Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
8 juillet 2020

Plage

plage442

Publicité
8 juillet 2020

Décryptages - L’annulation des festivals d’été : un coup dur pour les économies locales

Par Nicole Vulser

Des chercheurs ont évalué à 2,6 milliards d’euros l’impact de l’annulation des festivals sur l’économie française.

Les 9, 10 et 13 juillet, dans le Grand Théâtre de Provence, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), sous la baguette de Sir Simon Rattle, à la tête du London Symphony Orchestra, le baryton allemand Christian Gerhaher aurait dû interpréter Wozzeck. Dans un rôle de brave soldat méprisé, il devait assassiner sa maîtresse. Il n’en a rien été. En revanche, la pandémie de Covid-19 s’est avérée plus sombre et a eu raison de la quasi-totalité des festivals en France, cet été.

Ces annulations en cascade provoquent une onde de choc violente, qui se répercute chez les artistes, les compagnies, les organisateurs de ces manifestations, mais qui affecte aussi très durement l’économie des villes et l’emploi. Avec des milliards d’euros évaporés et des dizaines de milliers d’emplois volatilisés.

Dans une étude publiée, en mai, sur la perte économique et sociale des festivals annulés – soit 4 000 manifestations toutes disciplines confondues (musique pour les deux tiers, mais aussi théâtre, danse, opéra, cinéma, littérature, arts du cirque…), entre avril et fin août –, Emmanuel Négrier, chercheur au Centre national de la recherche scientifique-Centre d’études politiques de l’Europe latine (CNRS-Cepel) de l’université de Montpellier et son confrère Aurélien Djakouane, du laboratoire Sophiapol de l’université de Nanterre, estiment, dans leur fourchette haute, à 2,6 milliards d’euros le coût de ces annulations.

Cela inclut les pertes liées à l’absence de dépenses des festivaliers (avec un panier moyen de 53 euros), la réduction des dépenses des festivals (dont le budget moyen s’élève à 740 718 euros) et les effets induits (l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, la vente des spectacles…). Piètre consolation, le ministère de la culture a annoncé, le 1er juillet, la création d’un fonds de 10 millions d’euros pour faire face au séisme auquel sont confrontés ces événements…

Plus de 359 000 personnes sont concernées

En termes d’incidence sociale, les deux chercheurs prévoient, dans l’hypothèse la plus sombre, la suppression de 111 065 emplois (hors bénévoles et personnels mis à disposition de ces manifestations), d’ici à la fin août. En comptant les bénévoles et ceux qui ont travaillé quatre mois avant la tenue espérée des festivals, plus de 359 000 personnes sont concernées.

Rien que pour les cachets payés aux artistes, 238 000 engagements se sont volatilisés. Un calcul a minima, puisque Emmanuel Négrier n’attend guère un retour de l’effervescence festivalière au 1er septembre.

Le président de la commission culture de l’Association des maires de France, Jean-Marc Vayssouze-Faure redoute lui aussi que les protocoles sanitaires, qui évolueront encore, incitent, par prudence, à l’annulation de tous les festivals jusqu’à la fin de l’année.

La suppression de ces grandes manifestations culturelles s’apparente, localement, à une catastrophe. Devant la cour d’honneur du Palais des Papes, c’est le désert, et les commerçants attendent les clients. Tout semble en suspens. Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon, désespère : « Nous allons indemniser près de 450 saisonniers et intermittents pour les cinquante créations déprogrammées. Et 70 % de ces salariés viennent de la région où la main-d’œuvre est très qualifiée, grâce à l’Institut supérieur des techniques du spectacle d’Avignon. » « Tant qu’on peut embaucher localement, on le fait », assure le directeur délégué. La majorité des prestataires, les locations de gradins, grues ou matériel de son viennent de la région.

La crainte d’un hiver difficile

Les compagnies, venues du monde entier, pâtissent, elles, d’un effet domino, avec l’annulation des spectacles : c’est leur passage dans la Cité des Papes qui déclenche des tournées en France et à l’étranger. Même si le Festival d’Avignon a maintenu ses parts de coproduction pour tous les spectacles prévus, les compagnies traverseront une période financière délicate en 2021.

Personne n’échappe à la crise. Après la Féria, les Rencontres d’Arles, le rendez-vous annuel de la photographie, ont été supprimées dans cette ville des Bouches-du-Rhône. « Le tourisme enregistre une baisse de 60 % à 70 %, se désole Stéphane Paglia, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Pays d’Arles. Quelque 40 % des hôtels sont encore fermés, et les touristes étrangers attendus la première semaine des Rencontres ne sont pas là. »

En 2019, la direction des Rencontres estimait à 35 millions d’euros les retombées économiques sur Arles et sa région. Les 3 000 saisonniers habituels n’ont pas été recrutés cet été, détaille M. Paglia, et Pôle emploi propose aujourd’hui cinq fois moins d’offres dans le Pays d’Arles qu’avant le confinement de mars.

Le président de la CCI craint un hiver difficile : « Les PME qui vivent grâce aux festivals réalisent leur marge en été – une saison inexistante, cette année. Elles devront à l’automne de nouveau payer leurs charges courantes. » M. Paglia s’attend à la fermeture d’une entreprise sur trois dans le tourisme – entre les hôtels, les restaurants, les prestataires de services et les sociétés d’événementiel.

« Les collectivités locales et l’Etat ont été admirables »

De fait, Cédric Angelone, président du nouveau Syndicat des activités événementielles, qui regroupe 307 sous-traitants importants des festivals, évalue à 159 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires de ses adhérents, entre mars et fin juin, soit une chute de 72 % par rapport à 2019.

Egalement maire PS de Cahors, Jean-Marc Vayssouze-Faure assure pourtant que « les collectivités locales montrent, très majoritairement, une réelle solidarité vis-à-vis des festivals, en versant les subventions promises, même si les spectacles n’ont pas eu lieu ». Ce qui a été rendu possible grâce à un assouplissement de la règle habituelle. Toutefois, « cela reste une perte sèche pour toutes les dépenses indirectes, les cafés, restaurants, hôtels, fournisseurs… », ajoute-t-il.

« Dès qu’on a appris l’annulation des Eurockéennes, nous avons assuré Jean-Paul Roland, le directeur de cette manifestation, du maintien de notre soutien financier pour l’aider à passer ce cap difficile », témoigne Damien Meslot, maire (Les Républicains) de Belfort.

De son côté, Paul Rondin, opposé par le passé à la mairie d’Avignon, assure, cette fois, que « les collectivités locales et l’Etat ont été admirables en maintenant 100 % de leurs subventions ». Même si certaines villes n’ont pas joué le jeu, déplore Emmanuel Négrier.

« L’absence d’un moment festif, de retrouvailles manque »

La crise est là. Partout. A Clisson (Loire-Atlantique), commune de 7 400 habitants où le festival de rock métal Hellfest ne s’est pas tenu, « le manque à gagner s’élève entre 8 millions et 9 millions d’euros », souligne le maire (divers droite) Xavier Bonnet. « Les habitants qui louaient aux festivaliers ne pourront pas partir en vacances cette année », constate l’édile.

A Arras, orpheline, cet été, des concerts du Main Square, Frédéric Leturque, le maire (divers centre) constate : « Pour le territoire, 2 millions d’euros s’évaporent et plus d’une centaine d’emplois précaires ne sont pas conclus. » La population de la ville n’a pas doublé, passant d’ordinaire de 40 000 à 80 000 pendant ces trois jours de fête.

A Carhaix-Plouguer (Finistère), où Les Vieilles Charrues s’autofinancent grâce à des cohortes de bénévoles et drainent, chaque été, 270 000 fans de musique, là encore, personne n’est au rendez-vous. Aucun coup de projecteur estival. Les habitants de cette petite commune ne louent ni chambres ni bouts de jardin. « Plus encore que l’impact économique, c’est l’absence d’un moment festif, de retrouvailles qui manque », regrette le maire (divers gauche), Christian Troadec.

Comment être attrayant sans ces rendez-vous ? A Hérouville-Saint-Clair (Calvados), le festival Beauregard fédère habituellement 110 000 amateurs de musique dans un parc de 43 hectares et génère près de 6 millions d’euros de retombées économiques locales. Le maire (MoDem), Rodolphe Thomas, regrette le millier de bénévoles et les centaines d’emplois créés en 2019 (180 intermittents embauchés au pic de la fête et 400 CDD). Il redoute qu’à l’avenir, les mécènes délaissent la manifestation.

« Nous négocions des reports de concerts en 2021 »

Organisateur de Jazz in Marciac, dans le Gers, bien avant d’être élu maire (PS) de cette petite commune, Jean-Louis Guilhaumon déclare : « Nous portons le deuil de notre festival. Tous, la petite équipe des sept salariés de Jazz in Marciac comme le millier de bénévoles qui y consacrent une partie de leurs vacances estivales. » La dernière étude du cabinet Traces TPi, faisait déjà état, en 2014, de près de 20 millions d’euros de retombées économiques sur la région. « Aujourd’hui, nous négocions des reports de concerts en 2021, avec Nile Rodgers & Chic et Lenny Kravitz », explique le maire.

Cette équation difficile a aussi bien occupé la direction du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. François Vienne, directeur général adjoint, a réussi à reporter cinq productions à 2021. « C’est un casse-tête », déclare Stéphanie Deporcq, la directrice administrative et financière. Pour les créations impossibles à reprogrammer, une grille d’indemnisation permet de rembourser à 70 % les petits cachets (les chanteurs de chœur, par exemple), mais à 10 % seulement les grandes stars. « Nous sommes les seuls au niveau international à le faire, les agents et les artistes nous sont reconnaissants », se félicite François Vienne. Le festival a aussi parié sur dix jours de concerts en ligne gratuits, du 6 au 15 juillet.

Même problématique, mais autres solutions à Montpellier Danse. « On a imprimé notre programme le 3 mars, le 13, il était obsolète », explique Jean-Paul Montanari, le directeur. « Il était hors de question de baisser les bras : 70 % de la programmation seront présentés, entre septembre et fin décembre, dans les différents théâtres partenaires de Montpellier », ajoute-t-il. Et si un nouveau confinement est annoncé ? « On reste chez soi et on pleure… », conclut-il.

7 juillet 2020

Viki Fehner

viki f47

viki f58

viki f87

viki f89

viki f90

7 juillet 2020

Kate Moss

kate moss

7 juillet 2020

Coronavirus - caddies....

cadiies

Publicité
7 juillet 2020

ARLES

arles

6 juillet 2020

Enquête - Les « anthropométries » scandaleuses d’Yves Klein

Par Roxana Azimi

En 1960, le peintre fait scandale avec une performance où il dirige les mouvements de femmes nues enduites de peinture. Le Centre Pompidou-Metz lui consacre une exposition.

Dans son appartement bruxellois, entourée de chats, Elena Palumbo-Mosca, octogénaire au doux visage cerclé de boucles blanches, raconte, sans omettre un détail, l’étonnante performance à laquelle elle a participé à l’âge de 25 ans. C’était il y a soixante ans, le 9 mars 1960, rue Saint-Honoré, à Paris, à 22 heures, à la Galerie internationale d’art contemporain.

Ce soir-là, son fondateur, le comte Maurice d’Arquian, célèbre un artiste niçois de 31 ans, Yves Klein. Celui-ci s’est déjà fait un nom, et un surnom : « Yves le Monochrome », référence évidente à ses tableaux totalement bleus. Deux ans plus tôt, à la galerie Iris Clert, à Saint-Germain-des-Prés, il invitait les visiteurs à passer sous un dais bleu, siroter des cocktails au bleu de méthylène avant d’entrer dans une salle vide aux murs rigoureusement blancs. Scandale immédiat.

Rive droite, Klein n’a rien perdu de son sens de la mise en scène. Smoking noir, nœud papillon blanc et croix de l’ordre des archers de Saint-Sébastien autour du cou, il joue les maîtres de cérémonie. Un petit orchestre de violons et vio­loncelles interprète un accord unique en ré majeur, la Symphonie Monoton-Silence, de Louis Saguer. Elena, Mouna et Marlène avancent, entièrement nues. Tel un maestro, l’artiste dirige, sans jamais les toucher, les mouvements des trois femmes. Après avoir badigeonné leur corps de peinture bleue, elles impriment leurs formes sur de grandes feuilles de papier. Le public, composé de grands bourgeois et de femmes du monde, retient son souffle. Il règne, rapporte le chroniqueur de L’Express présent ce soir-là, « un silence d’église ».

Plongée dans la toile

Klein a pris un gros risque, comme le rappellera, en 2015, l’historienne AnnMarie Perl dans la revue universitaire Thresholds. Si le strip-tease est alors toléré, à condition toutefois que la créature garde ses derniers dessous, la France du général de Gaulle est corsetée. Il est admis de peindre d’après modèle vivant, à l’abri des regards dans les écoles d’art ou les ateliers, mais il est illégal de faire déambuler des femmes nues, même dans une galerie d’art.

« C’ÉTAIT UNE CHORÉGRAPHIE PRÉCISE. YVES NOUS DISAIT : “METS LA COULEUR LÀ, PUIS ICI.” » ELENA PALUMBO-MOSCA, EX-MODÈLE

Klein sait sa performance hors la loi et il doit s’assurer de la complicité du public pour ne pas être dénoncé. L’improvisation est un luxe qu’il ne peut se permettre : la veille, l’artiste et ses trois modèles ont tout répété. « C’était une chorégraphie précise, se souvient Elena Palumbo-Mosca, fière d’avoir pris part à l’histoire de l’art. Yves nous disait : “Mets la couleur là, puis ici.” Chacune de nous savait ce qu’elle avait à faire. » Elena étant la plus petite des trois, c’est à elle qu’incombe la tâche de réaliser un monochrome au sol, en se roulant sur une feuille de papier. « Yves m’avait dit : “Comme tu aimes plonger et nager, cette fois tu vas nager dans le bleu ! J’ai donc nagé dans le bleu et j’en ai rempli complètement le papier. »

« Il y a un peu de mon ADN là-dedans », s’amuse celle qui fit ensuite une carrière d’interprète au Parlement européen. De 1960 à 1962, année de la mort brutale de l’artiste, à 34 ans, d’une crise cardiaque, elle a participé à ces « anthropométries ». Le terme fut inventé par le très influent critique d’art Pierre Restany pour désigner à la fois les performances et quelque 200 œuvres aujourd’hui répertoriées. D’après le catalogue raisonné publié en 1969, cinquante d’entre elles se trouvaient alors entre des mains privées. « Ce n’est pas un succès commercial, à l’image de la plupart des nouveaux réalistes, analyse le galeriste Georges-Philippe Vallois, spécialiste de cette période, mais pas un rejet non plus puisque les acheteurs avisés sont là. »

Critiques des bigots et… des féministes

Les « anthropométries » sont des cas rares dans l’histoire de l’art moderne. Elles ont participé à la renommée d’Yves Klein, qui devait être le sujet d’une exposition cette année au Centre Pompidou-Metz, « Le Ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains », initialement prévue en mai et reportée au 18 juillet. En 1960, ces œuvres scandalisent les bigots. Mais enthousiasment ceux qui y voient une nouvelle manière d’aborder le corps dans l’art. Pourtant, très vite, ces mêmes œuvres désespéreront les progressistes. À commencer par les militantes féministes, outrées de voir un homme jouer ainsi avec les corps féminins nus.

Dans le catalogue de la rétrospective qu’elle avait organisée au Centre Pompidou en 2006, Camille Morineau, cofondatrice de l’association féministe Aware, résume ainsi l’affaire : « Interprété comme propre quand il fallait être sale, comme macho quand il fallait être féministe, Yves Klein fait encore scandale aujourd’hui alors que plus rien ne scandalise, car il résiste au politiquement correct. »

« DIRAIT-ON DE LOUIS MALLE QU’IL MANIPULAIT JEANNE MOREAU EN LA METTANT EN SCÈNE ? » ELENA PALUMBO-MOSCA

Célèbre rédactrice en chef de la revue Art Press et autrice d’une monographie sur Yves Klein (éditions Flammarion, 1992), Catherine Millet l’admet : difficile d’imaginer aujourd’hui une séance publique telle que celle pratiquée en 1960 « sans protestation au fond de la salle ». « Compliqué », abonde Camille Morineau, qui estime que ce type de performance « ne pourrait passer aujourd’hui que par un contrat officiel entre les participants ». « Impossible, juge la militante Caroline De Haas, du collectif de lutte contre les violences sexuelles et sexistes #noustoutes. Un homme qui se lancerait dans ce genre de tentative aurait tout de suite l’air réac. Vous imaginez aujourd’hui un artiste prétendre bousculer les choses en mettant en scène des femmes blanches nues ? Ce serait juste… bizarre ! »

Une chose est certaine : le caractère misogyne du climat dans lequel ces œuvres sont nées. Ainsi du compte rendu de L’Express, après la séance d’« anthropométrie » à la Galerie internationale d’art contemporain. « On eut dit trois bonnes d’auberge malicieusement déshabillées par la foudre au moment où elles allaient laver les planches – et qui ne se sont encore aperçues de rien », écrit le journaliste. Tout aussi édifiantes, les remarques du critique du Monde : « Prenez une femme nue, roulez-la dans de la peinture bleue, déroulez-la sur un drap. Vous obtiendrez les empreintes profanes d’une anatomie mammifère ».

Restany n’a pas non plus arrangé la réputation de son ami Klein en déclarant qu’un des modèles aurait « pris du plaisir en y voyant sans doute une forme supérieure de masturbation ». Du plaisir ? Elena Palumbo-Mosca s’esclaffe : « Une fable inventée par Restany pour titiller l’imaginaire du bourgeois. C’était un travail. Il fallait faire vite, se laver à toute allure car la peinture séchait rapidement. Alors le plaisir… Faut pas rigoler ! » Qu’on n’aille surtout pas lui demander si elle s’est sentie manipulée. « Dirait-on de Louis Malle qu’il manipulait Jeanne Moreau en la mettant en scène ? », s’indigne-t-elle.

Gil, Mouna, Jacqueline, Marlène…

L’histoire a par ailleurs gommé le souvenir des quelques hommes qui ont prêté leur corps au laboratoire artistique de Klein. Quant à ces femmes dirigées par le metteur en toile – qui travaillaient certes mais sans être rémunérées –, il faudrait se demander pourquoi les commentateurs n’ont gardé que leurs prénoms : Gil, Mouna, Jacqueline, Marlène, Claudie ou Marie-Henriette, et Elena…

D’une nature volubile, Elena s’est longtemps tue. Anonyme et muette, comme les autres « pinceaux vivants » – la formule est de Klein. « J’ai longtemps eu la sensation que certains et certaines critiques d’art ne me voyaient que comme un objet : un ventre, des seins, des cuisses, raconte-t-elle sans aigreur. On ne me considérait pas comme une personne et, parfois, dans un vernissage, j’avais même la sensation que certains me regardaient avec une certaine suffisance. »

L’ARTISTE ROTRAUT KLEIN-MOQUAY, VEUVE DU PEINTRE, GARDE DE CES SÉANCES LA MÉMOIRE D’UNE « FUSION DU CORPS ET DE L’ÂME SUR LA TOILE ».

Pendant des années, les modèles des « anthropométries » n’ont pas eu la parole. Et n’ont donc pas pu expliquer la démarche créatrice de Klein. Des données, essentielles pour comprendre la démarche artistique, ont échappé aux féministes qui ne jugent que l’œuvre, voire la symbolique de l’œuvre. Depuis ­l’Arizona, où elle s’est retirée, la veuve d’Yves Klein, l’artiste Rotraut Klein-Moquay, raconte qu’un jour, « les modèles s’étant plaints d’être inutiles car elles ne se retrouvaient pas dans les monochromes », Klein jette de la peinture sur du papier et propose à une jeune femme de s’y rouler.

« Le modèle nu apporte de la sensualité dans l’atmosphère. Attention ! Pas la sexualité », précise-t-il dans ses écrits, se gardant de toute « folie ­érotique ». Car l’idée ne surgit pas de nulle part. Commissaire de l’exposition Klein au Centre Pompidou-Metz et directrice du Palais de Tokyo à Paris, Emma Lavigne le rappelle : « La nudité n’est pas juste érotique, mais renvoie à l’homme premier, à une renaissance. »

En effet, à 20 ans, le jeune peintre avait été fasciné par les traces découvertes dans les grottes préhistoriques et avait réalisé des empreintes de pied et de main sur ses propres vêtements. Judoka émérite, Yves Klein est également attentif à la marque des corps en sueur sur les tapis de combat. L’« anthropométrie » renvoie aussi à la tradition du voile de Véronique, qui aurait essuyé le visage du Christ. Au cours de son séjour au Japon en 1952, Klein fut également frappé par les photos de l’ombre des corps soufflés par l’explosion atomique à Hiroshima.

Le contexte dans lequel il réalise sa première « anthropométrie » n’a rien de machiste. Elle se tient le 5 juin 1958 à huis clos dans l’appartement du professeur de judo et philosophe occultiste Robert Godet, sur l’île Saint-Louis, à Paris. Aucun témoignage, si ce n’est quelques photos, n’en subsiste. Dès lors, Klein décide de peaufiner la pratique, souvent sur des musiques de Mozart ou Beethoven. Hormis celle de mars 1960, toutes les séances se sont déroulées sans public, dans l’atelier d’Yves Klein ou au centre d’essai de Gaz de France, à La Plaine-Saint-Denis.

Les premières empreintes sont statiques : le modèle appose une partie de son corps sur un papier accroché au mur. Puis elles sont invitées à bouger davantage, jusqu’à se mettre à califourchon sur un grand rouleau de papier. « C’était plus intime, mais je n’avais pas de fausse pudeur », confie Elena Palumbo-Mosca.

Rotraut participera à quelques-unes de ces séances, gardant la mémoire d’un « bien-être total, d’une fusion du corps et de l’âme sur la toile ». C’est elle qui, d’ailleurs, propose à Elena Palumbo-Mosca de participer à ces séances dans l’atelier parisien de la rue Campagne-Première. Les deux femmes se sont rencontrées trois ans plus tôt à Nice, chez le couple d’artistes Arman et Éliane Radigue, où la jeune Italienne officiait comme fille au pair. À Paris, elles ont continué à se voir.

« IL Y AVAIT MOINS D’AMBIGUÏTÉ DANS CES SÉANCES, SPECTACULAIRES ET RAPIDES, QUE DANS UNE SÉANCE DE NU DANS UN ATELIER. » CATHERINE MILLET, RÉDACTRICE EN CHEF D’« ART PRESS »

Le jour, Elena Palumbo-Mosca suit des cours de civilisation française puis d’interprétariat. La nuit, elle gagne sa vie comme strip-teaseuse dans les cabarets de Pigalle. Quand on la sollicite pour réaliser des « anthropométries », elle trouve ça « chouette », rapporte-t-elle le plus simplement du monde. Klein l’a martelé : il n’y a « jamais rien eu d’érotique, de pornographique ni quoi que ce soit d’amoral dans ces séances ». Catherine Millet en est convaincue. Selon la rédactrice en chef d’Art Press, « il y avait moins d’ambiguïté et de trouble dans ces séances spectaculaires et rapides, en public ou en privé, que dans une séance de nu traditionnel dans un atelier, où quelque chose de plus intime pouvait s’installer, sur la durée, entre un peintre et son modèle ».

Aux États-Unis, toutefois, poursuivant des thèses qui se dévelop­pent dans les années 1970, l’historienne Amelia Jones, spécialiste de la performance artistique, analyse l’histoire des « anthropométries » à l’aune du féminisme. Klein, aussi subversif fût-il, serait le produit de son époque : l’artiste qui prétend prendre ses distances avec le cliché viril du peintre en sueur face au tableau joue en réalité au marionnettiste. Fût-ce malgré lui.

« Yves n’était pas un macho, riposte sa veuve, lassée par ces attaques. Il soutenait les artistes femmes. Sa mère était peintre et, à travers son exemple, il voyait à quel point il était difficile pour les femmes de ­lutter. » Elena Palumbo-Mosca ­renchérit : « Qu’on ne vienne pas me dire que Klein exploitait les femmes, c’est totalement faux ! S’il y a bien quelqu’un qui les respectait, c’est lui. » Réplique, à distance depuis la Californie, d’Amelia Jones : « C’est intéressant d’entendre leur expérience, mais leur ressenti ne “prouve” pas que le travail fut collaboratif. »

Moqueries et controverses

Klein prête aussi le flanc aux moqueurs qui cherchaient à taper sur l’art contemporain en général. Car les « anthropométries » ont rendu la critique très facile. Dans son film Les Godelureaux (1961), Claude Chabrol, s’amu­sant du snobisme de l’avant-garde et du ridicule d’une certaine dolce vita, filme ainsi un simulacre d’« anthropométrie » réalisé par des modèles habillés de justaucorps blancs. La séance est tournée chez l’ancienne galeriste du peintre, Iris Clert, qui dit à qui veut l’entendre que les « anthropométries » sont des canulars sans valeur artistique ni commerciale.

En 1961, Yves Klein tend encore des verges pour se faire battre en participant à Mondo Cane, du réalisateur italien aussi excentrique que controversé Gualtiero Jacopetti. Ce documentaire kitsch et trash égrène les pratiques insolites dans le monde, comme l’astiquage de crânes par des enfants italiens ou l’appétit pour les serpents de Maltais faméliques.

APRÈS L’AVANT-PREMIÈRE DE « MONDO CANE », À CANNES, KLEIN EST MORTIFIÉ, PUBLIQUEMENT HUMILIÉ, IL EN FERA UNE ATTAQUE CARDIAQUE.

Dans les trois minutes consacrées aux « anthropométries », le réalisateur montre une danse du ventre lascive, tandis que la Symphonie Monoton-Silence est ­remplacée par une musique sirupeuse de film de charme. Pour enfoncer le clou, ­l’épilogue en voix off annonce que la peinture ainsi réalisée « est à vendre pour seu­lement 4 millions de francs ». Comprenez : le monde de l’art se fiche de la gueule des braves gens. Le titre Mondo Cane (« monde de chien ») réduit Klein à une image de « gros dégueulasse ». Mortifié, publiquement humilié, l’artiste en fera une attaque cardiaque après l’avant-­première du film au Festival de Cannes. Il succombera, quelques semaines plus tard, à un arrêt du cœur.

L’artiste est d’autant plus meurtri qu’il avait sponta­nément collaboré avec Gualtiero Jacopetti dans l’espoir – raté – de faire sen­sation, malgré les avertissements de ses proches. « Je considérais Jacopetti comme un facho, soupire Elena Palumbo-Mosca, écœurée par cette mascarade. D’ailleurs, aucune des amies qui avaient travaillé pour les “anthro­pométries” n’a participé au tournage de ce film. Yves me paraissait parfois un peu naïf, car il était sûr que ses idées pouvaient convaincre tout le monde, tout de suite. »

L’œuvre épurée d’Yves Klein n’a pas ­seulement suscité un vacarme de commentaires. Précurseur par ses « anthropométries », le jeune Niçois singulier et météorique a inspiré le body art et la performance. Et sans faire école, il a fait des émules, étonnamment féminines. L’excentrique artiste japonaise Yayoi Kusama se lie avec Yves Klein en 1961 à New York et, six ans plus tard, se met à peindre des pois sur des corps dénudés d’hommes et de femmes. En 1973, l’artiste féministe Carolee Schneemann (décédée en 2019), influencée elle aussi, se suspend nue dans un harnais, les mouvements de son corps accroché déterminant les dessins qu’elle réalise.

Plus récemment, en 2015, à l’occasion du Unfold festival à Londres, la jeune artiste britannique Adelaide Damoah s’est présentée nue sur scène, le corps recouvert de peinture bleue. « Klein a toujours été là quelque part, dans un coin de ma tête, sans trop savoir pourquoi », confie la Londonienne, qui a réitéré sa performance en 2019 au Musée de l’immigration, à Paris. Dans tous ces cas, une différence notable avec les « anthropométries » de Klein : ici, la femme décide seule de ses mouvements. Sans chef d’orchestre, fût-il banalement tyrannique ou singulièrement génial. Son corps lui appartient.

6 juillet 2020

Les couleurs du sexe : les ambiguïtés du blanc

Par Maïa Mazaurette

Episode 1. Gris, pourpre, noir… Cet été, la chroniqueuse et illustratrice de « La Matinale » Maïa Mazaurette sort son nuancier chaque dimanche pour raconter la sexualité et prodiguer ses conseils. Aujourd’hui, zoom sur la zone blanche.

LE SEXE SELON MAÏA

Le blanc est-il une couleur ? La réponse dépend des experts à qui vous posez la question. Cette ambivalence se prolonge dans le monde du sexe : existe-t-il une sexualité blanche, alors même que cette teinte symbolise la virginité ?

Nous savons que le sexe n’est pas sale, mais peut-il pour autant être pur ? Nous voici plongés dans le vif du sujet : pour lancer cette série d’été consacrée au nuancier sexuel – nous nous promènerons de la zone grise au piment rouge, en passant par l’arc-en-ciel, le duo rose-bleu ou encore les teintes de la chair –, commençons donc par le blanc.

On ne surprendra personne en rappelant que dans la culture occidentale et notamment dans notre rapport au sacré, le blanc s’oppose à la souillure matérielle ou morale. Le mot lui-même vient du germanique blank, qui signifiait « brillant, clair, sans tache » ou « nu ».

Le blanc est également associé à la lumière, et se conçoit dans un double antagonisme au noir de la nuit (le quand de la sexualité) et au rouge de la luxure (le comment de la sexualité). Par extension, le blanc symbolise le bien, l’innocence, la chasteté (mais aussi la vieillesse, la peur, le froid, etc.).

Imaginaire de l’innocence

Faut-il en déduire qu’une sexualité blanche serait réservée aux oies blanches ? C’est plus compliqué que ça. Au départ, la symbolique s’exprime de la manière la plus prévisible qui soit : le blanc de la pureté donne sa teinte à la robe de mariée, supposément vierge. Cet imaginaire de l’innocence est régulièrement utilisé par les marques de sextoys pour rassurer les acheteuses : on trouve des lignes entières de vibromasseurs blancs, dont certains reprennent les codes visuels des iPhone et du monde médical. Le blanc est bon, le blanc est tech, le blanc est sérieux.

Là où les choses commencent à se corser, c’est quand ces associations d’idées contaminent les corps eux-mêmes : telle couleur de peau entraîne telles qualités morales, telle couleur de peau est considérée comme plus ou moins esthétique.

Alors que L’Oréal a retiré cette semaine les mots « clair » et « blanchiment » de ses produits cosmétiques, l’industrie de la beauté du sexe continue de proposer des blanchiments de la vulve, mais aussi du pénis, de l’anus et des tétons. L’argument est double : raccorder la couleur de la carnation (caucasienne) à la couleur de ces zones hautement sexualisées, mais aussi « nettoyer » symboliquement la zone.

C’est particulièrement le cas du blanchiment de l’anus, qui permet de désamorcer certains complexes : si c’est clair, c’est propre, et si c’est propre, alors on peut l’utiliser sexuellement. (Précisons qu’il existe à l’inverse des crèmes pigmentées qui « rajeunissent » le vagin à coups de gammes de rose, mais elles sont moins utilisées.)

Pour autant, limiter le blanc à la pureté serait un peu court : il est aussi la couleur du sperme (considéré comme une souillure), des pertes blanches (idem, même si elles servent à nettoyer le vagin de ses bactéries) et du lait maternel (or pour être mère, le plus souvent, on est passée par des rapports sexuels). Se dessinent, alors, les contours d’un blanc plus ambigu : rien n’est plus délicieux à saccager qu’une surface immaculée. Nous ne sommes plus très loin du fétichisme médical, ou de la salirophilie, qui n’aime rien tant que tacher les draps et souiller ses adeptes.

Consensus et consentement

Tout est dit ? Non, bien sûr que non. Car la sexualité elle-même comporte des pratiques blanches : on parle alors de sexualité « vanille ». Ce vocable, apparu dans les années 1960 mais popularisé dans le jargon sexuel depuis une vingtaine d’années, décrit les rapports conventionnels, conjugaux, consentis, sans fantaisie.

La vanille érotique serait au sexe ce que la vanille alimentaire est à la gastronomie : un parfum sans intérêt, mais largement apprécié par les personnes dénuées de bon goût et/ou d’imagination (snobisme, bonjour). Le mot comporte donc souvent une connotation méprisante – sauf chez ses défenseurs et défenseuses (dont votre humble servitrice dominicale fait partie).

Pourquoi tant de haine ? Parce que le sexe vanille a été conceptualisé en opposition aux sexualités « noires » du BDSM (bondage, domination, sado-masochisme) et au vaste champ chromatique du queer (c’est-à-dire littéralement, le bizarre). On y reviendra dans les prochains épisodes de cette série d’été.

Cette réputation d’ennui associée à la vanille déborde sur ce que nous appelons depuis le mouvement #metoo la zone blanche : celle du consensus et du consentement. Côté face, le licite rassure. Côté pile, si on s’en tient aux pratiques strictement permises par la religion et le code pénal, il ne reste que le missionnaire.

« 50 Nuances de Blanc » ?

Et pourtant ! On pourrait réhabiliter la zone blanche. Respecter radicalement ses partenaires n’entraîne pas nécessairement moins d’humour, moins de diversité et moins de pratiques exaltantes : si vous voulez mon avis, c’est même précisément l’inverse qui se passe. Avec la sexualité vanille, on peut se donner carte blanche !

Du « bon » côté de la zone grise, les possibles s’étendent à l’infini… A condition de renoncer à certains clichés (par exemple cette curieuse idée voulant qu’un bon amant soit forcément un « bad boy », alors que de nombreuses transgressions sexuelles sont justement dues à un manque de compétences, d’imagination et de savoirs). Qui sait, peut-être lira-t-on un jour un best-seller incroyablement érotique, appelé « 50 Nuances de Blanc » ?

En attendant, le blanc-vanille dispose d’un ultime tour dans son sac : il est intrinsèquement sexuel – jusqu’aux origines de notre langue, donc de notre système de représentation. Car étymologiquement, « vanille » vient du latin vagina, « la gaine », qui donnera « vagin »… seulement au XVIIe siècle. Pour une zone encore régulièrement qualifiée de trou noir, c’est un comble, non ?

5 juillet 2020

Vu sur internet - j'aime bien

jaime35

5 juillet 2020

Vu sur internet - j'adore

nu oeuf

nu salade

Publicité
Publicité