Par Isabelle Chaperon
Comme Georges Pompidou, le président élu a travaillé quelques années comme banquier.
« Notre projet, pendre le banquier. » La pancarte, brandie lundi 8 mai lors de la manifestation organisée à l’appel de sections CGT, SUD ou UNEF et d’associations mobilisées contre la loi travail, en dit long. Même élu président, Emmanuel Macron reste, aux yeux de ses opposants, un représentant de la finance honnie.
Durant la campagne, le candidat d’En marche ! n’a cessé d’être attaqué sur son passage chez Rothschild, où il a travaillé de septembre 2008 à mai 2012. Rothschild, un patronyme célèbre, qui est souvent la cible des cercles antisémites et complotistes. On se rappelle la caricature d’Emmanuel Macron représenté avec un nez crochu publiée sur le compte Twitter des Républicains.
Emmanuel Macron n’est pourtant pas le premier président de la République à être passé chez Rothschild. Ironiquement, quand le jeune inspecteur des finances s’était interrogé avant de rejoindre la banque, il s’était d’ailleurs raccroché à ce précédent : « Il y a bien eu Pompidou. » Il se demandait à l’époque si une incursion dans ce lieu risquait de contrarier ses ambitions politiques naissantes, caressant l’idée de se présenter au Touquet, dans le Pas-de-Calais.
Rothschild, de son côté, n’a jamais imaginé qu’Emmanuel Macron y ferait carrière. « On voulait le garder le plus longtemps possible », relate un associé. L’établissement a l’habitude d’ouvrir ses portes à des hauts fonctionnaires afin de capitaliser sur le carnet d’adresses de ces recrues, tels François Pérol, Sébastien Proto, deux anciens membres des équipes de Nicolas Sarkozy, ou Grégoire Heuzé (ancien conseiller de Dominique de Villepin).
Très sollicité
Quand la commission Attali achève ses travaux, en janvier 2008, Emmanuel Macron, qui a été son rapporteur-adjoint, croule sous les propositions. Il est notamment sollicité pour intégrer le cabinet de Christine Lagarde, la ministre de l’économie. Mais le tout juste trentenaire ne veut pas servir un gouvernement de droite. Deux ans plus tard, il refusera, pour la même raison, d’intégrer la garde de François Fillon à Matignon.
L’inspecteur des finances recherche une expérience enrichissante, dans tous les sens du terme. Serge Weinberg, l’ex-patron de PPR (devenu Kering), membre de la commission Attali, appelle alors François Henrot, l’un des associés gérants les plus en vue de Rothschild : « Des comme ça, on en voit un tous les vingt ans », lui assure-t-il.
Au printemps 2008, le jeune Macron débarque donc avenue de Messine dans le 8e arrondissement de Paris, au siège de la banque, situé à un jet de pierre du parc Monceau. François Henrot le reçoit dans l’un des salons anonymes réservés aux clients, avec pour seul apparat une machine à expresso et des crayons à papier aux armoiries de la maison. Les deux hommes devisent de musique, de philosophie… « J’ai des engagements politiques », prévient Emmanuel Macron.
Deux heures plus tard, charmé, François Henrot annonce à l’impétrant qu’il est engagé et prie intérieurement pour que David de Rothschild ne le désavoue pas. Pas de risques. Le chef de la maison, le jugera « époustouflant ». Emmanuel Macron démarre donc comme « directeur », avec une période d’essai de six mois. Dans l’organisation militaire qu’est la banque d’affaires, cela correspond au grade de capitaine. Deux ans plus tard, il sera général, autrement dit associé-gérant.
Carnet d’adresses
Il arrive pourtant chez Rothschild au pire moment, le 1er septembre 2008, quinze jours avant la faillite de Lehman Brothers. En pleine crise financière, plus une seule entreprise ne songe à se marier. Il ne reste à traiter que les cas difficiles. Le novice va avoir droit à une leçon accélérée de capitalisme, dans une ambiance de fin du monde.
François Henrot installe son protégé dans un bureau proche du sien, au sixième étage de la banque, et l’expédie au chevet de Cofidis, le spécialiste du crédit à la consommation qui est au plus mal. Si Cofidis tombe, tout le peloton des banques françaises vacille… Rothschild est chargé de trouver d’urgence un acheteur. Le Crédit mutuel est pressenti.
Emmanuel Macron gère l’intendance dans l’ombre de son mentor. Il enchaîne les nuits blanches. Le « bleu » n’a jamais analysé un bilan de banque. Mais il comprend vite. Rue de la Victoire, l’hôtel particulier du Crédit mutuel-CIC, qui abrita les amours de Napoléon et de Joséphine, sert de décor à des négociations tendues. En un mois, Cofidis est vendu. Et Macron est adoubé.
ARRIVÉ EN SEPTEMBRE 2008 DANS LA BANQUE, LE NOVICE VA AVOIR DROIT À UNE LEÇON ACCÉLÉRÉE DE CAPITALISME, DANS UNE AMBIANCE DE FIN DU MONDE
Le directeur traite d’autres dossiers compliqués, à l’image de la restructuration du capital de la foncière Gecina. Lors de la recapitalisation du Monde, il conseille à titre gracieux la Société des rédacteurs (SRM). « On ne savait pas très bien pour qui il travaillait », se souvient un des protagonistes. Une ambiguïté illustrée par une scène survenue en septembre 2010 : un membre de la SRM débusque Emmanuel Macron caché dans l’escalier de l’immeuble haussmannien hébergeant les bureaux d’Alain Minc, ancien président du conseil de surveillance du Monde et soutien de l’offre du groupe espagnol Prisa.
Il s’aliène Matthieu Pigasse, le banquier de Lazard. Candidat au rachat à titre personnel du quotidien, avec Xavier Niel et Pierre Bergé – le trio l’emportera finalement –, M. Pigasse est convaincu que son rival de Rothschild veut les doubler. Mais, grâce à cette transaction, Emmanuel Macron se bâtit un carnet d’adresses dans les médias, un univers qui le passionne.
Fin tacticien
En quelques mois, le novice apprend à faire parler les chiffres et à éviter la faute de goût ultime dans la banque d’affaires : les chaussures marron. L’économie repart et, en 2010, il aide Atos – un vieux client de Rothschild – à fusionner ses activités dans l’informatique avec celles de l’allemand Siemens.
Sa vie, ce sont aussi ces dizaines de transactions restées dans les limbes, ces mois passés à essayer de vendre les magazines publiés hors de France de Lagardère à un groupe allemand, quand c’est l’américain Hearst qui tient la corde.
En avril 2012, il boucle le « deal » qui assoira sa réputation : le rachat des laits pour bébé de l’américain Pfizer par le suisse Nestlé, pour 12 milliards de dollars (11 milliards d’euros). Avant d’y parvenir, Emmanuel Macron s’échinera en vain sur de multiples combinaisons pour le compte du groupe suisse. « Il s’est accroché comme un mort de faim », insiste un associé de Rothschild.
Nestlé n'était pas client de la banque, mais le Français avait accès à son président, Peter Brabeck, un autre membre de la commission Attali. Connaître le patron est rarement une condition suffisante pour décrocher un mandat. Que cette multinationale courtisée par toutes les banques de la planète ait choisi ce quasi-néophyte pour mener une transaction aux Etats-Unis a bluffé tout le monde. Et fait enrager, à Londres, les Britanniques de Rothschild.
Pour autant, le fondateur d’En marche ! n’a jamais été un « Mozart de la finance », celui qui invente la double OPA ou façonne le montage hors pair. Fin tacticien, entre tutoiement et clin d’œil, le jeune homme excellait dans un rôle de conseiller matrimonial des affaires.
« Quand il vous écoute, il a l’air d’être immensément intéressé par ce que vous dites. C’est très flatteur », relate un ancien client. En revanche, le jeune banquier se montrait « mal à l’aise » quand il devait s’exprimer en public, se remémore un autre dirigeant, stupéfait par la transformation.
Chez Rothschild, enfin, Emmanuel Macron avait su aussi s’attacher la loyauté des sans-grade. « Il est arrivé en terrain hostile, témoigne un ex-junior. Mais il a gagné la sympathie de tous avec sa bienveillance naturelle et son attitude respectueuse. » Il ajoute : « Il était évident qu’il n’allait pas faire sa vie chez Rothschild. La blague entre nous, c’était qu’il finirait président... »