurant l’avenir, un athlète complet. Il dessine, crée, communique et, depuis 1987, réalise lui-même les photos de ses modèles pour les press-books et les publicités. Le tout en s’adaptant aux styles des différentes maisons auxquelles il collabore. « Je ne suis actionnaire de rien, mais je prends un pourcentage sur tout », dit-il franchement.
« Directeur artistique », c’est le métier qu’il incarne, prototype du créateur moderne qui s’investit dans tous les domaines et invente l’identité d’une marque. « Il a rendu le pire service à la mode en lui faisant croire qu’un designer peut travailler pour deux ou trois marques », soupirent ses confrères.
Saint Laurent jette l’éponge
Son rival Yves Saint Laurent, pourtant plus jeune de trois années, semble ne plus s’aimer dans ce monde nouveau. « Je n’ai plus de sexualité, maintenant. Et c’est dommage pour la créativité. Pas d’alcool, pas de sexe, c’est très, très difficile de créer », confie-t-il sans fard au New York Times, en décembre 2000.
Jusqu’ici, il a résisté à tout. Ses smokings et ses sahariennes sont inscrits au panthéon de la mode. Mais, peste Pierre Bergé, « les nouveaux financiers veulent faire de l’argent tout de suite. (…) Une chose leur manque : l’âme. » Deux ans plus tard, Yves Saint Laurent fait ses adieux à la mode. A la tête de la couture YSL, place à Tom Ford, venu de chez Gucci, où il s’est constitué une petite fortune personnelle. Le soir même du défilé, ce ne sont plus seulement les critiques des rédactrices de mode qui importent. Les analystes financiers de JPMorgan publient eux aussi leur jugement. A leurs yeux, cette collection est « smart », « hyper modern » et même « safe », « elle devrait bien se vendre ».
« Christian Lacroix créait des robes de rêve, mais seulement pour les musées. Karl Lagerfeld, lui, produit un chiffre d’affaires mondial »
Bernard Arnault, patron de LVMH
Karl Lagerfeld, lui, refuse de dételer. L’ancien monde s’est effondré, il contribuera à le reconstruire. Les nouveaux maîtres de la mode, en manageurs aguerris, ont vite fait de jauger les caractères. Lorsque Bernard Arnault rachète Fendi, il rencontre d’abord le couturier allemand. « J’ai tout de suite compris qu’il était la clé de la réussite future », assure-t-il.
Dans un salon tapissé d’œuvres d’art, au siège de Dior, avenue Montaigne, le patron de LVMH se souvient de ses interrogations, à l’époque. Les sœurs Fendi ne s’entendaient pas et se déchiraient sur la nécessité de vendre l’entreprise familiale. « Karl était le seul à parvenir à les rassembler, raconte-t-il. Il a plaidé la cause de LVMH, et, ensuite, sa seule présence a permis de stabiliser la maison. Je connais peu d’hommes qui associent, comme lui, le créateur génial et l’organisateur efficace. »
Lagerfeld devient une sorte de conseiller de l’ombre de Bernard Arnault. A ce niveau de pouvoir, entremêler relations professionnelles et amicales est une règle de survie. Avec sa culture et son humour, Lagerfeld impressionne le grand patron. Arnault est richissime. Personne, en France, ne peut l’égaler. Mais Lagerfeld offre des attentions particulières. La musique est la passion du capitaine de LVMH ? « Karl » le convie dans son hôtel particulier de la rue de l’Université, cette splendeur parisienne du XVIIIe siècle, tout en dorures et velours de soie. Dans un salon, il a fait installer deux pianos à queue, tête-bêche, afin qu’Arnault puisse venir y jouer avec son épouse, concertiste.
Lors du mariage, en 2005, de Delphine Arnault, la fille du magnat du luxe, avec un héritier italien, la noce a lieu au château d’Yquem, dans le Bordelais, propriété de LVMH. Une brochette de ministres, dont Nicolas Sarkozy, à l’intérieur, et Thierry Breton, à l’économie, se pressent dans l’église, suivis de la plupart des patrons du CAC 40 et du chanteur britannique Elton John. Comment se distinguer ? A l’entrée du château, Lagerfeld a installé un studio photo où les convives sont invités à passer devant son objectif : ce sera son cadeau…
Amicalement vôtre
Astuce supplémentaire : il est l’un des rares à maintenir la même cordialité avec François Pinault, l’éternel rival du président de LVMH. « Il m’est arrivé de lui demander son avis sur tel ou tel de ses confrères », reconnaît aujourd’hui le patron de Kering (ex-PPR). Karl Lagerfeld organise également chez lui des dîners somptueux, avec l’aide de Françoise Dumas, la grande prêtresse de l’événementiel. « Sous le signe des poissons », c’est le thème choisi pour une petite soirée annuelle. Non pas qu’il croie en l’astrologie, mais le prétexte permet d’inviter notamment le milliardaire belge Albert Frère et Betty Lagardère, tous deux nés sous les mêmes astres. Bien sûr, cette dernière vient avec son mari, Jean-Luc Lagardère, patron, entre autres, de Paris Match et d’Elle.
Il dessine les cartons d’invitation du bal de la Rose qui réunit, chaque année à Monaco, le gotha international. Pour les anniversaires, tous ces « amis » recevront des bouquets de fleurs accompagnés d’un petit portrait croqué par le maître et d’un mot manuscrit.
Tout cela est d’une grande habileté. Plusieurs figures de la mode comprennent moins vite à quel point le monde a changé. Des maisons indépendantes font faillite. Dès 1995, la créatrice de lingerie Chantal Thomass est licenciée par son principal actionnaire japonais et perd le droit d’utiliser commercialement son nom. « Mon mécène », c’est ainsi que Christian Lacroix appelle Bernard Arnault… Naïveté. Au bout de quelques années de déficit, le patron de LVMH lâche l’affaire en 2005 : « Il créait des robes de rêve, mais seulement pour les musées, dit-il aujourd’hui. Karl Lagerfeld, lui, produit un chiffre d’affaires mondial. »
Cela a fait de lui un monstre de travail. A New York, où le couturier se rend pour la Fashion Week, il descend dans une suite de l’hôtel Pierre, un palace situé face à Central Park. Puis saute le lendemain du défilé Chanel dans un avion pour Rome où il dessinera, une semaine durant, la collection Fendi. Le week-end, il photographie ses modèles dans ses maisons ou rue de Lille, à Paris, dans le studio qu’il a fait aménager devant sa gigantesque bibliothèque, remplie de livres d’art et de littérature.
Train de vie fastueux
A Paris, toute la semaine, ses équipes courent après lui. Ceux de KL téléphonent à ceux de Chloé, qui appellent chez Chanel : « Où est-il ? » Les ateliers de couture l’attendent pendant des heures. « J’avais un classeur de chansons, et nous chantions pour patienter, se souvient Anita Briey, alors première d’atelier chez KL. Toutes les ouvrières étaient furieuses. Et puis, il arrivait vers 22 heures et… elles étaient toutes ravies. »
On le respecte pour sa connaissance du métier, on admire sa culture et son esprit. On recherche sa générosité. Karl Lagerfeld a conservé cette manière de ligoter les autres par ses cadeaux somptueux. Il glisse à un jeune apprenti une enveloppe de billets pour se loger, propose l’une de ses nombreuses maisons à une collaboratrice pour ses vacances, apporte aux ateliers des plateaux de fromage, des pâtisseries et des bonbons. Il dévore, lui aussi. C’est sa façon de noyer son stress sous des litres de Coca-Cola et des montagnes de saucisses de Francfort, celles qui ont encore le goût de son enfance.
Que cherche le couturier dans cette frénésie de contrats, ces voyages, ces dîners avec les grands capitaines d’industrie ? « La consolation », veut croire Diane de Beauvau-Craon. « Le pouvoir et l’argent, bien sûr », assure l’un de ses anciens collaborateurs. Depuis le début des années 1990, l’or ruisselle sur la mode. L’industrie du luxe est devenue le secteur d’excellence de l’économie française et l’un des pôles les plus attrayants de l’économie mondiale. Autrefois, les couturiers vivaient comme de grands bourgeois. Désormais, les stylistes les plus en vue sont multimillionnaires.
Karl Lagerfeld affiche un train de vie fastueux. Rolls, jet privé. Sait-il encore combien de maisons et d’appartements il possède ? Il achète, revend, et c’est encore une façon d’égarer les observateurs. Après le décès de Jacques de Bascher, il a cédé son château breton de Penhoët, rebaptisé « Grandchamps », près de Vannes. L’endroit était si beau que la reine mère d’Angleterre, lors d’un voyage en France, était venue y prendre le thé et visiter le parc, chargé de fleurs pour l’occasion. En l’absence de Jacques, la propriété n’a plus l’attrait d’autrefois. Un jour, il a envoyé les camions de déménagement sans même y avoir remis les pieds. « Tu vois, j’arrache les pages du livre », glisse-t-il à un ami.
Petits arrangements avec le fisc
Jacques de Bascher aimait aussi – plus que Lagerfeld lui-même – l’Allemagne et Hambourg. Aussi, Karl Lagerfeld achète-t-il, après la mort de son compagnon, une villa splendide, sur les bords de l’Elbe, dans le quartier de Blankenese, où habitaient autrefois ses parents. Un parc de 12 000 m2 et une demeure grise ponctuée de colonnes antiques. La villa « Jako », c’est ainsi qu’il l’appelle, comme le diminutif donné à Jacques dans leurs années heureuses. Les travaux durent longtemps, sans que Karl Lagerfeld veuille jamais y séjourner plus de deux jours.
Un jour, le photographe Jean-Marie Périer vient y réaliser son portrait. La neige recouvre le perron et le parc. Alors, comme pris d’une inspiration, il demande au chauffeur de venir se placer, de dos, à côté de son sujet. Comme l’ombre de Jacques au tableau.
A Rome, Karl Lagerfeld s’est également acheté un bel appartement, pour être plus près de chez Fendi, et un autre au Gramercy Park Hotel, de New York. Il a aussi revendu sa maison au Mée-sur-Seine, près de Paris, rachetée par Caroline de Monaco. Outre les deux appartements qu’il possédait dans une tour monégasque – l’un pour Jacques de Bascher et l’autre pour lui, sur le même palier –, le couturier a jeté son dévolu sur La Vigie, une villa de 600 m2 qui surplombe la Méditerranée, la Principauté et la baie de Roquebrune-Cap-Martin.
C’est de là, notamment, que lui viennent ses ennuis fiscaux. Depuis le début des années 1980, le Trésor public garde un œil sur ce contribuable qui jongle avec les contrats mirifiques sans payer les impôts correspondants. Un premier redressement fiscal l’a visé en 1985, mais, depuis, l’affaire s’éternise. Karl Lagerfeld mène grand train tout en accumulant les retards fiscaux. Or l’administration découvre que La Vigie, qu’elle croyait placée sur le territoire monégasque, est située, à quelques mètres près… en France.
En 1995, Karl Lagerfeld a déjà fait intervenir l’épouse du président de la République, Bernadette Chirac, une « amie » qu’il habille et invite fréquemment à dîner. Il a obtenu un dégrèvement record. En 1999, les choses semblent plus sérieuses. Une perquisition a lieu à son domicile parisien, rue de l’Université. L’administration estime que, de 1982 à 1998, Lagerfeld a accumulé plus d’une centaine de millions de francs d’impôts impayés. Une somme finalement réduite à 40 millions de francs par le ministre des finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, réglée en partie par la famille Wertheimer, les propriétaires de Chanel, assure la rumeur. Droite et gauche confondues, personne ne veut prendre le risque de faire partir à l’étranger le couturier le plus célèbre au monde.
Karl Lagerfeld a cependant dû liquider une partie de ses biens au cours de trois journées de vente aux enchères chez Christie’s. Les deux premières, pour le mobilier Louis XV, les faïences et les porcelaines, se déroulent à Monaco en avril 2000. La dernière, à New York, concerne sa collection de 700 tableaux. S’alléger, recommencer, survivre… En se replongeant dans ce XVIIIe siècle, une idée lui est venue : après l’éventail et le catogan, il poudrera ses cheveux. Il ne lui manque qu’une jaquette de soie pour ressembler à un empereur.