Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
23 juin 2020

Viki Fehner

viki fehner (1)

viki fehner (2)

viki fehner (4)

viki fehner (5)

Publicité
23 juin 2020

Véhicules électriques : la galère de la recharge

Les carences du système – si elles persistent – constitueront un frein à la mobilité zéro émission

Depuis peu propriétaire d’une voiture électrique, l’un des auteurs de cet article n’imaginait pas dans quel univers de complexité il avait mis le pied : celui de la recharge de son véhicule. Avant, pour lui, la difficulté à « faire le plein » consistait à ne pas confondre diesel et essence. Dans son nouvel univers automobile, c’est infiniment plus complexe. Pour se charger, il rencontre cinq formes différentes de prise (sa voiture n’a été livrée qu’avec deux) et trois ou quatre types de puissance. Beaucoup de bornes publiques de recharge sont gratuites, mais nombre d’entre elles sont défaillantes. Pour les payantes, le tarif est rarement affiché et les pièges fréquents (1 euro la première heure, 30 euros la deuxième).

Il n’est venu à l’idée de personne de généraliser la possibilité de payer sa charge avec une carte bancaire. Alors notre utilisateur court après les « pass », lesquels peuvent être fournis par une start-up, un constructeur automobile ou une enseigne commerciale. Dans ce monde baroque, Nissan a mis à disposition des bornes gratuites dans certaines grandes surfaces, mais son système de recharge rapide est incompatible avec la Zoe de son allié Renault. Bienvenue chez Kafka en mode branché !

Financer les bornes

A l’heure où le gouvernement a fait du véhicule électrique l’axe central de sa politique de relance automobile, la question de la recharge pourrait finir par constituer un sérieux frein au développement de la mobilité zéro émission. « 80 % à 90 % de nos clients se rechargent à la maison ou au bureau, constate Lionel French-Keogh, directeur général pour la France de Hyundai. La complexité de la charge lors d’un long parcours cantonne, pour le moment, le véhicule électrique aux flottes d’entreprise et au second véhicule des particuliers habitant en pavillon. »

Deux importantes carences existent. La première c’est la recharge rapide le long des autoroutes et grands axes routiers. Le démantèlement du réseau autoroutier d’EDF, Corridor, a aggravé la situation. Seules subsistent pour le moment sur les autoroutes françaises les bornes du réseau Ionity, issu d’un consortium de constructeurs étrangers (Daimler, BMW, VW, Ford, Hyundai), aux tarifs assez élevés (25 euros à 40 euros pour une autonomie de 300 kilomètres). Le deuxième problème est l’accès à la prise pour les Français vivant en habitat collectif (7 millions de ménages sur 29).

Conscients de ces difficultés, les pouvoirs publics se veulent volontaristes. Le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, a proposé d’intégrer au plan de relance automobile une accélération du déploiement de 100 000 bornes (il y en a actuellement 30 000) à l’horizon 2021 plutôt que 2022. Cent millions d’euros supplémentaires sont mis sur la table pour aider à financer les bornes publiques et privées. Une campagne de communication cet été expliquera les possibilités de se recharger. L’Etat insiste pour établir d’ici à la fin 2021, sur les aires d’autoroutes, 300 à 500 stations permettant de charger dix véhicules chacune. Le gouvernement a mis dans la boucle la PFA, l’entité publique qui coordonne la filière automobile et la Banque des territoires (Groupe Caisse des dépôts) pour le financement. Côté habitat collectif, la loi d’orientation des mobilités impose dans tous les immeubles nouveaux que 100 % des places de parking aient accès à une prise en 2022. « Mais cela reste très compliqué dans les copropriétés », constate Marc Mortureux, directeur général de la PFA.

Cohérence du déploiement

Du côté, d’Enedis, qui se charge de la connexion des points de recharge au réseau électrique, on affirme aussi « souhaiter une accélération sur le sujet ». Le distributeur d’électricité assure qu’il n’y a pas de difficulté à prévoir pour la stabilité du réseau dans les années à venir. Les bornes à forte puissance n’inquiètent pas le distributeur, même si elles pourraient créer, à terme, des pics de consommation d’électricité. « On se projette dans des scénarios à 15 millions de véhicules en 2035, et même là, on est serein », promet Dominique Lagarde, directeur du programme mobilité électrique d’Enedis.

Le problème réside plutôt dans la cohérence du déploiement « La typologie des bornes et des emplacements n’est pas optimale, explique M. Lagarde. Par exemple, avoir une borne de recharge longue durée au cœur d’un village, ce n’est pas forcément le besoin des utilisateurs. » C’est justement la difficulté : quels types de borne installer, et où ? « On va mettre beaucoup d’argent sur le sujet, mais le marché est dans le noir le plus complet, prévient Quentin Dérumeaux, consultant chez SIA Partners et auteur d’une étude sur les infrastructures de recharge. Le danger est grand que ce choc de subvention soit gâché, si rien n’est fait pour le coordonner », note le rapport de SIA.

Principal problème : « Les opérateurs n’intègrent pas l’expérience de l’utilisateur », souligne M. Dérumeaux. Difficile, en tant qu’automobiliste, on l’a vu, de savoir combien on va payer, à qui, comment. M. Dérumeaux souligne la nécessité de la mise en place de réels « opérateurs de mobilité », qui puissent proposer des formules qui correspondent aux besoins des clients. « Le risque est sinon de voir se développer des réseaux très privés », prévient-il. Le seul d’ailleurs vraiment efficace pour la longue distance aujourd’hui est celui, complètement fermé, de Tesla. Cette absence de connaissance des usages est aussi dommageable pour les installateurs de points de recharge.

« Dans les 30 stations que nous avons équipées sur les grands axes, nous avons deux ou trois clients par jour… », soulignait récemment le PDG de Total, Patrick Pouyanné, dans un entretien au Monde. La situation appelle une régulation, observent plusieurs acteurs. Actuellement, c’est une start-up de 20 salariés qui fait office de service public unifié de la recharge grâce à son application collaborative, Chargemap, indispensable à qui veut bouger en voiture électrique en France. « On est très en retard sur le sujet, conclut un patron du secteur. Si le gouvernement ne fait pas ce qu’il faut, les clients ne vont pas changer leurs habitudes. »

22 juin 2020

Vu sur internet - j'aime beaucoup

horse et black

22 juin 2020

Portrait - Jeanne Balibar, le cœur battant de la culture. (source : M. Le Monde)

balibar

A 52 ans, la comédienne césarisée pour « Barbara » s’engage autant par ses choix audacieux au cinéma et au théâtre que par ses coups de gueule politiques. Elle fut à l’initiative de la tribune, publiée fin avril, fustigeant Macron pour son oubli de la culture dans la gestion du Covid-19.

Il ne fallait pas enfermer Jeanne Balibar. Trente ans qu’elle donne de la voix de Paris à Berlin, sur scène ou au cinéma. A rester recluse dans son appartement du 11e arrondissement à Paris, contrainte à faire « des gestes barricades qui n’ont rien de révolutionnaire », elle est partie en toupie. Fin avril, tournant à grandes enjambées dans son salon, Marlboro entre les doigts, elle commence à écrire un texte dans son coin, puis tonne de sa voix de tragédienne au téléphone auprès de quelques amies : « Dix-sept millions pour Air France, sept pour le tourisme, cinq pour Renault… Et rien pour la culture ! »

La comédienne Marina Foïs applaudit, la réalisatrice Catherine Corsini est raccord avec l’actrice en pleine tempête shakespearienne : « C’est l’état d’urgence ! Exigeons un New Deal, un plan Marshall pour la culture ! » La cinéaste Pascale Ferran, camarade de lutte pour les sans-papiers, la pousse à monter au front. « Ecris et on en fera une tribune, ta voix va porter. » En fin d’après-midi, Jeanne Balibar se met au clavier : « Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le ! » « Depuis six semaines, le ministre de la culture ne dit strictement rien. Des “je ne sais pas” à la pelle, quelques mots sur les théâtres privés, semble-t-il, de vagues encouragements, peut-être, aux assureurs pour assurer contre le Covid-19… »

Elle voit le paquebot de la culture sombrer avec, à son bord, les acteurs bankable et ceux qui doivent se contenter de seconds rôles, mais aussi les chauffeurs, les ouvreuses, les cuisiniers, les attachés de presse, les agents, les auteurs… Surtout n’oublier personne : « Comment feront les intermittents pour continuer à manger ? Comment feront les auteurs qui ne bénéficient même pas de ce régime ? tape Jeanne Balibar. Comment feront toutes celles et tous ceux que vous oubliez avec nous et dont l’emploi est comme le nôtre, discontinu ? » Festivals annulés, tournages interrompus, concerts supprimés, théâtres et salles de spectacle fermés, près de deux millions de travailleurs vont basculer au RSA, selon elle.

Une « trahison sociale »

Le réalisateur Michel Hazanavicius, souvent en pointe des combats de la profession, rallie la bande des quatre femmes. Jeanne Balibar, dit-il, « a eu l’intuition de montrer le vide total de la politique culturelle ». Il fallait du courage à une époque où « la moindre prise de position d’un acteur est moquée et vole en éclats » : « Il n’y a que des coups à prendre ». Du temps de Piccoli, Montand ou Signoret, ajoute le réalisateur, « la parole des artistes était légitime, les politiques s’arrachaient leur soutien. Aujourd’hui, ils nous fuient ».

La tribune, lestée dans un premier temps de 250 signatures illustres et inconnues, est publiée sur le site du Monde le 30 avril. Le lendemain, jour de Fête du travail sans muguet ni cortèges, coup de fil matinal chez Jeanne Balibar. Une conseillère de l’Elysée, d’un ton ampoulé : « Nous avions quelque chose en préparation pour la culture, mais votre tribune a accéléré le mouvement… » Quelques jours plus tard, le président organise une consultation en visioconférence avec quelques artistes réputés sympathiques, tels Sandrine Kiberlain, Eric Toledano et Olivier Nakache. Jeanne Balibar n’a pas été invitée.

Le 6 mai, Emmanuel Macron, en bras de chemise, son ministre au teint pâle à ses côtés, annonce « une année blanche » pour les intermittents et les incite à « enfourcher le tigre ». Les courtisans applaudissent, les optimistes reprennent espoir. Comediante ! Tragediante ! protestent Jeanne Balibar et ses amis. Le président a sauvé les intermittents du RSA, mais il n’a pas eu un mot pour les petites mains en contrat court. Ils flairent une « entourloupe », Jeanne Balibar se remet à son clavier.

« J’AI ÉTÉ VIRÉE ENCEINTE, HARCELÉE SEXUELLEMENT… ET MAINTENANT JE SUBIS L’INVISIBILITÉ DES ACTRICES DE 50 ANS. »

JEANNE BALIBAR

Nouvelle tribune, proposée cette fois à Libération, où elle n’a que des amis. Mais les journaux préfèrent les premières, les mots neufs. Son texte en faveur des sans-grade est publié en bas de page, sans les signatures pourtant encore plus nombreuses. Le chef de service de Libé a gardé un bon moment l’oreille endolorie après son coup de fil aux aurores : « Elle hurlait et m’a traité comme un valet qui aurait fait couler un bain un peu trop froid », raconte-t-il en riant. Laurent Joffrin, le directeur du journal, a lui aussi eu droit à la colère théâtralisée de Jeanne Balibar : « Trahison sociale ! » Elle sait parler très fort, peut hurler en allemand, chanter en italien, pleurer en récitant Shakespeare dans le texte. Et elle manie aussi très bien la rhétorique marxiste-léniniste.

L’amour du risque

Les enjeux de la culture, côté marge, l’actrice connaît. Vingt-cinq ans de cinéma d’auteur (chez Arnaud Desplechin, Jacques Rivette, Raoul Ruiz, Olivier Assayas…), un César en 2018 (pour Barbara, de Mathieu Amalric), des performances de légende dans les pièces de Frank Castorf (La Dame aux camélias, Les Frères Karamazov, Bajazet), deux albums (Paramour, Slalom Dame), un film en tant que réalisatrice (Merveilles à Montfermeil, sorti en janvier), de la danse également. Jeanne Balibar, c’est une star à l’ancienne, une Jeanne Moreau dopée à la prise de risque.

D’ailleurs, c’est en voyant l’actrice de Buñuel jouer le Récit de la servante Zerline, mis en scène par Klaus Grüber en 1987, qu’elle a décidé de grimper sur les planches. À 52 ans, sa silhouette de longue dame brune, sa voix inimitable, ses choix artistiques fantasques et chatoyants, sa fantaisie, sa liberté la classent en haut des marches. « Elle a un côté Ava Gardner, très hollywoodien, décrit Carole Bellaïche, sa photographe et amie. Et en même temps on la sent prête à prendre tous les risques, partir dans toutes les aventures, même au plus profond de l’abîme. » Autre proche, Bulle Ogier la voit « en diva rock’n’roll », et Emmanuelle Béart, héroïne douce-dingue dans son film Merveilles à Montfermeil, en « réjouisseuse qui fait s’envoler ».

balibar01

Cela ne va pas sans angoisses qui, chez Balibar, prennent la forme de nœuds gordiens dans la tête. Marina Foïs résume cette peur des acteurs : une « terreur du projet qui ne vient pas qui nous envahit ». Et cette « sensation que tout est construit sur du sable » est démultipliée chez son amie : « Artiste comme elle est dans la vie, elle avance sans filet ni plan de carrière. » Au cours Florent, où elles se sont connues au début des années 1990, Balibar, « très belle, très mince, très singulière », était une star en puissance. « On savait tous qu’elle deviendrait une grande. » Déjà une voix, et une grande gueule, engagée dans la lutte contre le sida, pour les sans-papiers, contre la loi Hadopi…

En ce mois de juin, elle relaie sur Instagram la parole d’Assa Traoré réclamant justice pour son frère. « Elle s’engage dans tout ce qu’elle fait, avec une pensée politique permanente, assure son proche ami le penseur Philippe Mangeot, président d’Act Up à la fin des années 1990. Quelle actrice prend autant de risques aujourd’hui ? » Pour autant, Balibar n’est pas une forcenée du militantisme. Les tractages et les manifs, elle les laisse aux plus motivés. Quand elle s’engage, elle aime être sur le devant de la scène.

Dépendance aux Assedic

Et pourtant, sous ces airs de diva haut perchée, Balibar a des angoisses très terre à terre. Et l’angoisse est parfois matérielle, la vie en liberté rendant les fins de mois compliqués. « Quand on réussit à échapper à certaines normes artistiques, on se trouve pris dans les normes sociales… J’ai une image de femme libre, mais la vérité, c’est que j’ai très peu de propositions, je ne vis pas de mon travail. » Désignant son appartement, les meubles seventies, les livres, les DVD, le piano Gaveau, la photo de Robert Frank tirée de la série The Americans, elle assure : « Tout ce luxe, c’est le père de mes enfants [Mathieu Amalric] qui le permet. »

Jeanne Balibar a connu Avignon, la Comédie-Française, l’amour inconditionnel des critiques de Télérama, des Inrocks et des Cahiers du cinéma. Mais elle voudrait tout : la gloire et l’argent, Hollywood et le théâtre radical allemand… Tout, sauf sa dépendance financière « aux Assedic », comme elle dit, et à Mathieu Amalric. Là-dessus, la féministe s’emballe. « Mère, c’est le mauvais rôle », lâche-t-elle en paraphrasant Delphine Seyrig, une de ses rares idoles. Sa carrière étincelante et pourtant si modeste sur son compte en banque ? La faute à la misogynie : « J’ai été virée enceinte, harcelée sexuellement… et maintenant je subis l’invisibilité des actrices de 50 ans. »

Regard noir, bouche serrée, elle se prédit une funeste traversée du désert post-épidémie : « Je n’ai plus aucun projet, sinon de devenir junkie à Instagram. » D’ici à la fin de 2020, encore quelques dates incertaines pour la tournée de Bajazet, la sortie sine die de deux films, l’un de Xavier Giannoli adapté des Illusions perdues, de Balzac, avec Gérard Depardieu et Vincent Lacoste, et Memoria, une fable signée du cinéaste thaïlandais palmé à Cannes, Apichatpong Weerasethakul, où elle partage l’affiche avec son double blond, Tilda Swinton. « Un an de chômage devant moi et puis rien », lâche-t-elle de sa voix grave.

L’aventure « Bajazet »

2019 avait pourtant été une année faste, dans la dynamique du succès de Barbara. Dans la pièce Bajazet, présentée en décembre par Frank Castorf à la MC93, à Bobigny, l’actrice a repoussé les limites. Nue la plupart du temps, présente pendant les cinq heures du spectacle, corps et visage sous les néons, elle joue un texte impossible à retenir pour le commun des mortels, mix de Racine et ­d’Antonin Artaud. « Elle était totalement engagée, raconte Hortense Archambault, directrice de la MC93. C’est elle qui a poussé Castorf à monter la pièce en français, et cela a été une grande traversée dramaturgique ! Il y a eu une première réunion, les acteurs se sont saisis de la matière et sont montés sur le plateau au fur et à mesure. Et c’est tout, très peu de répétitions… Seuls les immenses acteurs sont capables de cela, c’est terriblement risqué. »

Bulle Ogier, fascinée par ses facilités et sa mémoire – « Jacques Rivette avait été stupéfait de la voir apprendre l’italien en quinze jours, il était très admiratif » – l’a vue évoluer en vingt ans, « passer d’une diction durassienne au registre de Delphine Seyrig, avant de devenir elle-même dans les spectacles de Castorf ». Dans Bajazet, Bulle Ogier a découvert chez Balibar une violence qu’elle ne lui soupçonnait pas : « Je ne pouvais imaginer qu’elle irait aussi loin. »

A la fin de l’année, l’actrice était sur le flanc. « J’étais surmenée, mon histoire d’amour avec Castorf était terminée, j’ai décidé de faire un break, en attendant les propositions, nous dit-elle. Puis le Covid est arrivé. » Elle se tait et verse des larmes en silence, sur son histoire d’amour défaite. « Celui qui rompt est parfois le plus malheureux, il porte la responsabilité des choses. »

Attaques sur la Macronie

Jeanne Balibar est sans filtre, comme les clopes de Michel Piccoli dans Les Choses de la vie, ce Piccoli qui vient de mourir et qu’elle pleure comme une orpheline, lui qui était, comme elle, toujours prêt à dégoupiller une vérité. En 2018, recevant le César de la meilleure actrice pour Barbara, ruban blanc contre les violences faites aux femmes sur sa robe de star, elle cite Jeanne Moreau et Delphine Seyrig et improvise un époustouflant plaidoyer féministe dans lequel elle évoque entre autres la solidarité entre les actrices.

Un an plus tard, quand Emmanuel Macron s’épanche, déclarant avoir pleuré en regardant Les Misérables, film de Ladj Ly dans lequel elle tient le rôle de la commissaire, elle riposte dans So Film : « Tant qu’il n’y aura pas de bouleversement de la politique fiscale, ça ne sert a rien d’aller voir un film et dire “je suis bouleversé”. C’est de la merde. »

En janvier, dans « Clique », l’émission présentée par Mouloud Achour sur Canal+, où le gouvernement a l’habitude d’en prendre pour son grade, elle en rajoute une couche : « Mes enfants m’ont demandé de dire un truc. “C’est vraiment un pur schlag, ce mec”. » « Schlag », dans les quartiers, c’est le mec largué, qui fait n’importe quoi, l’épouvantail des fils de Mathieu Amalric et Jeanne Balibar, l’un rappeur, l’autre redevenu étudiant après avoir passé un CAP de cuisinier. Tous deux militent à l’extrême gauche, on les soupçonne d’inspirer leur mère, qui ne demande pas mieux.

balibar02

« CE N’EST PAS UNE MUSE. C’EST UNE COAUTRICE, CAPABLE DE SE LIVRER SANS LIMITES AUX HOMMES QUI LA DIRIGENT. » PHILIPPE MANGEOT

Dans les Cahiers du cinéma, elle provoquait encore, en janvier : « Si on interdit le voile dans l’espace public comme signe d’adhésion à une religion, il faut aussi interdire le complet cravate des banquiers et PDG comme signe d’adhésion à la religion de l’argent. » En mai, interrogée dans son salon, elle s’en est prise de nouveau au premier de cordée sur France Inter : « Le 17 mars, on a entendu le président de la République dire que personne ne serait laissé sur le bord de la route, mais on n’a toujours rien entendu sur la culture ni le pain de ceux qui sont en contrat court… Tous ces gens vont crever ! »

Premiers engagements

A quelques arrondissements de chez Jeanne Balibar, l’historienne Emmanuelle Loyer sourit en écoutant sa vieille amie entonner la Révolution. Elles étaient ensemble en khâgne à Henri-IV, au temps où Charles Pasqua faisait la chasse aux étudiants dans le Quartier latin. Fille unique, Jeanne habitait rive gauche, elle avait une mère magnifique, Françoise Balibar, qui enseignait la théorie de la relativité en tailleur Saint Laurent. La khâgneuse avait aussi un père célèbre et communiste, Etienne Balibar, professeur à la Sorbonne et auteur, avec Louis Althusser et d’autres, de Lire le Capital (­éditions François Maspero, 1965). Sa réputation, bien qu’un peu en baisse après la chute du Mur, résistait du côté de la rue d’Ulm.

Jeanne avait fait une croix sur une carrière de danseuse étoile, ses parents ayant refusé qu’elle entre à l’Opéra de Paris, et préparait Normale-Sup, son tribut à sa famille d’universitaires. « J’avais arraché de haute lutte de faire sport-études en danse au lycée, mais, après le bac, il m’a fallu rentrer dans le rang, raconte-t-elle. Dans ma famille, l’art était sacralisé, mais ce n’était pas pour nous, il fallait être bien prétentieux pour se croire artiste. »

Manifester sur le boulevard Saint-Michel, risquer les coups de matraque et les lacrymos étaient permis. Fin 1986, Jeanne Balibar et Emmanuelle Loyer, 18 ans, défilent contre le projet de loi Devaquet, visant à réformer l’université, pleurent Malik Oussekine mort rue Monsieur-le-Prince sous les coups de CRS et lisent les romantiques allemands pendant des nuits entières. « Un peu trop sans doute, remarque Emmanuelle Loyer. L’amour-passion nous a joué des tours. »

Une actrice incendiaire

L’amour, pour Jeanne Balibar, n’est pas du marivaudage. Elle y a laissé quelques plumes, et gagné des galons. A 20 ans, fraîche ­normalienne, elle s’est enfuie du domicile familial pour suivre un amoureux à Cambridge, au prétexte de préparer l’agrégation ­d’histoire. L’exil, loin de la rue d’Ulm et des exigences familiales, a décidé de son destin. En rentrant à Paris, elle s’inscrit au cours Florent et, trois mois plus tard, réussit le Conservatoire. Puis elle est recrutée sans période d’essai à la Comédie-Française, d’où elle s’envole vite, comme Isabelle Adjani en son temps.

« LES GENS QUI PRÉTENDENT TOUT EXPLIQUER ME DÉRANGENT, CE N’EST PAS LE RÔLE DE L’ART. » JEANNE BALIBAR

Sa carrière décolle à Avignon en 1993 dans Dom Juan, mis en scène par Jacques Lassalle. Ses cothurnes du cours Florent, Sandrine Kiberlain, Marina Foïs, Eric Ruf, Edouard Baer, sont aux premières loges dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Au cinéma, ses rôles au côté de Mathieu Amalric puis sous sa direction notamment font d’elle une actrice de premier plan.

A 45 ans, nouvel amour, nouveau pays. Elle rejoint Frank Castorf à Berlin et joue dans les dernières productions de la Volksbühne, institution du théâtre engagé berlinois dont la dissolution, fin 2019, sonne la fin de l’histoire d’amour. Amoureuse, Balibar n’est jamais potiche. « Ce n’est pas une muse, assure Philippe Mangeot, qui l’a connue à Cambridge et a suivi ses aventures artistiques et amoureuses. C’est une coautrice, capable de se livrer sans limites aux hommes qui la dirigent. »

Que serait le film Barbara sans elle ? Et Les Frères Karamazov, mis en scène en 2016 par Castorf dans une friche industrielle glaciale de la Seine-Sainte-Denis ? Politique à fond, la pièce de l’ex-citoyen d’Allemagne de l’Est l’a mise sur la voie des artistes engagés. « Elle y était centrale, magistrale, une vraie machine intellectuelle », témoigne Hortense Archambault, qui a produit le spectacle à Saint-Denis.

Utopie politique

Mais rien, ajoute Philippe Mangeot, l’ami de toujours, ne décrit mieux Jeanne Balibar que son propre film, Merveilles à Montfermeil, sorti en janvier. Elle y a travaillé pendant sept ans, y a rassemblé toutes ses convictions, a réuni ses amies Bulle Ogier et Emmanuelle Béart, sa troupe d’acteurs de théâtre, Valérie Dréville et Jean-Quentin Châtelain. Et presque tous ses hommes, Amalric, Katerine, Castorf, jusqu’à son père, Etienne Balibar, incarné par un buste de Lénine qui traîne dans plusieurs scènes.

Les critiques, certaines très enthousiastes et d’autres sévères, ont parlé de « comédie loufoque », ce qui l’a énervée. « Est-ce qu’on dit de Nanni Moretti qu’il est loufoque ? C’est parce que je suis une femme qui fait du cinéma ? C’est un film politique, un manifeste ! » Loufoque, peut-être pas, mais fantasque sûrement et mystique un brin, cette histoire d’une maire de Montfermeil (Emmanuelle Béart) qui veut réenchanter la politique en instaurant entre autres la sieste ­quotidienne obligatoire ou une fête de la brioche.

On ne comprend pas tout – pourquoi Jeanne divorce de Ramzy alors qu’ils s’aiment, pourquoi des œufs sont écrasés sur une effigie de Macron comme dans un rite vaudou (référence au réalisateur et ethnologue Jean Rouch), pourquoi les habitants dansent seuls à la fin… Elle assume : « Les gens qui prétendent tout expliquer me dérangent, ce n’est pas le rôle de l’art. » Elle confie, sans qu’on soit plus avancé : « Ça raconte mon expérience de la maternité, je ne comprends pas tout et je ne cherche pas à comprendre. »

Il suffit de se laisser porter par la poésie, faire comme Emmanuelle Béart, la maire qui finit en burn-out, débordée par ses administrés comme une mère par sa marmaille. Merveilles à Montfermeil exprime « l’incompréhensible », définition de la culture pour laquelle elle se bat. Sorti début janvier, le film a connu une carrière modeste. Et s’est retrouvé confiné, comme sa réalisatrice. Depuis, la cage s’est rouverte. Mais la liberté a un goût amer, et l’espoir d’un grand soir pour la culture risque de s’évanouir dans l’indifférence.

21 juin 2020

Isabeli Fontana

isabeli fontana41

Publicité
21 juin 2020

Vu sur Internet

IMG_2015

IMG_2025

IMG_2103

21 juin 2020

ZOUC - Vous souvenez-vous de Zouc ?

zouc

Livre sur ZOUC vu au marché du livre à Vannes 

Isabelle von Allmen1, dite Zouc, est une actrice, auteure-compositrice-interprète et humoriste suisse née le 29 avril 1950 à Saint-Imier, dans le canton de Berne.

En 1966, Zouc entre aux conservatoires de Neuchâtel puis de Lausanne. Elle fait durant cette période un séjour de dix-huit mois dans un hôpital psychiatrique où elle observe attentivement le milieu et en tire nombre de personnages futurs : malades, personnes âgées, médecins, infirmières, visiteurs, etc. En 1968-1969, elle présente ses premiers numéros dans les cabarets d’été du centre culturel de Neuchâtel. Un an plus tard, elle s’inscrit à Paris au cours de Tania Balachova qui formera plus tard, entre autres, Sylvie Joly, Josiane Balasko et Jean-Claude Dreyfus.

En septembre 1970, elle joue plusieurs rôles dans Jeux de massacre d’Eugène Ionesco, dans une mise en scène de Jorge Lavelli au théâtre Montparnasse. Engagée par Maurice Alezra au café-théâtre de la Vieille-Grille, elle y donne la première version de ce qui deviendra son spectacle L’Alboum de Zouc. Cette suite de sketches, mise en scène par Marika Hodjis, la révéleront au grand public. Elle y interprète une série de personnages, en partie issus de ses observations en hôpital psychiatrique. Roger Montandon, peintre suisse ami de Giacometti, qu’elle avait rencontré en Suisse au cours de son adolescence et qui apprécie ses spectacles, deviendra par la suite son metteur en scène.

En 1971, Zouc rejoint l’Opéra de Lyon pour y interpréter la Huppe dans L’Opéra des oiseaux, création collective inspirée très librement des Oiseaux d’Aristophane.

En 1972, elle présente son Alboum au théâtre de l'Atelier et l’année suivante au Vieux-Colombier. En 1974, elle adapte son spectacle pour la télévision. Entre 1976 et 1979, Zouc présente son nouveau spectacle R’alboum joué au théâtre de la Ville à Paris, puis en tournée à travers la France, la Belgique, la Suisse, le Maroc et le Canada. En 1978 paraît un recueil d’entretiens avec le romancier Hervé Guibert, Zouc par Zouc. En 1981, elle enregistre à Bobino pour le cinéma le spectacle Le Dernier Râle du r'alboum, réalisé par le cinéaste suisse Yves Yersin.

En 1984, elle tourne auprès de Pierre Dux, dans Monsieur Abel de Jacques Doillon, un de ses rôles marquants à la télévision. Elle joue ensuite Zouc à l’école des femmes au théâtre de Paris, plus de deux cents fois entre 1984 et 1985 ; puis de 1987 à 1989 Zouc au Bataclan, série de sketchs qui font la part belle au « mime avec paroles ». La même année, elle tient le rôle de la Magicienne dans le clip vidéo de Mylène Farmer Sans contrefaçon, réalisé par Laurent Boutonnat.

Sa carrière au cinéma est marquée par des rôles dans des films de Michel Drach (Parlez-moi d’amour, 1975), William Klein (Le Couple témoin, 1975) et Fabrice Cazeneuve (Trois années, 1990). Sa dernière apparition cinématographique, en 1992, sera pour le film Roi blanc, dame rouge, de Sergueï Bodrov.

Des problèmes de santé la contraignent à interrompre ses créations. Opérée en 1997 d’un cancer du sternum à l’hôpital Marie-Lannelongue du Plessis-Robinson, elle contracte au bloc opératoire une infection nosocomiale (staphylocoques dorés multirésistants). Neuf interventions sont nécessaires, la dernière réalisée à l’hôpital de la Croix Saint-Simon de Paris la sauvant, mais la laissant handicapée à vie. La nuit sous assistance respiratoire, le jour sous morphine, physiquement très diminuée, elle réapprend à vivre lentement.

Le 1er septembre 2015, elle fait néanmoins une apparition remarquée au Noirmont pour recevoir le prix des Arts, des Lettres et des Sciences décerné par la République et Canton du Jura, en reconnaissance de « la marque indélébile que son œuvre a laissée sur le monde de la scène francophone »

21 juin 2020

Azzedine Alaïa et Rossy de Palma

azzedine

21 juin 2020

Jean Paul Goude

goude

21 juin 2020

Reportage - Du Gard à Paris, l’expansion d’Amazon suscite des résistances

amazon logo

Par Alexandre Piquard, Fournès (Gard), envoyé spécial

La bataille contre le projet d’un centre de tri dans la petite commune de Fournès est un exemple pour ceux qui veulent un « moratoire » sur la création d’entrepôts.

Dix mètres seulement séparent la maison de Gérard Tornay, en crépi ocre, de celle de Thierry Boudinaud, en pierre jaune clair du pont du Gard. Mais le premier est à la pointe d’un combat contre son voisin qui, en tant que maire, soutient l’arrivée d’un centre de tri Amazon sur la commune, Fournès, dans le Gard, 1 000 habitants.

Quand M. Tornay prend sa voiture pour montrer au visiteur les treize hectares de champs où le leader de l’e-commerce pourrait s’installer en contrebas du village, il croise M. Boudinaud, debout devant sa propriété, qui est aussi son exploitation de côtes-du-rhône. Un ange passe…

Querelle de Clochemerle ? En fait, cette bataille gardoise incarne la contestation croissante contre les projets d’implantations en France de l’entreprise de Jeff Bezos. La présence du pont du Gard, monument romain classé au Patrimoine mondial, à quelques kilomètres d’un entrepôt de 40 000 m2 haut comme un immeuble de cinq étages, rend la confrontation symbolique. Mais le choc rejoint les débats sur le « monde d’après » censé émerger de la pandémie.

Deux visions du territoire

Deux visions du territoire s’affrontent : du promontoire de Fournès, on voit des plaines de vignes vert clair, striées d’allées de cyprès et, au loin, des collines de garrigue. Mais, soulignent les défenseurs du projet, on aperçoit aussi la cheminée de l’ancienne centrale EDF d’Aramon. Et, en contrebas, on trouve l’usine d’emballages plastique Vitembal et, devant le village voisin Remoulins, Carrefour Market ou McDonald’s. Sans oublier l’autoroute A9, et la sortie 23 en bas de Fournès, où serait posé l’entrepôt d’Amazon. Proche d’Avignon et Nîmes, l’endroit desservirait aussi Barcelone ou Rome.

« Le territoire est bicéphale : touristique mais aussi industriel », pense M. Boudinaud. La zone où s’installerait Amazon est depuis les années 1970 vouée à un usage économique, malgré l’échec des projets, comme un « village des marques ». Le viticulteur, dont le père a été maire quatre mandats, reçoit dans la mairie de Fournès, avec le soutien de l’édile voisin de Domazan, Louis Donnet, ingénieur à la centrale nucléaire de Marcoule, et d’un élu municipal, Michel Gomez, ex-cariste et élu syndical FO chez Vitembal. Dans cette usine, les 700 salariés – sur 800 – qui ont été licenciés au fil des ans seraient « intéressés » par les 150 emplois annoncés dans le projet Amazon. De plus, la commune toucherait « 150 000 euros environ » de taxe foncière. Quand on lui demande si Amazon fait partie du « monde d’après », M. Boudinaud répond : « Nous, on est plutôt dans le monde d’aujourd’hui. »

« Ce projet est ringard : son esprit date des “trente glorieuses” et de l’arrivée de l’autoroute », rétorque Patrick Genay, un apiculteur dont les ruches de « fécondation de reines » se trouvent à 900 mètres du futur entrepôt, qui verrait passer 150 à 500 camions par jour. Le contestataire a créé l’association Adere, avec Gérard Tornay, un ex-directeur de supermarché devenu « fonctionnaire d’Etat », Patrick Fertil, un pharmacien semi-résident à Nantes, et Henri Fuhrmeister, ex-chef de chantier et « scout laïc ».

Les réunions ont lieu dans la miellerie ou au domaine de vin bio Rouge Garance, codétenu par l’acteur Jean-Louis Trintignant. « Il y a sur ce territoire d’autres atouts de développement, qu’il faut travailler », assure M. Genay, citant le tourisme, les circuits courts ou le retour des arbres fruitiers tués par la concurrence espagnole. L’industrie est souhaitée quand elle est « intégrée » au territoire, comme la « clean tech vallée » née de la reconversion de la centrale d’Aramon.

Par ailleurs, la venue d’Amazon contredirait le projet de parc naturel régional des Garrigues, qui allierait le pont du Gard, les côtes-du-rhône, la biosphère du Gardon et une future « route de la romanité » : « Fournès en est la porte d’entrée naturelle, vous ne pouvez pas quitter l’autoroute pour aller vers le pont du Gard et tomber sur un énorme entrepôt Amazon », estime Didier Riesen, un restaurateur de patrimoine qui habite Castillon-du-Gard, village pittoresque doté d’un point de vue sur le pont antique, mais aussi sur l’entrepôt.

Recours administratifs et plainte au pénal

Les défenseurs du projet aimeraient caricaturer les protestataires en éternels opposants aidés de quelques bobos ex-parisiens des villages chics du nord de la zone. Mais la lutte contre Amazon suscite une alliance inédite : Adere a été rejointe par l’association de défense du patrimoine Primavera, où sont actifs M. Riesen, ainsi que le couple Dominique et Vincent Nouzille, une ex-directrice des ressources humaines et un journaliste d’investigation. Mais le mouvement a aussi reçu le soutien de maires voisins ou de Patrick Malavieille, président de l’établissement public du Pont du Gard et vice-président PCF du conseil départemental.

Au niveau national, leur combat est soutenu par l’association écologique Amis de la Terre, qui s’est alliée avec la confédération des Commerçants de France, qui représente 450 000 indépendants. Mercredi, dans le cadre de la journée « contre la réintoxication du monde », un rassemblement était prévu à Fournès. Quand à Paris, Amis de la Terre, Attac, Anv-Cop21 et Action Climat déposaient un colis géant Amazon devant le ministère de l’économie et des finances pour demander de « stopper » son expansion.

A DAMBACH-LA-VILLE (BAS-RHIN) 57 ASSOCIATIONS ÉCOLOGISTES S’OPPOSENT À LA CRÉATION D’UN CENTRE DE DISTRIBUTION

Le projet de Fournès a obtenu un permis de construire et une autorisation environnementale de l’Etat. Mais il est suspendu en raison des multiples recours administratifs. En outre, une plainte au pénal pour prise illégale d’intérêts a été déposée car certains terrains concernés appartenaient à des élus – dont M. Boudinaud – ou à leurs proches.

Ailleurs en France, des projets d’Amazon sont contestés : à Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin, 57 associations écologistes s’opposent à la création d’un centre de distribution de 150 000 m2. Idem à Augny, près de Metz, où des partis de gauche et associations ont manifesté. A l’aéroport Lyon-Saint Exupery, deux associations ont fait suspendre un projet proche.

Amazon aurait, selon Amis de la Terre, huit à onze sites prévus dans l’Hexagone, dont trois grands centres de distribution et trois centres de tri, de taille moyenne comme celui de Fournès. L’entreprise, qui possède déjà vingt lieux dont six centres de distribution, n’infirme ni ne confirme : « Nous étudions régulièrement des opportunités pour développer nos capacités en Europe afin de fluidifier notre chaîne logistique. Toutefois, nous n’avons à ce jour rien à annoncer à Fournès. » En effet, les projets sont préparés par des aménageurs tiers, comme Argan à Fournès, ce qui alimente les accusations d’opacité.

Bouc émissaire

Amis de la Terre et Commerçants de France demandent un « moratoire » sur les autorisations d’entrepôts d’e-commerce. Cette revendication est appuyée par une proposition de loi déposée le 2 juin par Delphine Batho, députée d’EDS, le groupe créé autour du dissident de La République en marche (LRM), Matthieu Orphelin. Le texte soumettrait aussi ces locaux aux mêmes autorisations et taxes que les surfaces commerciales. « Stop à l’amazonisation de la France ! C’est contraire à la relocalisation et à la lutte contre le réchauffement », lance Mme Batho, favorable à un e-commerce qui se passe des grandes plates-formes multinationales.

Le géant américain estime être un bouc émissaire. Mais le débat sous-jacent porte sur l’impact de son activité. Ainsi, Amazon revendique 9 300 CDI en France et 30 000 emplois directs et indirects. Mais les détracteurs de l’entreprise l’accusent d’en détruire davantage, bien qu’elle souligne la hausse de l’emploi dans la filière commerce depuis 2000 et assure avoir 10 000 PME françaises sur sa plate-forme.

Sur l’environnement, le groupe de Jeff Bezos a promis d’être neutre en carbone d’ici 2040. Et martèle que la livraison d’e-commerce peut générer moins de CO2 que des trajets de véhicules individuels. Mais une bonne part du CO2 est émise lors de la production des objets et 40 % des vendeurs sur Amazon sont des entreprises chinoises, selon l’institut Marketpulse. Fiscalement, Amazon revendique 250 millions d’euros de prélèvements – tout confondu – pour 4,5 milliards de chiffre d’affaires. Mais cela reste bien insuffisant pour l’exécutif, qui a instauré la « taxe GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon]» sur les plates-formes numériques ou des mesures contre la fraude à la TVA des vendeurs.

Quelle est la position du gouvernement sur le moratoire ? Contacté, Matignon n’y est pas favorable, comme l’a expliqué Agnès Pannier-Runacher : « Moi, je suis favorable à l’emploi, je ne suis pas dans le gimmick ou l’idéologie. Si vous interdisez un entrepôt en France, il peut aller en Belgique, en Allemagne ou en Italie », a expliqué la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie, sur BFM-TV, le 12 juin.

« Que veut-on pour nos enfants ? »

« Je ne peux pas dire à mes électeurs qui cherchent un emploi que je refuse l’installation d’un entrepôt », abonde Damien Adam, le député LRM de Rouen. Anthony Cellier, député LRM de la circonscription de Fournès, a, lui, salué, début 2019, « un projet générateur d’emplois ».

Mais certains espèrent faire entendre un autre message dans la majorité. « On ne peut pas en même temps avoir des ministres qui inaugurent des entrepôts Amazon et mettre 5 milliards d’euros dans le plan Action cœur de ville pour redynamiser les petits commerces », juge Patrick Vignal, député LRM de Montpellier. « Que veut-on pour nos enfants ? Amazon, c’est un modèle du passé, comme les hypermarchés de périphérie », croit aussi le député du Gard Philippe Berta (MoDem). « On va vers toujours plus de facilité, mais se soucie-t-on de ce qu’elle implique ? », se demande Annie Chapelier (EDS), également députée du Gard.

Une tribune de soutien au moratoire est en préparation. Parmi ses signataires, l’écologiste Yannick Jadot et vingt-trois députés MoDem, EDS, La France insoumise ou LRM. Mais aussi Barbara Pompili, qui a cofondé le 27 mai un courant de cinquante-six députés au sein du groupe macroniste pour demander plus de solidarité et d’écologie. « Il faut fixer nos priorités pour le plan de relance. Ainsi, si on favorise l’implantation de gros entrepôts d’e-commerce comme ceux d’Amazon, il ne faut pas pleurer sur les problèmes des petits commerces », lance-t-elle. Cette question pourrait nourrir les débats promis par Emmanuel Macron sur le « monde d’après ». Ou, à défaut, ceux de la prochaine présidentielle.

Publicité
Publicité